Alimentation
La prairie qui nourrit et guérit

Françoise Thomas
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Installés depuis bientôt quatre ans en élevage caprin à Sivignon dans le Clunisois, Sébastien et Antoinette Francisco ont déjà essuyé trois sécheresses. S’ils ne manquent pas en théorie de prairie, ils se sont lancés dans un projet cherchant à complémenter l’alimentation de base des chèvres, en revenant à leur marotte à elles : les haies et les arbres. Un pari tout autant qu’un très beau défi.

La prairie qui nourrit et guérit
Avec leur prairie et leur haie fourragères, Antoinette et Sébastien Francisco ont notamment en optique de rendre leur troupeau plus autonome et plus rustique, se basant sur l’instinct des chèvres à consommer, dès que le besoin s’en fait sentir, des feuilles qui ont plus des vertus thérapeutiques que gastronomiques.

Pour l’instant, rien de spectaculaire : seuls apparaissent des manchons de plastique dispatchés ici et là sur la prairie, dont on devine qu’ils protègent chacun un très jeune arbre. La parcelle de 2 ha choisie pour cette première implantation débute le long d’un tout petit ruisseau, puis progresse en pente jusqu’à un petit bois.

Dans la parcelle voisine, sur l’autre versant du vallon, c’est une haie de trognes qui a été implantée. En tout, près de 200 plants d’une trentaine d’essences différentes ont ainsi été positionnés en décembre 2020. « Nous avons choisi beaucoup d’essences autochtones : frêne, boulot, orme, érable, explique Sébastien Francisco. Mais pas seulement : nous avons aussi choisi de mettre des essences méditerranéennes comme le chêne vert et le frêne à fleurs, et des essences exotiques comme le mûrier en arbres, le févier d’Amérique, le catalpa, etc. ».

Si la première année, les pluies de l’été 2021 ont pour le coup été les bienvenues, la sécheresse de l’été que l’on vient de vivre a été préjudiciable à beaucoup de spécimens, « on en a perdu beaucoup des plants autochtones », constate aujourd’hui l’éleveur.

« Nous les avions plantés "au cas où ça marche", explique-t-il, car nous constatons bien depuis plusieurs années le dépérissement inexorable de ces essences, et les prévisions de l’Inrae sont quasiment sans appel pour des essences comme l’orme ou le frêne ». Ces plants vont être remplacés par des spécimens d’essence locale récupérés dans le petit bois de l’exploitation, car le principe reste malgré tout de tenter coûte que coûte de conserver un minimum d’essences locales.

Ce qui est recherché

Évidemment, aucun de ces arbres, arbustes, lianes et plantes mises en place n’est dû au hasard, car la finalité de ce projet est de contribuer à l’alimentation du troupeau de chèvres. Dans un premier temps, les chèvres préfèrent naturellement les haies à l’herbe. Elles iront donc d’instinct se nourrir sur tout ce qui est à leur hauteur et au-dessus. « Nous voulons éduquer notre troupeau, le rendre autonome sur ce dont il a besoin », détaille Antoinette Francisco. L’idée sera donc d’emmener le troupeau dans la « prairie arborée à vocation fourragère » sur un temps limité dans la journée, puis elles poursuivront leur pâture dans une prairie d’herbe ; la vocation de la haie de trognes sera la même. « Évidemment, tout ça ne va être possible que dans plusieurs années, voire même, nous faisons ceci pour la génération suivante », souligne l’éleveuse. « Nous devons mettre en place une logistique de protection des arbres pendant minimum 15 ans pour garantir la survie de ce projet », complète son mari. Conscient par ailleurs que ce modèle n’est « pas applicable à grande échelle », le couple espère à terme pouvoir proposer une sorte de ferme pédagogique sur « les jardins-forêts pour élevage ». L’envie est tout autant « de valoriser au mieux le terrain », que « d’aider les animaux à s’adapter au changement climatique ».

