Logistique Cérévia
Le casse-tête de l'acheminement du grain à Fos-sur-Mer

Cédric MICHELIN
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Cérévia, union de coopératives agricoles dont notamment Bourgogne du Sud, est confrontée depuis le début de l'année à une cascade de problèmes qui handicapent le transport de cargaisons destinées à l'export, vers le port méditerranéen. Et le Covid-19 est encore venu compliquer la donne...

Le casse-tête de l'acheminement du grain à Fos-sur-Mer

Il y a quelques années, l'expression « Annus horribilis » avait été utilisée pour traduire les multiples épreuves traversées par la famille royale britannique. Depuis, elle a pris un sens plus général pour définir les ennuis qui, comme le remarquait Jacques Chirac en son temps, « volent en escadrille ». Elle pourrait donc aussi s'appliquer au début d'année vécu par Cérévia. L'entreprise, union de coopératives agricoles (Dijon Céréales, Bourgogne du Sud, Oxyane, Union Terre Comtoise) de Bourgogne Franche-Comté et d'Auvergne-Rhône-Alpes, basée à Longvic près de Dijon, est notamment en charge du transport de grains, depuis les silos situés en Bourgogne, jusqu'au port méditerranéen de Fos-sur-Mer, près de Marseille. Un transport qui s'est considérablement compliqué depuis plusieurs semaines. Tout commence le 18 février dernier près des Sablons, dans l'Isère, à mi-chemin entre Lyon et Valence. Une péniche, qui transportait 2.200 tonnes de gaz (chlorure de vinyle) est accidentée en sortant d'une écluse. Le bateau y reste coincé, les cales remplies de son chargement potentiellement très toxique. Cet accident a entraîné un long blocage du passage pour tout le trafic fluvial. Vider la cargaison du bateau aura réclamé une vingtaine de jours.

Contournement du blocage

À cela s'est ajoutée, du 8 au 19 mars, une activité annuelle d'entretien des écluses mais pour celle des Sablons, endommagée, cette période s'est prolongée jusqu'au 28 mars. « Pendant 40 jours, explique Philippe Tessier responsable du service Exécution et Logistique chez Cérévia, on s'est donc retrouvés bloqués. La seule solution qu'on a pu mettre en place pour permettre à nos cargaisons de rejoindre leur destination a été de charger des camions avec notre filiale Logivia, et des trains avec notre prestataire privé Europorte. Heureusement que nous avons pu nous appuyer sur eux dans cette situation difficile ! ». Une solution de substitution qui a eu un coût économique, inévitablement. Ce blocage fut d'autant plus déstabilisant que la voie fluviale est, habituellement, un mode de transport d'une grande fiabilité, économiquement et écologiquement intéressant. Les accidents de ce type y sont rares. Mais s'il n'y avait eu que l'accident de l'écluse des Sablons...

Aujourd'hui, Cérévia doit faire face à un autre problème qui affecte toujours le transport de ses grains : le Covid-19, le confinement et les risques sanitaires qui l'accompagnent. Il n'est heureusement plus question de blocage de la voie fluviale, mais, néanmoins, d'un fort ralentissement du trafic. La raison, cette fois-ci, se trouve du côté du personnel de Voies navigables de France (VNF) en charge du fonctionnement des écluses. « Les horaires de navigation ont été aménagés sur l’ensemble du bassin Rhône Saône dans le respect des consignes gouvernementales, précise-t-on chez VNF, afin de pouvoir préserver la santé de nos agents et de tenir compte de la nécessité, pour certains, de garder leurs enfants. Notre dispositif permet de respecter le principe d’un seul agent par jour et par écluse afin de limiter au maximum les risques de contamination, mesure prise pour répondre aux mesures de distanciation sociales instaurées par le gouvernement ». Éclusier n'est pourtant pas le métier le plus à risque. La profession a manifesté son mécontentement auprès de VNF , établissement public, alors que l'agriculture est jugée prioritaire dans cette crise. Le trafic connaît néanmoins des perturbations sur la Saône, où cinq écluses sont concernées.

« Une journée perdue »

« La conséquence, poursuit Philippe Tessier, c'est une baisse de l'amplitude d'ouverture des écluses. Désormais, elles sont fermées de 18 heures à 8 heures le lendemain matin. Cela se traduit par des pertes de temps, des pertes d'argent pour les mariniers. On comprend parfaitement la situation à laquelle VNF et son personnel sont confrontés et il n'est pas question pour nous de réclamer une ouverture complète des écluses. Néanmoins, nous avons demandé s'il était possible de réduire le créneau de fermeture de 21 heures à 5 heures mais pour l'instant, les choses n'évoluent pas, VNF mettant en avant la priorité donnée à la protection de ses salariés. Il faut savoir que les mariniers qui sont nos prestataires de services mettent, en temps normal, trois jours et demi pour descendre à Fos-sur-Mer. Avec les créneaux d'ouverture actuels, ils perdent l'équivalent d'une journée ».
Pour sa part, VNF précise que « la navigation est ouverte de 8h à 18h et les demandes d’éclusage exceptionnel en dehors de ces horaires sont toutes étudiées avec beaucoup de sérieux, en lien avec les transporteurs, afin de pénaliser le moins possible le transport de céréales notamment. Ainsi et à ce jour, toutes les demandes de passage aux écluses en dehors de heures d’ouverture ont été accordées. Les équipes de VNF sont très sensibles à la qualité du service fourni aux usagers ». Pour l'instant il est impossible de dire combien de temps cette situation peut perdurer. Mais, en bout de chaîne, les retards accumulés peuvent entraîner d'autres conséquences économiques. Car si la péniche n'arrive pas à destination à la date prévue, c'est le bateau destiné à prendre la suite en mer qui se retrouve bloqué, en attente au port. « Nous sommes dans le cadre de relations contractuelles, précise le représentant de Cérévia, mais si le chargement ne peut se faire dans le créneau prévu, cela engendre des extensions de contrat qui ne sont pas gratuites, voire des paiements d'indemnités à régler au propriétaire du navire ». Enfin, ce fonctionnement au ralenti est aussi porteur d'autres difficultés s'il se prolonge trop : elles pourraient concerner les capacités de stockage de grains en amont, alors que la prochaine moisson s'approche. Le retard vers Fos-sur-Mer ne permettra pas de faire suffisamment de place dans les silos pour accueillir la prochaine récolte. Si cela se confirmait, il faudrait transférer des grains sur d'autres zones de stockage et là encore, ce serait synonyme de coûts supplémentaires. Le pire n'est évidemment jamais sûr et la situation peut s'améliorer d'ici là, mais il reste peu de temps... « Le tonnage que nous avons perdu pendant les 40 jours de blocage complet de l'écluse des Sablons sera très difficile à récupérer » conclut Philippe Tessier.

Berty Robert

Une logistique imposante et cruciale

Les péniches affrétées par Cérévia chargent dans tous les ports de la Saône et du Rhône dans lesquels l'union de coopératives dispose de silos. Il s'agit des ports de Saint-Usage, Pagny (Côte-d'Or), Verdun-sur-le-Doubs, Chalon-sur-Saône, Mâcon (Saône-et-Loire), Villefranche-sur-Saône, Lyon (Rhône), Salaise-sur-Sanne (Isère). Pour acheminer les chargements de grains jusqu'à Fos-sur-Mer, Cérévia fait appel à trois affréteurs (ACN, Afflu et CFT). Les cargaisons sont exportées vers l'Italie, l'Algérie, la Grèce (pour le blé), la Chine (pour l'orge). À Fos-sur-Mer, Cérévia dispose de 60.000 tonnes de capacité de stockage en silos.