Tribune de Christiane Lambert, présidente de la FNSEA : l’agriculture change d’ère, d’aire, d’air !
2020 ! Une nouvelle décennie s’ouvre. Ça sonne bien, c’est l’harmonie parfaite ! Comme un air nouveau, requiem d’une décennie passée qui laisse place à une symphonie en trois mouvements où l’agriculture ouvre une nouvelle ère, dans une aire élargie où les agriculteurs contribueront à un air plus respirable !

L’agriculture change d’ère
L’Histoire de l’agriculture s’écrit au gré de ruptures et d’adaptations, dans une recherche constante d’équilibre et de résilience.
Dans un monde de plus en plus complexe, où les repères économiques, géopolitiques, climatiques et sociétaux sont bouleversés, l’agriculture est attendue pour l’écriture d’une nouvelle page de son Histoire.
Economique tout d’abord face à une volatilité accrue des prix pour aller chercher plus de valeur ajoutée et plus de résilience, environnementale face au défi immense du changement climatique qui impacte la manière de produire et enfin sociétale pour anticiper et répondre aux attentes de plus en plus diverses des consommateurs et des citoyens.
Les agriculteurs ont engagé le mouvement vers cette nouvelle révolution : le développement de l’agriculture de précision, le déploiement de techniques agroécologiques de conservation des sols, biologiques, préfigurent cette nouvelle façon de produire avec des systèmes agricoles multi performant sur le plan économique, social et environnemental.
Les opportunités offertes par le numérique déployé à grande échelle par l’ensemble des acteurs de la chaine alimentaire donnent plus de possibilité pour rentrer massivement dans cette ère nouvelle.
Pour autant, cette révolution à l’œuvre ne se fera pas d’un claquement de doigt ! Elle appelle l’opinion et les pouvoirs publics à se saisir du temps et de la complexité à bâtir ces nouveaux modèles agricoles.
Innovations de rupture, évolutions de la recherche, organisation des filières, formation continue… seront autant d’outils à mobiliser pour relever ce défi. Bon nombre d’agriculteurs sont déjà entrés de plein pied dans cette révolution en assimilant rapidement des outils et des techniques qu’ils n’auraient pas imaginé utiliser quelques années auparavant. Ecoutons ces « agri-pionniers », ils ouvrent la voie. Mais tout cela ne sera possible que si les Français décident maintenant d’accompagner, notamment dans leurs actes d’achats, la réussite de cette nouvelle ère.
L’agriculture change d’aire
La géographie agricole évolue au gré des recompositions géopolitiques et des soubresauts d’accords commerciaux si difficilement évaluables. Si les objectifs de notre souveraineté alimentaire et de relocalisation reviennent souvent au centre des débats, l’agriculture française ne peut s’exonérer de raisonner global. Regarder les défis agricoles avec des œillères françaises, c’est prendre le risque d’être hors sujet. Tout comme les économies des grands ensembles régionaux restent imbriquées entre elles, chaque exploitation agricole est directement connectée au monde. Un accord commercial, un accident climatique ou sanitaire, une décision politique, un tweet, et le fruit de notre travail gagne ou perd 30 % de sa valeur et peut menacer la pérennité même de nos entreprises.
De ce marché mondial, il faut savoir en saisir les opportunités et en contrecarrer les excès, pour que les règles de concurrence mondiales soient les mêmes pour tous et que l’empreinte carbone aux frontières devienne une réalité. Agriculteurs et consommateurs sont d’ailleurs à l’unisson pour dire : « n’importons pas l’agriculture que nous ne voulons pas dans nos assiettes » !
