Un hackathon intelligent et pas artificiel
Le 11 mars à Cluny, le Hackathon VinEquip débutait. Deux jours pour « hacker » l’Intelligence artificielle sur le thème de la vitiviniculture. Cette trentaine de hackeurs était donc là pour mélanger leurs savoirs, sur l’informatique, la filière, la viticulture… Et pour leur donner des idées, une conférence inaugurale avait lieu. L’occasion de défricher l’IA et ses conséquences sur la filière.

Évidemment, l’IA est un mot à la mode pour attirer les investisseurs et vendre des services (sans forcément de nouveautés parfois). « L’IA est un concept fourre-tout, pas très scientifique », débutait David Fofi. Pourtant, à écouter les experts, nul doute que l’IA va profondément changer nos vies, nos sociétés et nos métiers. En bien et en moins bien. « Pas de positivisme, il y a des avantages, des inconvénients et des risques », prévenait-il faire une présentation « neutre sur l’état de l’art », lui qui est professeur à l’Université de Bourgogne au Creusot. Pour lui, l’IA peut être définie au sens large par « des méthodes d’apprentissage profond par intelligence seule qui vient de l’image », lui qui travaille au laboratoire ImVia, spécialisé dans la « vision par ordinateur ». Son collègue enseignant chercheur à AgroSup Dijon, Jean-Noël Paoli faisait le lien avec « l’extraction des informations des caméras » en viticulture durable, sur laquelle travaille son laboratoire. Une « imagerie multimodale » faite d’infrarouges, multispectrales, multidimensionnelles… qui sert déjà pour la robotique, en vue de la « manipulation » d’objets, et peut-être demain donc de grappes de raisins.
Gérer la complexité naturelle
« Nos communautés de recherche ont vite adopté ces IA, car quand on ne sait pas modéliser un problème, on ne le modélise pas ! Mais l’IA le fait », enfin essaye, avec tous les paramètres possibles et imaginables que représente la nature ou ici, une vigne « qui compose le problème ». C’est pourquoi l’IA « s’invite du cep à la bouteille » dans toute la filière, élargissaient-ils déjà. « L’IA aide à gérer la complexité ». Une complexité amenée à s’agrandir encore avec « les chocs climatiques et environnementaux ».
Pour autant, qui dit données, dit capteurs de partout (dans les sols, dans les vignes, dans les airs). Pour l’heure, le meilleur capteur reste le vigneron. L’IA est le « truc qui va combiner et fusionner » ces informations. Actuellement, les indices de végétations (NDVI) ne peuvent pas « dissocier feuilles ou isoler les grappes ». L’IA apprend à le faire et au-delà, « sépare le tronc, les bois… », alors même que « leurs aspects » changent au cours des saisons ou des cépages. « L’IA donne du sens à des groupes de pixels et associe une sémantique » humaine intelligible (pas intelligence).
Superviser l’apprentissage et ses biais
Si cela est déjà un premier pas important, c’est avec la compilation de données – rendements, météos, hygrométrie… — que l’IA arrive à « se débrouiller » pour proposer des modèles prédictifs « peut-être meilleurs ou estimés meilleurs ». Avant, tout le travail des chercheurs est avant de « récolter plein de données, de les nettoyer et de les structurer » pour l’IA. « C’est très important. Il faut équilibrer l’apprentissage. Si, on montre que des chats en images, l’IA reconnaît moins bien les chiens. Et pareil, si on montre que des chats noirs, l’IA ne va pas apprendre à reconnaître les autres ». Les chercheurs « supervisent l’apprentissage ». Et c’est bien ce qui inquiète les politiques lorsqu’il ne s’agit pas de chats, mais de sujets géopolitiques ou de valeurs sociétales.
Si tout ceci semble « génial » sur le papier, en réalité derrière se cache des humains qui « nourrissent » l’IA en cliquant sur des milliers d’images… comme nous tous, lorsqu’on fait un captcha (reconnaître les feux routiers…) sur le web pour s’authentifier en tant qu’humain. « Sinon, le coût d’apprentissage est de 50 à 70 € pour détourer une baie » manuellement, et encore sans savoir si la baie à des symptômes de maladie. « Ça peut vite coûter cher ».
« Comme un écoulement nasal en photo, est-ce une grippe, un rhume ou le Covid ? ». En vigne, les chercheurs espèrent contourner le problème avec des « lumières polarisantes changeant la couleur des baies » et potentiellement croiser des données en lien avec « des signatures » de maladies.
Jean-Noël Paoli donnait son « avis personnel » pour conclure : « au début, on pensait qu’avec des longueurs d’onde, ce serait nickel » (imagerie multispectrale), d’identifier les maladies pour « voir avant la moindre tache sur feuille. En vrai, ce n’est pas si simple, ni suffisant. Rien n’est magique. Il faudra plus de données, plus de résolutions… ». L’IA est finalement encore largement dépendante de beaucoup de paramètres physiques et naturels.