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Yves Durand

Une carrière passionnante !

Après quarante années au service des éleveurs et de la filière viande, Yves Durand s’apprête à prendre sa retraite. L’occasion de retracer, à travers son parcours professionnel, quatre décennies de découvertes sur la qualité de la viande charolaise.
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Il est connu comme le loup blanc, « Dudu » ! Technicien à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire depuis près de quarante ans, Yves Durand est devenu l’un des plus incontournables experts de l’élevage allaitant et de la viande charolaise. Si sa notoriété dépasse largement les frontières départementales, cela ne l’a pas empêché de rester un authentique homme de terrain, tutoyant des savants, mais demeurant très proche des gens de la filière. Yves Durand, c’est d’abord un contact chaleureux, peu commun en ces froides contrées. Cet accent méridional qui réchauffe. Ces bons mots qui mettent à l’aise et cette bonne humeur si communicative.
Une attitude tellement avenante qu’elle a sans doute joué son rôle dans la carrière remarquable de ce bouillonnant passionné. Car il ne suffit pas d’être un bon chercheur, encore faut-il savoir faire partager ses découvertes !
Ardéchois d’origine, fils d’agriculteur dans la vigne, l’arboriculture et le lait, le jeune Yves Durand n’était au départ pas du tout attiré par l’élevage bovin viande et le berceau charolais. BTS en poche, il débuta sa carrière comme moniteur de Maison familiale dans le Calvados, où l’élevage laitier et les productions végétales constituaient son domaine de compétences. Mais en 1975, une opportunité de se rapprocher de son Ardèche natale se présenta : un poste était à prendre à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Lui qui ne voulait pas entendre parler de charolais s’est retrouvé technicien de secteur à Charolles ! La sécheresse de 1976 scella ses débuts dans le département. « Dans ce moment difficile, j’ai appris à connaitre les gens, à les apprécier. J’ai découvert ce qu’était le système allaitant charolais. Les éleveurs m’ont beaucoup aidé. Je leur en rendrai toujours hommage », confie aujourd’hui Yves. De 1975 à 1988, le jeune technicien a beaucoup appris du terrain. « La ferme de Jalogny qui existait déjà à l’époque était ma référence », avoue-t-il. Une formation dispensée par l’INA Paris Grignon lui a également permis de parfaire son expertise dans l’alimentation animale.

L’essor de la ferme de Jalogny


En 1988, Yves postulait pour devenir responsable de la ferme de Jalogny. Un an plus tard, l'équipe de la chambre d’agriculture alors présidée par Paul Rhéty et dirigée par Pierre Terrier décidait de donner une dimension nouvelle à l’outil. C’est ainsi que furent lancés les premiers travaux portant sur la qualité de la viande avec l’Institut de l’élevage, la ferme des Sardières (01) et le lycée de Charolles. Le cheptel passait alors de 40 à 120 vaches allaitantes. Tandis que les premiers essais sur la qualité de viande démarraient, le champ des partenaires de Jalogny s’est élargi (Inra, Adiv, Enesad Dijon…). Dans le même temps, la ferme s’est mise à accueillir 50 à 60 groupes en visite par an et le responsable du site animait sur place 30 à 40 repas dégustation… « J’assumais tout ! C’était devenu un peu lourd… », se souvient Yves. C’est alors qu’il s’est vu proposer de poursuivre sa mission dans un autre cadre que la ferme de Jalogny. En 2000, l’Institut charolais ouvrait ses portes avec à sa tête, Yves Mercier. Toujours salarié de la chambre, Yves Durand s’est alors mis à travailler dans le cadre de ce nouvel outil et avec le directeur de l’Institut, scientifique de son état, le technicien a élargi encore son réseau au sein même de l’Inra.
Car au-delà du contenu même des recherches qu’il a contribué à faire avancer, Yves a surtout été un formidable catalyseur relationnel entre les acteurs. D’ailleurs, il est sans doute l’un des rares intervenants de la sphère charolaise à avoir côtoyé tous les maillons de la filière : les scientifiques certes, mais aussi les bouchers, chevillards, abatteurs, négociants, marchands d’aliments, grossistes, restaurateurs… Il les connaît tous !
« Autrefois, les éleveurs travaillaient, sélectionnaient entre eux sans s’occuper du produit final. Petit à petit, on s’est mis à travailler avec les chevillards, les bouchers pour prendre en compte leurs préoccupations », explique Yves. C’est ainsi que dès le début des années 1990, des travaux portant sur la qualité des viandes ont été lancés tels que l’influence du vêlage ou celle du maïs ensilage.

