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Un encadrement nécessaire contre l'artificialisation des sols

Dans le cadre d’une mission d’information sur le foncier agricole, l’Assemblée nationale se penche sur les causes de l’artificialisation des sols, qui s’est accélérée ces dernières décennies au détriment de l’agriculture en premier lieu. La mission cherche à déterminer les leviers potentiels –réglementaire, financiers…- pour freiner cette tendance.

Par Publié par Cédric Michelin
Un encadrement nécessaire contre l'artificialisation des sols

Si l’artificialisation des terres représente 60 000 hectares par an, tout ne se transforme pas en béton. Ces surfaces sont en effet réparties entre l’habitat, le foncier économique et la voirie, a rappelé Yves Le Bissonnais, directeur de recherche à l’Inra, lors d’une audition organisée le 22 février par la mission sur le foncier agricole de l’Assemblée nationale, présidée par Jean-Bernard Sempastous (député REM des Hautes-Pyrénées), dont Dominique Potier (député Nouvelle-Gauche de Meurthe-et-Moselle) est le co-rapporteur. 30 % de l’artificialisation est donc liée à l’étalement urbain, en lien avec la préférence française pour l’habitat individuel. Si cette croissance a tourné autour de 6-7 % en Ile-de-France entre 1999 et 2012, précise Alice Colsaet, doctorante en économie à l’IDDRI, la plus forte croissance est liée à la construction de zones d’activité périurbaines, qui représentent 14 % des surfaces en Ile-de-France pour une croissance de plus de 24 %. Des constructions qui s’accompagnent généralement de surfaces engazonnées (18,20 %) et de parkings (6 % des surfaces, pour une croissance de + 22 %), précise la doctorante. Sur l’ensemble de la France, complète Yves Le Bissonnais, le foncier économique représente 30 % des surfaces artificialisées, le tiers restant étant consacré à la voirie.

Un impact irréversible pour les terres agricoles

Les changements d’affectation des terres ne sont pas uniquement liés à l’artificialisation. En lien avec la déprise agricole, un certain nombre d’hectares passent régulièrement de sols agricoles à sols naturels et forestiers, précise le chercheur de l’Inra, ce qui pose moins de problèmes en matière de réversibilité. Et sur les 964 000 hectares de terres artificialisées entre 2006 et 2014, 50 % sont restées enherbées ou nues. Néanmoins, « les terres agricoles sont aisément convertibles », indique le chercheur, avec des problèmes d’irréversibilité quand elles sont imperméabilisées. Sans compter que les villes étant historiquement implantées à côté des terres les plus fertiles, ce sont les meilleures terres qui sont généralement utilisées pour l’artificialisation. Par ailleurs, la rente foncière est aussi un vecteur de changement d’affectation, puisque le rendement est jusqu’à vingt fois plus important pour un usage urbain que pour un usage agricole. Compte tenu des impacts environnementaux et économiques, à long terme, « il ne coûte pas plus cher de dépolluer une terre que de sacrifier une terre agricole pour l’urbanisation, en tenant compte de toutes les conséquences », ajoute de son côté Yann Laurans, directeur du programme biodiversité à l’IDDRI, également auditionné par la mission. A noter qu’une partie des terres agricoles sont artificialisées par l’agriculture elle-même (bâtiment, stockage, chemins…). Sur la période 2006-2014, cette part représente environ 40 000 hectares.

Identifier les leviers

Si les conséquences négatives de cette artificialisation trop importante des terres sont connues, plusieurs leviers sont à actionner pour la freiner. « Aujourd’hui, il n’existe pas de politique publique pour limiter l’artificialisation des sols en tant que telle », rappelle Yves Le Bissonnais. Les instruments existants (PLU, Scot…) ne sont que des outils d’organisation de l’espace. La réglementation au niveau local est vite inefficace : « plus les collectivités locales sont petites, plus la compétitivité entre elles est importante », indique Alice Colsaet, pour qui on touche ici aux limites de la décentralisation. L’échelle de l’intercommunalité serait ainsi un premier saut qualitatif. Il existe de plus de nombreuses incitations à l’étalement urbain (fiscalité sur la mobilité automobile, qui incite les ménages à s’installer plus loin, par exemple). Les chercheurs préconisent donc un encadrement plus sévère de l’urbanisation commerciale, d’autant que la logique de ces installations commerciales, issues d’investissements privés, reste à étudier, indique Yann Laurans. Des alternatives peuvent être développées avec des incitations fiscales ou réglementaires. Au Royaume-Uni, le système de « phasing » oblige les projets d’extension à démontrer au préalable l’impossibilité de leur réalisation via une rénovation urbaine, par exemple. Enfin, pour Yves Le Bissonnais, il est indispensable de disposer d’un outil de visualisation de l’occupation globale de l’espace à l’échelle du territoire, et de pouvoir mesurer précisément la qualité des sols, pour ensuite hiérarchiser leur usage dans le cadre d’une réglementation plus contraignante.