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Exposition aux phytos

Une première "victime" indemnisée

La Commission d’indemnisation des victimes d’infraction pénale (Civi)
d’Epinal a jugé recevable, le 23 avril, la demande d’indemnisation d’un producteur de céréales  de Rambervilliers, dans les Vosges, exposé de manière
chronique pendant vingt ans aux produits phytosanitaires et atteint,
depuis 2002, d’un syndrome myéloprolifératif.
Par Publié par Cédric Michelin
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La décision rendue le 23 avril par la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction pénale siégeant au Tribunal de grande instance d’Epinal est une première, et une nouvelle brèche pour les agriculteurs victimes d’exposition aux phytosanitaires qui, de tribunal en caisse de Mutualité sociale agricole, cherchent à faire reconnaître la faute commise à leur égard et obtenir réparation.
Cette initiative inédite dans le monde agricole revient à l’avocat parisien François Lafforgue : « il y a quelques années, nous avons saisi la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (Civi) pénale pour l’association des victimes de l’amiante. Nous avons aussi engagé cette procédure pour les enfants atteints de saturnisme par pollution au plomb... C’est une procédure que nous connaissons assez bien, et j’ai eu l’idée de l’appliquer aux agriculteurs victimes d’exposition chronique aux phytosanitaires ». En particulier, à Dominique Marchal, un céréalier vosgien de 54 ans, exposé pendant vingt ans à plusieurs produits phytosanitaires (1), et atteint depuis 2002 d’un syndrome myéloprolifératif, reconnu maladie professionnelle le 18 décembre 2006 par le Tribunal des affaires de Sécurité sociale d’Epinal. Le choix de cette voie judiciaire originale, facilitée par cette reconnaissance préalable, fut au final bien inspiré puisque la requête de l’agriculteur, déposée le 27 mai 2011, a été jugée recevable, le 23 avril dernier, par la Civi.

Civil : une procédure qui indemnise sans condamner


Selon l’avocat François Lafforgue, la saisie de la Civi s’imposait dans cette affaire, au moins dans un premier temps. Ce qui n’était pas le cas pour son autre client Paul François, ce céréalier charentais intoxiqué au Lasso et qui a gagné son procès face à Monsanto, par décision duTtribunal de grande instance (TGI) de Lyon le 13 février dernier. « Pour Paul François, il s’agissait d’un accident survenu dans son travail, avec un événement limité dans le temps et dans l’espace et un fabricant clairement identifié - la société Monsanto - puisqu’il y avait eu utilisation d’un seul produit ». Pour Dominique Marchal, l’exposition est chronique, sur plusieurs années et relève de différents produits - « donc de différents fabricants, à mettre potentiellement en cause. Ils sont clairement identifiés, mais très nombreux - sans que l’on puisse dire avec certitude que la maladie est due à l’un ou à l’autre des produits ou à l’ensemble des produits combinés. Donc, en termes de responsabilités, on a une multiplicité de responsables ». Autant d’arguments pour s’engager d’abord devant la Civi, qui a pour finalité de faciliter l’indemnisation des victimes d’infraction au-delà notamment des lenteurs des procédures pénales. Cette commission présente au sein de chaque tribunal de grande instance peut en effet décider qu’il existe une infraction pénale, même sur un dossier dans l’attente d’un jugement pénal. En revanche, si la juridiction pénale a déjà jugé qu’il n’existait pas d’infraction, la Civi ne peut alors plus statuer. Une fois l’infraction reconnue, la commission permet à la victime d’être indemnisée, sans toutefois jamais condamner le ou les auteurs de l’infraction. « Contrairement à ce qui a été dit, l’Etat n’a pas été condamné dans cette affaire : la commission se prononce sur la base des écritures échangées entre le demandeur et le fonds de garantie, qui est un fonds qui représente la solidarité nationale et qui est censé indemniser la victime », explique François Lafforgue. Aucun fabricant de produits phytosanitaires n’a pas non plus été condamné. « Mais des responsables ont pu apparaître à l’occasion de cette procédure », note l’avocat.

