Un enjeu fondamental
- le 1er janvier 2016, l’interdiction de planter disparaîtra au niveau européen ;
- jusqu’au 31 décembre 2018, chaque pays pourra, s’il le souhaite, prolonger le système ;
- dès le 1er janvier 2019, tout le monde pourra planter de la vigne où bon lui semble.
Quels dangers ?
Les dangers d’une libéralisation des plantations sont tels que les vignerons s’emploient depuis plusieurs mois déjà à sensibiliser les autorités publiques et communautaires. La prise de position de 11 pays producteurs membres de l’Union européenne (UE), demandant à la Commission de modifier la législation communautaire avant le 1er janvier 2016 constitue une avancée importante. Pour autant, ces Etats ne représentent pas à eux-seuls une majorité de vote au sein du Conseil des ministres de l’UE et pour l’instant aucune perspective de réouverture des discussions n’est prévue. La mobilisation doit donc se poursuivre.
La régulation : un enjeu prioritaire
Que se passera-t-il donc le 1er janvier 2016 ? Une "rupture", à n'en pas douter, estime la Cnaoc.
Imaginé en France dès 1936, la Communauté européenne a repris à son compte en 1972 le régime des droits de plantation. Mais le vent de libéralisation qui souffle sur la scène européenne n’a pas épargné le vin. C’est ainsi que la fin de l’encadrement du potentiel de production est écrite. Pour justifier cette décision, la Commission européenne estime que c’est un frein au développement des exploitations qui disparaît.
Place à une liberté totale de planter. Pourront être revendiqués en AOC et en IGP (ex-vins de pays) tous les vins qui respecteront le cahier des charges. Pourront venir diversifier l’offre, des vins sans indication géographique (vins sans IG) avec la souplesse qu’on leur connaît : rendement illimité, pratiques œnologiques élargies, valorisation dans l’étiquetage, etc.
Sur le papier, le discours est alléchant. En réalité, il relève davantage d’une illusion car les conséquences de la libéralisation sont beaucoup plus graves qu’il n’y paraît.
Une procédure complexe
Pour revenir sur la libéralisation des droits de plantation, il faut une proposition de la Commission, puis une décision des 27 pays membres de l’Union européenne en accord avec le Parlement européen. Le tout avec des règles de vote à la majorité absolue extrêmement complexes.
Pour obtenir une majorité de vote au sein de l’Union européenne, il faut rassembler 14 Etats membres et 255 voix. Le groupe des pays signataires de la lettre à la Commission réunit 11 Etats membres et seulement 182 voix. Il faut encore 3 Etats membres et 73 voix pour espérer emporter le vote.
Cela signifie que la mobilisation auprès des autres pays producteurs (Grèce, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie et Malte) doit se poursuivre, mais elle ne sera pas suffisante car les pays producteurs de vin ne représentent que 218 voix. Il faudra tôt ou tard recueillir le soutien d’un ou de plusieurs Etats consommateurs qui, pour l’instant, sont totalement indifférents. Le réseau des collectivités locales constituera aussi un soutien important.
L'urgence de prendre une décision
Aucune perspective de réouverture des discussions n’est prévue.
A l’exception de la réforme de la PAC, aucun texte européen sur la viticulture n’est inscrit à l’ordre du jour des institutions européennes avant le 1er janvier 2016. Certains considèrent que le sujet des droits de plantation doit être traité à l’occasion du rapport d’étape sur l’OCM que la Commission doit rédiger en 2012. Les vignerons au contraire estiment que cette question doit être tranchée dès 2011.
Repousser la discussion après 2012 et s’en remettre à un rapport d’étape est dangereux :
• rien ne contraint la Commission à faire une proposition législative à l’issue de ce rapport d’étape
• l’élargissement à d’autres sujets viticoles risque de diviser les pays producteurs comme ce fut le cas en 2008 (ex : chaptalisation)
• la lourdeur du processus décisionnel risque de créer des difficultés à prendre une décision avant la fin de l’année 2015
• enfin le renouvellement de la Commission en 2014 pourrait déboucher sur un immobilisme législatif dans les mois qui précéderont.
A l’heure actuelle, ni la Commission, ni les Etats membres, préoccupés par la réforme de la PAC, n’ont prévu de rouvrir à court terme la discussion sur la régulation du potentiel de production viticole.
Le renvoi de la discussion à plus tard risque de déboucher sur le statu quo, c’est-à-dire sur la libéralisation des droits de plantation. Les vignerons demandent au Conseil des ministres d’acter très vite les nouvelles positions et à la Commission de mettre sur la table dès 2011 une nouvelle proposition législative.
La déstabilisation des marchés et de la filière
Conséquence immédiate de la liberté de planter : l’augmentation de la production et le déséquilibre entre l’offre et la demande. En première ligne, les AOC pourraient voir leur production tripler avec plus d’1 million d’hectares disponibles en aire d’appellation.
S’agissant des vins sans IG, la situation est tout autant préoccupante. Leur production pourrait augmenter dans les zones mixtes, à proximité des aires d’appellation, mais aussi dans des régions où il n’existe actuellement aucun vignoble. Certains départements non viticoles ou des pays d’Europe centrale ont déjà manifesté leur intention de créer de nouveaux vignobles.
Bien entendu, cette liberté profitera au vigneron en place, mais également à tout agriculteur ou investisseur qui souhaiterait soit se diversifier, soit se reconvertir.
Un impact collectif majeur
Les conséquences à terme d’une libéralisation des droits de plantation sont dramatiques pour la collectivité :
• Sur les paysages, avec la délocalisation de certains vignobles des coteaux vers la plaine plus facile d’accès et proche de la ressource en eau ;
• Sur l’environnement (biodiversité, érosion des sols) et l’aménagement du territoire ;
• Sur le tourisme, où la route des vins a fait le succès de certaines régions ;
• Sur l’emploi, avec une concentration de l’offre et la disparition des petites exploitations familiales ;
• Sur l’image du vin.
Au niveau individuel, les droits détenus en portefeuille perdront toute valeur et le prix du foncier pourrait se trouver fortement affaibli par l’évolution du marché.
Objectif : réintroduire un instrument de régulation du potentiel
Que le régime des droits de plantation évolue parce que la Commission le trouve trop rigide, là n’est pas le problème. Pourvu que l’on revienne sur le principe d’une liberté de planter sans aucun garde-fou. Cela passe par la réintroduction d’un instrument qui permette de maîtriser le potentiel de production. Et cela vaut tant pour les AOC et les IGP que pour les vins sans IG. Au final, deux objectifs doivent permettre de répondre aux enjeux individuels et collectifs :
- accompagner le développement des exploitations et la diversification des productions ;
- assurer un équilibre entre l’offre et la demande
Jusqu’à présent, les décideurs étaient peu, voire pas mobilisés sur le sujet. La Commission européenne, on le sait, est très fermée. Les Etats membres sont longtemps restés silencieux : seule l’Allemagne avait pris une position forte en 2010 et la France l’a rejointe en début d’année avec l’intervention du Chef de l’Etat.
« Je suis opposé à la libéralisation des droits de plantation. Supprimer ou libéraliser les droits de plantation [..], c’est condamner à terme une culture du savoir-faire et de la qualité.[…] C’est une idée qui conduira à la catastrophe » Nicolas Sarkozy, le 18 janvier 2011, lors de ses vœux au monde agricole
Le 4 avril, un colloque est organisé par le groupe d’études viticole du Sénat, présidé par Gérard César, sur le thème des droits de plantation. Outre la participation importante de 200 personnes, cet évènement rassemble des parlementaires de plusieurs pays membres de l’Union européenne. Tous s’accordant à dire que le mécanisme de régulation de la production ainsi que la spécificité viticole devaient être maintenus dans la prochaine réforme de la Pac. Le ministre de l’Agriculture, Bruno le Maire, fait part de sa démarche visant à rassembler d’autres pays autour d’une position forte. Ainsi :
- Quelques jours après le colloque, l’Italie, l’Autriche et la Hongrie se déclarent opposées à la libéralisation des droits de plantation.
- Le 14 avril, 9 pays producteurs (Allemagne, France, Italie, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Portugal et Roumanie) adressent une lettre à la Commission dans laquelle ils se déclarent favorables à l’encadrement des droits de plantation au-delà de 2015. Ils demandent à cette dernière de modifier la réglementation communautaire avant le 1er janvier 2016 de façon à maintenir un encadrement des plantations au niveau européen et pour tous les vins.
- Début mai, la ministre espagnole à l’agriculture répond publiquement à « l’accusation » du président de la communauté autonome de la Rioja en affirmant que l’Espagne est contre la libéralisation des droits de plantation et que s’il le faut, elle signera la lettre. Il en sera ainsi courant mai.
- Fin mai, la République Tchèque à son tour se déclare contre cette libéralisation des droits de plantation, portant ainsi le nombre de pays mobilisés à 11.
- Le 23 juin 2011, le Parlement européen adopte le rapport Dess sur le futur de la PAC. Les députés européens demandent le maintien des droits de plantation au-delà de 2015 et souhaitent que cette question soit traitée dans le cadre du rapport d’étape que doit rédiger la Commission en 2012.