L’aire d’exercice de l’agriculteur évolue également et questionne son ancrage territorial. L’espace agricole ne se calque plus uniquement sur l’espace rural comme auparavant. D’un côté parce que la sociologie rurale ne repose plus uniquement sur une société paysanne. De l’autre parce que l’agriculture s’invite en ville, dans les débats mais aussi par des initiatives visant à produire de l’alimentation en milieu urbain. Entre des citadins voulant se rapprocher de la Nature, et des « néo-ruraux » qui n’acceptent pas toujours la cohabitation avec les activités agricoles, vision productive et vision récréative des espaces s’opposent. Dans ces conditions, il est parfois difficile pour l’agriculteur de trouver sa place sur le territoire. Sachons dépasser ces clivages pour recréer du lien, mieux proposer nos savoir-faire à des populations urbaines qui aspirent à mieux vivre et mieux s’alimenter et à un monde rural qui recherche de nouvelles opportunités de développement.
L’agriculture change d’air
Les dérèglements climatiques n’épargnent aujourd’hui aucune filière agricole. Pour moins subir ces aléas naturels de plus en plus violents et récurrents, il est important d’anticiper et de d’inventer de nouvelles solutions. Les agriculteurs comptent sur la recherche, les innovations et leurs propres expérimentations. Aucune ne doit être mise de côté sans en avoir analysé l’ensemble des bénéfices et des risques. Pour cela, l’approche scientifique doit redevenir audible et légitime dans le débat public.
Les enjeux climatiques sont déjà au cœur des transformations agricoles, et il y a fort à parier que cela va s’accentuer, tant l’agriculture est identifiée comme un levier pour lutter contre le changement climatique.
A l’heure où tout le monde cherche des solutions à la hausse inquiétante des températures, l’agriculture revendique qu’elle en est une ! Elle dispose de nombreux atouts pour adapter ses modèles de production et en atténuer les impacts. Mais tout effort mérite rétribution !
Lorsque les changements de pratiques améliorent la situation économique de leur entreprise, les agriculteurs ne rechignent pas à les mettre en œuvre : j’investis 1, je gagne 2. Mais lorsque des mesures contraignantes laissent les agriculteurs sans solutions et nuisent à leurs résultats, ils se posent alors une question : si ces changements de pratiques émanent d’une « demande sociétale », pourquoi est-ce à moi, agriculteur, de les financer et non à la société ? J’investis 1, je gagne 0, voir… je perds 1 : quelle entreprise pourrait survivre à cette stratégie ?
La préservation de l’environnement est une cause commune qui mérite un financement commun. Les services environnementaux rendus par l’agriculture ont une valeur, il faut inventer des modèles pour une rémunération contractuelle et durable des agriculteurs à hauteur de leur contribution qu’il s’agisse de la captation du carbone, de la préservation d’une biodiversité vivante, de la protection des populations contre les inondations et les incendies….
L’agriculture veut aussi changer d’air pour enfin montrer ce secteur sous un autre jour et retrouver du souffle. Le bruit de fond médiatique et sociétal sur l’agriculture reste trop négatif, ce qui ruine le moral des agriculteurs qui jugent ce traitement injuste au regard des efforts accomplis et des atouts dont le secteur regorge.
Les agriculteurs ont le sentiment d’avoir perdu le contrôle de leur image, et nombre d’entre eux veulent s’en ressaisir sur leur territoire par un dialogue apaisé, au plus proche des réalités vécues, sur les réseaux sociaux également, loin des polémiques mises à l’agenda à des fins politiques, qui radicalisent les positions et créent des fractures. La nouvelle décennie doit être celle de la reconnexion, entre agriculture et société, grâce à une communication positive et conquérante. Le métier d’agriculteur, ses missions, son cadre de travail sont éminemment modernes.
Lucides sur les bouleversements économiques, politiques et sociétaux amorcés, conscients du défi collectif imposé par le changement climatique, ayons le courage de porter l’agriculture à l’épicentre des agendas politiques nationaux, européens et internationaux.
Souhaitons que la décennie qui s’ouvre soit celle d’une prise de conscience collective que l’Agriculture est une chance pour la France. Il est urgent de changer d’ère, d’aire, d’air.
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA