Prairies
La pousse de l'herbe est loin d’être excédentaire !

Marc Labille
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Fin avril, s’appuyant sur « l’indicateur de rendement des prairies » Isop, le ministère de l’Agriculture annonçait une pousse d’herbe excédentaire… Sur le terrain, la situation est toute autre avec un déficit de rendement de l’ordre de – 30%. La précocité du démarrage, consécutive à un hiver trop doux, serait l’explication de ce bug statistique… Le point sur un début de saison inquiétant.

La pousse de l'herbe est loin d’être excédentaire !
En dépit d’un démarrage précoce avec 15 jours d’avance, la pousse de l’herbe demeure déficitaire depuis le mois de mars entraînant des pertes de récoltes et un pâturage tendu.

Dans une note de conjoncture sur les prairies du 30 avril dernier, Agreste (service statistique du Ministère de l’Agriculture) parlait d’une production cumulée des prairies permanentes excédentaire de +46 % par rapport à la pousse de référence de la même période. Une affirmation qui a beaucoup surpris dans le département... Alors qu’aucune goutte d’eau n’était tombée durant sept semaines, la note nationale allait jusqu’à y voir « un début de campagne favorable à la pousse de l’herbe » qui devait permettre, selon elle, « un excédent de production pour 83 % des régions fourragères de la moitié nord de l’Hexagone ».

Démarrage avec 15 jours d’avance

Fin mai, c’est un constat complètement différent que faisaient tous les conseillers fourragers de la zone Bourgogne Franche-Comté. En Saône-et-Loire, les techniciens font état d’un pâturage de plus en plus tendu et de pertes de rendement significatives sur les récoltes. « Cette année, la pousse a démarré plus tôt avec 15 jours d’avance en sommes de températures mais jusqu’à début mai, cela n’a jamais vraiment décollé », rapporte Antoine Buteau, conseiller fourrager à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Et les mesures réalisées dans les prairies du département le confirment : « début avril, la pousse atteignait 60 kg de matière sèche par jour et par hectare, mais vers le 14 avril, elle était retombée à 30 kg M.S./j/ha du fait des gelées matinales et du manque d’eau. Ensuite, la pousse est remontée à 50 kg M.S./j/ha. Mais, à l’exception d’un pic à 87 kg M.S./j/ha vers le 10 mai, elle n’a jamais atteint la normale qui est de 80-100 kg M.S./j/ha habituellement. Au moment des Saints de Glace (11, 12, 13 mai), le vent du nord et le refroidissement ont fait à nouveau chuter la pousse à 30 kg M.S./j/ha », détaille Antoine Buteau.

Déficit sur les ensilages et les premiers foins

La semaine dernière encore, malgré des températures redevenues favorables, la pousse ne parvenait pas à atteindre son pic de saison. L’avance au pâturage était en train de fondre et l’on espérait un épisode pluvieux les premiers jours de juin…

Loin de l’excédent de production prédit par Agreste, les premiers retours de récolte en Saône-et-Loire confirment un déficit. « Les ensilages de prairies temporaires sont corrects dans l’ensemble mais ceux de prairies permanentes montrent des pertes de rendement. Dans les premiers foins, on observe des pertes de récolte de l’ordre de – 30 % », rapporte Antoine Buteau qui signale même un déficit de – 44 % sur les ensilages d’herbe récoltés à la ferme de Jalogny par rapport à l’année passée ! Et dans le département, de grosses disparités ont été observées sur les ensilages de méteils où il manque jusqu’à - 30 voire - 40 % par rapport à la normale.

Prairies dégradées et sources taries

Loin de l’optimisme diffusé par le ministère à la fin du mois d’avril, c’est une situation préoccupante qui est décrite en Saône-et-Loire. « Un début de saison sans précipitation et sans pousse qui est intervenu sur des prairies déjà dégradées par la sécheresse de 2019 », rapporte Antoine Buteau. Face à ce nouveau spectre de sécheresse, « certains éleveurs ont préféré sacrifier des parcelles pour y parquer des animaux qu’ils ont commencé à affourager. D’autres ont au contraire ouvert des parcelles destinées à la fauche. D’autres encore ont choisi de faucher plus tôt que d’habitude en espérant faire une seconde coupe ». Tout cela conduit d’ores et déjà vers une situation avec moins de surfaces à faucher et moins de rendement, conclut le conseiller. Un autre problème refait surface cette année : des difficultés d’abreuvement vont se multiplier du fait du tarissement de sources. À ce stade, seul un mois de juin pluvieux pourrait changer la donne…

Constatant le décalage entre les données nationales d’Agreste et leurs relevés de terrain, l’ensemble des conseillers fourragers des départements de Bourgogne Franche-Comté ont alerté la Draaf. L’anomalie proviendrait de l’Indice Isop (indicateur de rendement des prairies permanentes) qui aurait été faussé par la grande précocité du démarrage de la pousse. Un reparamétrage de ce savant indice semble urgent. Car l’effet de l’annonce d’Agreste aura agacé les éleveurs et la « fakenews » engendrée n’est pas de nature à arranger une profession déjà bien malmenée.

Leurré par un démarrage très précoce…

Dans un point de la situation climatique au 13 mai, l’Institut de l’élevage évoque un déficit de précipitations marqué dans l’Est en avril, avec un assèchement des sols superficiels. Ce serait l’un des débuts de printemps les plus secs en Europe occidentale. L’Institut précise par ailleurs que si au 20 avril, l’indicateur Isop présentait une pousse d’herbe excédentaire, c’est parce qu’il s’agit « d’un cumul de pousse depuis le 1er février, comparé à la moyenne 1989-2018. À ce stade, l’excédent 2020 traduit principalement un démarrage de l’herbe plus précoce lié aux températures douces de cet hiver ».