Et au-delà encore : plusieurs de ces variétés d’arbres n’ont pas spécialement d’intérêt nutritionnel, explique encore Antoinette, « en revanche, elles ont des vertus thérapeutiques », que les animaux vont chercher d’instinct.
« Nous allons aussi beaucoup opérer de façon empirique, en mettant beaucoup d’espèces à disposition des animaux et observer vers quoi ils vont et à quel moment », expliquent les éleveurs.
À l’image des fruits d’automne, du type gland, « qui ont des vertus de tarissement au moment opportun pour les chèvres » avant la prochaine gestation. Ou des variétés aux vertus vermifuges, antiparasitaires, etc.

« L’objectif de ces plantations est vraiment un complément alimentaire et pas du tout de nourrir les animaux uniquement comme cela », les chèvres y auront accès sur un temps limité dans la journée. L’herbe et le foin resteront donc bien l’alimentation principale du troupeau.

La genèse de ce projet

Ce projet est né de la rencontre de Sébastien Francisco avec Fabrice Desjours, le « jardinier-chercheur » à l’origine de la forêt gourmande installée à Diconne (voir notre édition du 11 janvier 2021). « Lors d’une conférence, il présentait les vertus des jardins forêts et je me suis dit que ce qui est valable pour l’alimentation humaine devait aussi être possible pour l’alimentation animale ». Partageant le même enthousiasme, les deux hommes ont peaufiné leurs recherches sur les essences d’arbres les plus judicieuses à essayer pendant plus d’un an.
Les premiers plants ont donc été implantés en décembre 2020. Les chèvres ont déjà réussi à en croquer quelques spécimens lors d’échappées non voulues. Rendez-vous désormais dans plusieurs années, pour assister à la mise en pratique de ce projet porté sur un retour aux sources.

 

Qui est la Ferme d’Antoinette ?

Antoinette et Sébastien Francisco ont mûrement réfléchi leur projet. Non issus de famille d’agriculteurs et en reconversion professionnelle, les deux trentenaires ont eu envie de verdure et de chèvres, de transformations fromagères et de retour à une vie au rythme des saisons. Ils ont trouvé une ferme à reprendre à Sivignon, anciennement en élevage caprin et ovin. Aujourd’hui en bio, la ferme d’Antoinette accueille actuellement 60 chèvres alpines, saanen, lorraines et mixte, pour une production entre 350 et 400 litres de lait par an par animal. « On a bien conscience que c’est une production modeste, expliquent-ils en chœur, mais nous ne recherchons absolument pas le volume. Ce que nous voulons, c’est progresser à notre rythme et à celui des chèvres, pour assurer du lait et des fromages de qualité ». Ces fromages sont entièrement écoulés en vente directe, essentiellement sur deux marchés hebdomadaires, bientôt trois, plus un peu en vente à la ferme.
Ils se sont installés début 2019. Alors qu’ils commençaient à être connus sur les marchés et à avoir des contacts prometteurs avec des restaurateurs, le Covid est arrivé. Aussi, pour ne pas avoir à jeter de lait, ils ont opté pour des fabrications de fromage « de garde, type camembert, tommes, … ».

Le couple d’éleveur bénéficie de 40 ha dont 17 à proximité directe des bâtiments, dédiés au pâturage des chèvres. Le reste situé à plusieurs kilomètres est réservé à la production de fourrage. « Nous faisons appel à un prestataire pour faire nos foins, car nous n’avons pas de matériel et même pas de tracteur ! ». Au départ, pour des questions budgétaires, puis désormais un choix assumé : « nous n’en avons finalement pas besoin ». Cependant, l’été dernier « sans tracteur et donc sans tonne à eau, il a été impossible de tenir les arbres arrosés, d’où la perte importante de plants ». Pour le transport d’eau et le travail d’entretien léger des parcelles dont des ruisseaux, le couple a décidé de recourir à la traction animale. Un cheval va donc bientôt rejoindre la ferme d’Antoinette.

En parallèle, pour contribuer au nettoyage des prairies et des refus des chèvres et pour aider à la gestion du parasitisme, six vaches aubrac complètent actuellement le troupeau.