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Effets des nitrates sur la santé

Scientifiquement bénéfiques

Il est des tabous auxquels il conviendrait de ne pas toucher, surtout à
quelques jours de la tenue d’une réunion concernant la procédure de
révision de la délimitation des zones vulnérables et la préparation du
5e programme d'actions "nitrates". Pourtant, au regard des enjeux,
l’éclairage de Christian Buson, président de l’Institut scientifique et
technique de l’environnement*, est le bienvenu…
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Pourquoi remettez-vous en cause la directive nitrate relative, notamment, à la norme de qualité de l’eau destinée à la consommation humaine, qui ne doit pas dépasser 50 mg de nitrate par litre ?
Christian Buson : tout simplement parce qu’il n’est pas concevable d’imaginer que des nitrates soient dangereux dans l’eau de boisson passé 51 mg/l et soient inoffensifs dans les légumes qui ont des teneurs parfois supérieures à 2.000 mg NO3/kg (bette, betterave rouge, céleri rave, épinard, navet, radis, batavia, laitue…). Ce sont les mêmes nitrates ! La consommation quotidienne de légumes est recommandée par les nutritionnistes. Pourtant, respecter la norme de 50 mg reviendrait à interdire les légumes, qui en contiennent souvent entre 500 et 5.000 mg/kg. Par ailleurs, des études scientifiques prouvent que la consommation de nitrate est inoffensive, et ce quelle que soit la dose.

Le corps médical** a mis en avant les effets bénéfiques des nitrates et des nitrites sur la santé. Pouvez-vous nous les détailler ?
Ch. B. : en 1998, le prix Nobel de médecine a été décerné aux chercheurs et docteurs qui ont découvert le rôle de l’oxyde nitrite (NO) comme étant une molécule essentielle pour la physiologie. En effet, le NO est un facteur essentiel de régulation de la circulation sanguine et de relaxation des vaisseaux sanguins. Le nitrate (NO3) et le nitrite (NO2)*** contribuent à la protection cardiovasculaire, à la vasodilatation, et améliorent les performances sportives. Ils sont au cœur du système de défense de l’organisme en luttant contre divers pathogènes (coliformes, listeria, salmonella…) et infections (gastroentérites, ulcères…).

Dans ce cas, pourquoi la norme des 50 mg de nitrate par litre d’eau est-elle maintenue ? A-t-elle encore une justification sanitaire ?
Ch. B. : cette norme s’appuie sur le risque de méthémoglobinémie du nourrisson. C’est-à-dire la conversion des nitrates en nitrites sous l’effet de bactéries : les nitrites se fixent à l’hémoglobine et empêchent la circulation de l’oxygène vers les cellules. Avec l’eau du robinet, il n’y a jamais eu de cas de méthémoglobinémie, quel que soit le taux de nitrates présent. Cette maladie a disparu dans les pays où il y a une hygiène correcte. Il faudrait que les nitrates soient en contact avec une forte concentration de germes (eau sale) pour qu’il y ait apparition de nitrites.
De même, l’OMS reconnaît qu’il n’y a aucune corrélation entre l’exposition exogène aux nitrates et l’apparition de cancer.

Pourtant les nitrates sont accusés de polluer les eaux douces ?
Ch. B. : à tort ! En eaux douces, l’eutrophisation est observée quelle que soit la teneur en nitrate. Guy Barroin de l’Inra explique que le phosphore est le facteur limitant lorsqu’il est rejeté en milieu aquatique. Il est responsable de la prolifération d’algues : phytoplanctons et cyanobactéries qui fixent l’azote atmosphérique (comme les légumineuses). Donc, l’eutrophisation ne dépend pas de la teneur en nitrate de l’eau. David Schindler, spécialiste de l’écologie des milieux aquatiques, a fait des expérimentations –dans les années 1970– de fertilisation d’azote ou de phosphore de lac. Il en résulte, uniquement en cas de rejet dans l’eau de phosphore, un développement de cyanobactérie.
De plus, des ouvrages de limnologie appliquée relatent que pour résoudre des problèmes de plan d’eau eutrophisé, l’un des moyens consiste à rajouter des nitrates au milieu aquatique ; l’apport de nitrate implique la fourniture d’oxygène au milieu, et aide donc à la compétition entre les algues qui ne sont pas capables d’assimiler l’azote atmosphérique pour pouvoir proliférer et contrebalancer la puissance de celles responsables de l’eutrophisation.

Et en ce qui concerne les eaux salées, et en particulier les phénomènes de "marées vertes" présents en Bretagne… ?

Ch. B. : les sites de prolifération d’ulves, les algues à l’origine de ces pollutions, sont indépendants des apports en NO3 des rivières. Preuve en est : des baies sensibles à l’échouage d’estran reçoivent peu de NO3 (Lannion dans les Côtes-d'Armor, Douarnenez dans le Finistère…). Ces baies sont sensibles en raison de leur hydromorphologie : pente de l’estran qui favorise un effet de lagunage et une courantologie qui empêche la dispersion vers le large des algues. En résumé, aucun lien entre l’activité agricole dite "intensive" et l’abondance d’ulves n’a encore été établi ! Une étude menée par l’Ifremer en 1998 et 1999, observant les tonnages d’azote terrigène du mois de juin et les masses d’ulves sur des sites propices, ne montre pas de rapport avec l’intensité du phénomène. À titre d’exemple, à Saint-Brieuc, apport de 51 tonnes de N en juin 1997 pour 11.338 t d’ulves/an ; puis en 1998, apport de 112 tonnes de N en juin pour 8.358 t d’ulves/an.
Sans oublier que le milieu marin, à lui seul, contient pléthore d’azote. Il n’y aura donc jamais de carence. Et les ulves ne sont pas des "pompes à nitrates".

Cela justifie-t-il la sur-fertilisation en agriculture ?
Ch. B. : bien évidemment que non ! Il ne faut en aucun cas gaspiller. L’azote est indispensable à la croissance des cultures : rendements, teneurs en protéines... mais la fertilisation doit être raisonnée. Il faut aussi, en priorité, recycler les engrais de ferme et ajuster les apports aux besoins de la plante et du sol.
Fondamentalement, les excès éventuels de nitrates n’ont pas de répercussions environnementales graves sur les eaux douces ou marines. Et il y a des mécanismes de régulation, notamment la dénitrification (retour atmosphérique).
En revanche, le rejet de phosphore dans l’eau est, lui, à proscrire, car il reste dans la biologie, dans les sédiments et dans la solution (cycles successifs jusqu’au lac ou à la mer).

Vous remettez en cause les fondements de la directive de 1991. En quoi est-elle désuète ?
Ch. B. : la directive stipule d’abord de « produire de l’eau d’alimentation garantissant la santé des consommateurs ». Or, il n’y a aucune toxicité des nitrates, mais rien que des effets bénéfiques. Deuxièmement, « limiter la perturbation des milieux aquatiques ». Seuls les phosphates ont un impact. Les nitrates n’y contribuent jamais.
D’autre part, la définition d’eutrophisation –« enrichissement de l’eau en composés azotés, provoquant un développement des algues et des végétaux… »– est scientifiquement erronée.
La directive européenne –qui a plus de vingt ans– devrait être adaptée aux connaissances scientifiques actuelles. Elle débouche sur des contraintes agricoles qui limitent à 170 kg de N/ha (avec des dérogations dans certains États membres à 250 kg), et ce, quels que soient les besoins des systèmes de cultures. Ce qui provoque des manques à gagner pour certaines cultures. Les pertes de rendement ne sont pas acceptables, surtout si elles sont camouflées derrière des pseudos arguments environnementaux ou de santé, qui n’ont plus de raison d’être.
Le lien supposé entre l’activité agricole, l’élevage, les engrais, les nitrates et la dégradation de la santé et de l’environnement n’a strictement aucun fondement scientifique. Le nitrate est un ion banal, naturel et omniprésent qui, jusqu’ici, était mal connu. Il faudrait au contraire inciter la population à en consommer à titre préventif et curatif, notamment via les légumes.


*ISTE : Institut scientifique et technique de l’environnement.
** Réunis en colloques à l’Académie de médecine à l’Hôpital Pitié Salpêtrière en mars 2011, puis à Atlanta en mai 2011.
***NO2 : nitrite, forme transitoire (adj. nitreux) ; NO3 : nitrate, forme la plus oxydée et stable (adj. nitrique).