Dossier caprin
De nouveaux exploitants aux Filletières

Ariane Tilve
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La chèvrerie de Chenôves a trouvé repreneur, l’année dernière. L’occasion de voir ce que Franck et Kelly Dumont ont gardé des précédents exploitants mais aussi ce qu’ils ont changé. 

Kelly et Franck Dumont.
Kelly et Franck Dumont.

Franck, originaire du Doubs, s’était initialement lancé dans l’élevage bovin avec son père, de 2004 à 2012. Mais à la suite d’une grosse perte de surface agricole, 60 hectares qu’un propriétaire a repris, il laisse son père continuer jusqu’à la retraite et s’en retourne à la maintenance, le métier pour lequel il avait été formé à l’école. Puis avec sa femme, Kelly, l’envie de s’installer se fait sentir. « Je voulais m’installer avec mon épouse. Nous avions une petite chèvrerie près de chez nous, nous sommes donc allés la visiter et cela nous a plu en raison notamment de la partie transformation, du magasin, de la vente en direct, des marchés, etc. D’autant plus que nous ne voulions pas reprendre une grosse structure, comme il en existe en bovin ». Et comme d’innombrables histoires d’installation, celle-ci débute par un simple coup de fil au Répertoire départ installation (RDI) de la chambre d’agriculture. Le couple est alors orienté vers Michel Lacharme, ancien exploitant des Filletières. Quelques mois plus tard, un contrat est conclu. « Nous avons donc commencé par trois mois de parrainage, en juillet, août et septembre 2022, avant de reprendre officiellement le premier octobre 2022 ». Pour l’alimentation, en saison estivale, Franck et Kelly misent sur l’affouragement vert à dominance légumineuse dactyl, et du foin de prairie naturelle. Sur les 70 hectares de l’exploitation, il y en a 55 de fourrage et 15 de céréales, à savoir du maïs, de l’épeautre et de l’avoine. L’hiver, c’est le fourrage du séchoir avec un séchage en grange d’une capacité de 190 tonnes de foin. « Nous sommes autonomes, mais nous investissons tout de même dans un petit tourteau de soja à 38 kg MS pour corriger la ration de 23 Kg MS ».


Un cheptel rajeuni


Qu’est-ce qui a changé depuis ? « Nous avons réformé beaucoup de vieilles chèvres puisque nous travaillons essentiellement avec de jeunes animaux ». Le couple a donc fait de nouveaux lots de chevrettes pour justement épurer un peu les chèvres de dix à douze ans, encore présentes sur l’ancienne exploitation. Actuellement, Les Filletières compte 270 chèvres saneen (d’origine suisse) pour 70 hectares, contre 300 chèvres auparavant. « Nous produisons pourtant toujours la même quantité de lait grâce à la lactation longue, explique Franck Dumont. Nous ne faisons plus que deux lots de mise bas à l’année plutôt que trois auparavant en mars/avril, août et octobre/novembre. Nous avons supprimé le lot du mois d’août. Cela consiste à faire perdurer les chèvres et ne plus faire de cabris. Il y a des périodes, de juin à octobre, où personne ne nous les prend, ce qui a conforté notre choix ». Palmidor, qui a pratiquement le monopole en la matière, ferme en effet à cette période.

Privilégier la vente directe

Pour séduire la clientèle, Franck et Kelly ont également amélioré le magasin (peinture, décoration, etc.). Ils ont repris une nouvelle banque, plus grande. Au niveau du circuit de commercialisation, Michel Lacharme faisait environ 50 % de vente à la ferme, 30 % en magasin sur Chalon, Dijon, Beaune et les alentours, ainsi que 20 % un GIE auquel Franck et Kelly ont commencé par adhérer. « Nous étions cinq, centralisés ici aux Filletières, à se regrouper pour envoyer nos fromages à Rungis par transporteur. Aujourd’hui, nous avons fait le choix de développer la vente directe à la ferme, qui représente au moins 60 % de notre commercialisation actuellement. Nous avons toujours 30 % de ventes en magasin, mais aussi beaucoup de pizzerias, des restaurants, dont certains gastronomiques. Mais nous nous sommes retirés du GIE pour des raisons de gestion, essentiellement, et nous livrons les 10 % restants à un affineur ». Si pour les fromages, ils ont gardé exactement la même gamme que leurs prédécesseurs, mis à part quelques nouvelles formules aromatisées, les nouveaux exploitants ont en revanche développé les produits à base de chevreau. « Nous faisons beaucoup de terrines de chevreau, dont les rillettes pur chevreau avec de la graisse de canard. Nous emmenons nos bêtes à l’abattoir d’Autun, qui s’occupe également du désossage et de la mise sous vide, puis nous confions les colis à Philippe Labonde. Producteur de foie gras de canard, cet éleveur a monté des laboratoires de transformation dans lesquels il élabore nos rillettes et nos terrines ». D’autres colis sont confiés à la salaison du Morvan qui fait des saucissons, mais aussi des chorizos pour Les Filletières. Rien que la gamme de terrine nous met l’eau à la bouche, du citron confit aux champignons en passant par le curry. « Ça marche très bien, surtout le citron confit et le champignon. Ces produits transformés nous permettent d’écouler nos chevreaux de mars/avril ». Quant à ceux d’octobre/novembre, ils sont vendus à Palmidor.


Quid des salariés ?

Les anciens propriétaires avaient une dizaine de salariés : au moins quatre personnes en transformation, quatre en élevage, mais aussi des apprentis, des stagiaires et des saisonniers. « Nous avons moins de salariés : deux à mi-temps et deux en ETP », précise Kelly. Parmi eux, Pauline Duriaux, qui travaille aux Filletières depuis dix ans, en laboratoire de transformation. En 2013, c’est ici qu’elle a fait son apprentissage, durant trois ans, avant de devenir salariée. Elle est passée des anciens aux nouveaux exploitants et participe même aujourd’hui à certaines tâches administratives. Idem pour l’un des salariés de l’élevage, qui est là depuis près de vingt ans. L’autre salarié, le jeune Julien, est là depuis son apprentissage. Franck et Kelly l’ont embauché en CDI. Un avantage incontestable pour les employeurs, dont les employés connaissent parfaitement la structure et qui assurent une certaine continuité de la production, facilitant le passage des anciens aux nouveaux propriétaires. De même pour les salariés qui peuvent rester en poste, et parfois même évoluer au sein d’une structure qui les a parfois formés. Humble, Franck reconnaît sans sourciller que leurs conseils sont précieux. « J’ai été formé dans le bovin, c’est vraiment très important pour moi d’avoir quelqu’un qui s’y connaisse en caprin ».