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Serge Guérin, sociologue

« Tourné vers les initiatives locales »

Spécialiste des seniors, des enjeux intergénérationnels et de
l’accompagnement, Serge Guérin enseigne aussi dans une école de
commerce, à Sciences Po et s’investit dans l’écrit sous toutes ses
formes.
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Quel est votre sentiment sur la réforme des retraites ?
Serge Guérin : je crains que l’on ne soit une nouvelle fois revenu sur les mêmes solutions avec toujours un manque d’ambition et d’imagination pour régler le problème du financement, soit en rajoutant des cotisations, soit en rallongeant la période de travail, soit en baissant le montant des retraites. On peut trouver une vraie logique à ce que l’on travaille plus longtemps étant donné que l’on vit plus vieux, mais il faut tenir compte de ceux qui ont démarré leur carrière plus tôt et des sept ans d’écart d’espérance de vie entre un cadre supérieur et un ouvrier spécialisé. D’un autre côté, pousser à ce que les séniors travaillent plus longtemps se fait au détriment des plus jeunes, et peut aussi augmenter le nombre des séniors au chômage. A l’inverse, je ne pense pas que l’on ait réglé le problème de l’emploi avec les préretraites, généralement le poste est supprimé par choix d’automatisation ou de productivité. Il ne faut pas oublier aussi qu’une personne en activité crée de l’emploi et lorsqu’on la sort de l’activité, elle en crée moins.
Pour en revenir aux retraités qui sont 15 millions aujourd’hui, il est impossible d’en parler globalement. Certains ont des revenus importants notamment patrimoniaux ou d’héritages et pourraient être plus taxés, mais la majorité d’entre eux ont des pensions assez faibles, 1.300 € en moyenne par mois pour les hommes et moins de 1.000 € pour les femmes. Un million de retraités vit sous le seuil de pauvreté, 400.000 sont au minimum vieillesse, donc baisser les retraites ne serait pas très prudent.

Y a-t-il alors une solution pour avancer sur le problème des retraites ?
S. G. : la retraite par points est certainement une réponse intéressante. Elle permet plus d’équité en lissant les différentes situations, et permet aussi à chacun de comprendre et contrôler ce qui va lui arriver, alors qu’aujourd’hui personne n’est capable de dire quelle sera sa retraite. Le problème est que cela prendrait du temps à mettre en place et à équilibrer le financement, d’autant qu’il y a de moins en moins de cotisants, notamment avec le chômage, et de plus en plus de retraités. Cela dit, il faut arrêter de penser que ces retraités représentent uniquement un coût pour la société. Ils sont très présents dans le monde associatif en produisant du lien social, 32 % des maires de nos communes sont des retraités qui contribuent à faire vivre la ruralité, sans parler de toutes les petites tâches invisibles accomplies par les séniors pour leur entourage et au-delà, qui ne sont pas valorisées mais qui font tellement de bien au pays. Tout comme les aidants, ils sont entre 9 et 10 millions de bénévoles de tout âge dont un tiers de retraités, auprès de personnes handicapées, malades ou âgées qui font économiser 164 milliards d’€ à la collectivité. Rapport aux 7 milliards d’€ manquant pour équilibrer les retraites, peut-être que la collectivité pourrait faire un effort financier et valoriser un peu plus les seniors.

Dans notre société individualiste, est-il utopique d’espérer changer notre rapport aux seniors ?
S. G. : cette culture de l’individualisme qui règne aujourd’hui n’a pas réussi à supprimer le don, la solidarité, le monde associatif, les aidants. Il ne faut pas attendre de solution générale, mais plutôt se tourner vers les multiples initiatives locales, et c’est le rôle des collectivités territoriales, des syndicats, des bailleurs sociaux de les soutenir, voire de les générer. La crise est une chance formidable pour nous faire bouger et sortir de notre petit confort. Je suis peut-être un optimiste, mais les pessimistes à quel moment font-ils avancer la société ? La prise de conscience du vieillissement de la population nous conduit déjà à inventer des villes, des territoires ruraux plus adaptés, plus agréables à vivre pour les seniors. Il faudrait aussi plus de prévention et d’accompagnement auprès des plus fragiles, cela apporterait moins de consommation de médicaments et de frais d’hospitalisation.

Que pensez-vous des contrats de génération et plus globalement du problème de l’emploi ?
S. G. : l’invention sémantique est excellente, elle fait passer une solidarité entre générations alors que jusqu’à présent nous étions dans un système d’opposition notamment avec les préretraites où l’on mettait les vieux dehors pour faire la place aux jeunes. J’ai fait plusieurs études sur le sujet, la réalité montre que les jeunes demandent plus de soutien des anciens sur l’apprentissage du métier, et les anciens plus de soutien des jeunes sur les nouvelles technologies. Ce contrat de génération valorise cette réciprocité que l’on minimisait, mais il ne faut pas se faire trop d’illusions sur le nombre d’emplois que cela va créer. De manière plus globale, le marché n’est pas capable aujourd’hui de trouver 5 millions d’emplois, il faut arrêter avec le mythe du retour de la croissance.
Il y a des emplois qui ne répondent pas à une logique de marché mais à une logique de besoin social, avec des métiers d’aide à la personne dans tout ce que cela comprend, ou de l’aménagement rural, notamment numérique. Ce serait là un bel investissement public qui pourrait permettre à plus de personnes de s’installer dans la ruralité, il suffirait de faire des économies sur des niches fiscales dont je ne vois pas bien l’utilité.

Que doit faire le Président pour parvenir à sa France de demain, écologique, solidaire et qui combat les thèses populistes ?
S. G. : le populisme ne se combattra pas avec un discours moralisateur, surtout venant de personnes protégées qui ne sont pas sur le terrain. Michel Rocard avait une très belle formule : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais doit en prendre sa part », c’est très beau mais il faut admettre que notre pays ne peut pas tout faire. L’écologie n’a d’avenir que dans l’écologie sociale, au Président de faire comprendre au pays qu’au-delà du développement durable et de la sauvegarde de la planète qui sont évidemment importants, il y a une logique économique. Si l’on renforce la filière des éoliennes et du photovoltaïque, on réindustrialise aussi. François Hollande pourrait peut-être inventer un ministère des Solidarités pour mettre en valeur toutes les actions.

Le niveau de la presse s’est-il dégradé avec les nouvelles technologies et sont-elles un danger pour l’écrit et les livres ?
S. G. : on a la presse que l’on mérite, qui est aussi liée à notre niveau d’exigence. Cela dit, quand Moïse Millaud fonde "Le Petit Journal" en 1863, il est beaucoup question de faits divers. L’âge d’or de la presse écrite était avant 1914 avec quatre quotidiens qui tiraient à plus d’un million d’exemplaires. Puis la radio est arrivée et à chaque nouveau média, on croit que cela va tuer l’écrit mais il est toujours là et reste une valeur majeure. Reconnaissons tout de même qu’avec les nouvelles technologies, nous écrivons beaucoup plus qu’avant même si le niveau n’est pas toujours exceptionnel. Pour ce qui est des livres, il pense qu'il faudrait aider davantage les petits libraires, notamment dans la ruralité, car elles sont parfois le vecteur culturel local, comme les camionnettes qui font le tour des villages.