Les vertus du lin et de l’herbe


Pendant toutes ces années d’expérimentations, Yves Durand a contribué à la redécouverte d’un véritable savoir-faire d’éleveurs. Des pratiques traditionnelles typiques du bassin charollais qui se sont avérées de véritables atouts pour la qualité et sa valorisation. A l’instar du lin que le jeune technicien découvrit à son arrivée en Saône-et-Loire, lui qui ne connaissait alors que la référence soja en production laitière… Un lin plus cher que le soja et moins riche, mais que les éleveurs charolais disaient meilleur… « Les travaux menés à Jalogny ont permis de se rendre compte que le tourteau de lin donnait des arômes supérieurs à la viande charolaise, du fait d’une digestion plus lente et de la présence des fameux oméga 3 », explique le technicien. Plus tard, en pleine recherche d’alternative au soja, il s’est avéré que la meilleure source de protéines était encore l’herbe. « Des essais ont permis de démontrer que la finition à l’herbe procurait plus d’oméga 3 que toute adjonction de tourteau à l’auge ! Un plus indéniable pour notre système d’élevage », fait remarquer Yves. En outre, en comparaison d’une finition hivernale à l’auge, « une finition à l’herbe printanière procure à la viande un surplus de vitamine E dont l’effet antioxydant permet une meilleure conservation ». Avec l’avènement des signes de qualité, Yves Durand s’est mis à encadrer des recherches sur l’effet de l’âge à l’abattage. C’est ainsi qu’il a pu montrer qu’au-delà de 10 ans, la viande était plus ferme du fait d’une teneur supérieure en collagènes, lesquels devenaient moins solubles.
Les travaux sur la caractérisation des viandes menés à l’Institut charolais ont mis en exergue que « notre système de production à l’herbe et au lin procure une viande qui mature plus vite et mieux avec des arômes plus riches et plus importants… », synthétise Yves Durand. Une donnée qui aura été décisive dans l’écriture du cahier des charges de l’AOC Bœuf de Charolles.

Percer les mystères du grain de viande


Pour qui pénètre dans le monde captivant de l’élevage charolais, impossible de passer à côté du grain de viande. Une expression connue de tous les professionnels de la filière mais que personne ne peut expliquer. Avide de tout comprendre, Yves Durand est parvenu à convaincre l’Inra, l’Enesad (Agrosup Dijon), le CNRS de se pencher sur la question. En dépit d’un certain mépris des instances parisiennes, le technicien saône-et-loirien et l’Inra sont parvenus à caractériser ce fameux grain de viande. Ils sont d’ailleurs les seuls au monde à l’avoir fait ! « Un grain fin traduirait un rendement et une tendreté supérieurs », énonce Yves. En vif, le grain de viande peut être prédit à partir de 16 critères : encornure, masses musculaires, attache de queue, souplesse du cuir, etc… Une modélisation qui donne raison aux éleveurs, négociants, chevillards et autres bouchers qui n’avaient pas attendu les équations des ordinateurs pour ne pas se tromper ! Sur carcasses, les recherches n’ont pas tout à fait abouti, regrette Yves, le lien entre grain de viande fin et tendreté n’étant pas prouvé pour l’heure. Ces travaux valent au technicien d’intervenir désormais dans la formation des juges agréés pour les concours HBC.


Inventeurs de l’analyse sensorielle


En repensant à tous ces travaux passionnants menés dans le cadre de l’Institut charolais, Yves regrette parfois le manque de retentissement dont ils ont bénéficié. « Alors que la filière viande bovine risque de souffrir de plus en plus, la charolaise a la chance d’être une race reconnue et qui possède des structures et des hommes qui travaillent sur la qualité de ses produits. Elle est d’ailleurs la seule au monde à travailler sur des thèmes comme l’analyse sensorielle avec des jurys opérationnels », fait remarquer le technicien. Une analyse sensorielle, développée au sein du Syndicat du Bœuf de Charolles, dont il avoue être très fier et qui a valu à l’Institut charolais de former les juges du prestigieux concours général agricole des produits à Paris. C’est de ce savoir dont Yves se sert lorsqu’il anime des dégustations de viande bovine. Une activité dont il s’est fait une spécialité et qui sera l’une des nombreuses occupations de sa nouvelle vie de retraité.




Un classement des viandes révolutionnaire ?


Ces dernières années, avec l’Institut charolais, Yves Durand s’est penché sur un système original de classement des viandes. « Pour l’heure, nous n’avons pas d’outil de prédiction de la qualité et de la tendreté des viandes. En Australie, ce système existe. Il est bâti sur une vaste enquête préalable d’analyse sensorielle prenant en compte l’avis du consommateur couplée au recueil des données sur l’animal. Il en émane une équation de prédiction permettant d’attribuer une note de qualité au morceau de viande selon son origine et son élaboration. Plus de la moitié de la viande bovine australienne serait soumise à ce système de différenciation qualitatif nommé MSA. Un dispositif qui a permis d’enrayer la baisse de consommation en Australie. Le système serait adaptable chez nous », explique Yves. France, Irlande et Pologne y travaillent. Des craintes planent toutefois quant au risque de voir contredire certains signes de qualité. Mais pour Yves, le jeu en vaudrait la chandelle car alors que les signes de qualité français représentent moins de 20 % de la viande bovine vendue, le système MSA en surclasserait davantage.