Des infractions qui font écho à l’affaire Monsanto


Dans sa décision du 23 avril, la Civi relève « une ou plusieurs infractions pénales ». Elle fait notamment mention d’étiquetages « flous », voire totalement incomplets, pour certains produits. C’est le cas du Genoxome : il est le produit qui contient la plus forte concentration de benzène, une substance reconnue par la MSA comme susceptible de déclencher de graves maladies dont le syndrome myéloprolifératif (la substance a pour cette raison entraîné la révision de la liste des maladies professionnelles agricoles en 1988). Or, malgré sa dangerosité reconnue, l’étiquetage du Genoxome, au moment des faits, indique seulement qu’il peut être irritant pour les yeux et la peau et que sa manipulation nécessite donc simplement le port de gants et un équipement de protection des yeux et du visage. Cela relève d’une infraction pénale, selon la Civi, qui pointe le défaut de mention des précautions d’utilisation à suivre et des risques particuliers encourus par l’Homme. Au-delà du Genoxome, la présence de benzène n’est tout simplement pas mentionnée sur l’ensemble des emballages et des fiches de sécurité des produits phytosanitaires transmis par Dominique Marchal à la juridiction. La commission observe également que « le simple fait de mettre sur le marché une substance aussi dangereuse pour l’Homme, est constitutif d’une faute d’imprudence, quelles que soient les autorisations administratives éventuellement obtenues, qui ne sont pas de nature à exonérer de toute responsabilité l’industriel qui connaît nécessairement - compte tenu des professionnels de haut niveau qu’il emploie - le caractère dangereux des produits qu’il met en vente ». Ces arguments ne sont pas sans rappeler les causes invoquées par le TGI de Lyon dans sa décision de condamner, le 13 février dernier, l’entreprise Monsanto. Une sanction susceptible d’inspirer Dominique Marchal pour donner une suite pénale à son affaire. « C’est à la victime de se retourner contre les responsables, si elle le souhaite », précise François Lafforgue. Pour le moment, rien n’a été décidé par l'agriculteur des Vosges. « Nous en discutons ».
Mais des délais de prescription pourraient notamment entraver la poursuite de sa démarche judiciaire. Le montant de l’indemnisation obtenue par Dominique Marchal devrait être fixée à l’automne, note l’avocat, après expertise médicale ordonnée par la commission pour évaluer le préjudice. D’autres agriculteurs sont également en attente de décision de la Civi.


La maladie de Parkinson provoquée par les pesticides reconnue maladie professionnelle


Attendu depuis des mois, le décret établissant un lien de causalité entre la maladie de Parkinson et les pesticides est paru au Journal officiel du 6 mai. Il permet la création d'un nouveau tableau de maladie professionnelle agricole auquel tout agriculteur peut désormais se référer en vue d'une prise en charge par la Mutualité sociale agricole. Le décret prévoit par ailleurs la mise en place d'un autre tableau, relatif cette fois-ci aux affections cancéreuses provoquées par l'Aldéhyde formique et ses polymères. Ce qui porte le régime agricole à un total de 67 tableaux contre 112 pour le régime général. D'après la MSA, seulement 16 exploitants et 31 salariés agricoles, de 2002 à 2010, sont parvenus à faire reconnaître en maladie professionnelle leur pathologie survenue à la suite d'une exposition à une substance phytosanitaire.




(1) Lors de la procédure, Dominique Marchal a indiqué avoir utilisé de « l’Actril, Actril M, Pilot fabriqués par la société Philagro France SA, du Novall et de l’Opus, commercialisés par la société BASF Agro SAS, du Deltagrain, Mesurol pro, Pearl, Puma commercialisés par la société Bayer SA, anciennement Bayer Crop Science France, du Prodica, Actellic, Celio, Defi, Genoxone, Quino ACFL commercialisés par la société Syngeta Agro SAS (anciennement Novartis Agro), Ciba Geigy, Zenaca, Sandoz agro et la Quinoléine du brior flor, Calidan, Impact RM, Planeter, et du Corvet flo, du Gesaprime, Cesaprime 90 ainsi que l’Atrazine 500 ». Il a également été exposé à des produits contenant du benzène, du toluène et des alkyls de benzène, comme l’a relevé l’analyse menée par l’expert toxicologue nommé par le Tribunal des affaires de sécurité sociale d’Epinal : il s’agit du « Bifix, Decis, Actellic, Brassix, Puma, Starane200, ainsi que des produits suscités Pearl, Genoxone, Opus, Defi et Pilot ». 

« Cette indemnisation ne doit pas rester un acte isolé »



Satisfaite de la décision de la Civi, la Confédération paysanne espère que cette indemnisation en faveur de Dominique Marchal ne demeure pas un acte isolé, d’après un communiqué daté du 2 mai. Le syndicat demande aux pouvoirs publics « de faire enfin des choix courageux qui protègent la santé des paysans avant les profits de quelques grosses firmes phytopharmaceutiques ». La réduction de l’utilisation des pesticides de 50% doit dans ce sens « être encouragée voire accélérée ».