Essais Bourgogne du Sud
« Personne n’est devin »

Cédric Michelin
-

Le 7 juin à Jully-les-Buxy à la ferme de Marnay, il faisait grand soleil et c’était presque l’été (il avait plu la veille). Plus de 200 adhérents de Bourgogne du Sud sont venus pour la visite guidée de la plateforme d’essai pour découvrir 45 variétés blé et colza. Cerevia et Area ont fait le point sur les marchés des céréales et des engrais. Et, à l’image du monde, les marchés sont erratiques…

« Personne n’est devin »

Pour ces Rencontre Grandes Cultures 2024, huit ateliers techniques venaient compléter le programme de la journée autour des stands de partenaires pour parler gestion des limaces, réglages des semoirs à engrais, services météo, désherbage des céréales pour cet automne, fertilisation azotée pilotée par satellite ou encore maintien de la biodiversité dans et à proximité des champs et prés.

Le nouveau directeur général de Cérévia, l’union chargée de la commercialisation des grains pour Bourgogne du Sud et d’autres coopératives sur la partie Est de la France, Alain Caekaert débutait en avouant que « personne n’est devin » concernant l’avenir des marchés céréales. Comme le confirmait, Yann Joly, ingénieur chez Bourgogne du Sud, qui complétait la présentation, « les marchés bougent de façon importante et aléatoire. Mais les marchés ne prennent même plus en compte les bonnes nouvelles », comme le matin même la décision de la Turquie de taxer les importations, qui aurait dû tendre les marchés et faire monter les cours.

Des blés plutôt bien orientés

Pour Alain Caekaert, le marché blé reste néanmoins dans une tendance « plutôt favorable », en raison principalement d’une perspective de récolte Russe « moins bonne » (-17 Mt). Certes, la demande des industriels reste encore « marquée » (inflation…), mais le directeur-général de Cérévia veut voir une « reprise d’activité » du côté des malteries, meuneries… favorables aux marchés des blés, orges, oléagineux. Côté concurrence interne entre les régions productrices de France, l’Ouest a implanté moins de blé pour plus de maïs. « Mais qui peut prévoir les rendements cette année ? », regardait-il l’assistance, qui est bien en peine ici aussi. Les adhérents de Bourgogne du Sud, et plus largement de Cérévia, veulent « tout faire » donc pour valoriser au maximum leurs blés. Idem pour les orges brassicoles qui bénéficient de belles primes. Gare toutefois à ne pas voir blé et orges déclassés en fourragers…

Seuil mycotoxines à la baisse

Yann Joly fait régulièrement le tour du monde des dérèglements climatiques qui peut orienter à la hausse ou à la baisse les marchés boursiers du blé. Sécheresse dans la corn belt des États-Unis, phénomène frais El Nina en Australie, Russie alternant gel-sec-chaud, Ukraine en guerre, Europe et France dont les récoltes sont attendues en baisse… Les financiers spéculent pour l’heure. Les opérateurs physiques détenant les grains et devant les livrer « ne sont donc pas incités à vendre », ni les acheteurs à acheter. Les positions sur les marchés sont quelque peu bloquées. « La Russie est au cœur de toutes les attentions, tout comme le moindre incident climatique. Il y a un vrai risque de manque de blé sur le marché export », résume Yann Joly.

Sans oublier le risque « majeur » lié au nouveau seuil mycotoxines, puisque les taux ont été abaissés - « et pas par le dos de la cuillère » - de 1.250 à 1.000 ppb pour les blés tendres. Côté scenario baissier cette fois, Yann Joly le redit, il faudra regarder la récolte fin août/septembre du côté de la Russie.

Du côté du secteur de Bourgogne du Sud, comme ailleurs, les estimations de la récolte à venir « ne sont pas extra », avec une surface emblavée en blé reculant de -10 % et avec des rendements attendus en baisse d’autant. La récolte de blé pourrait donc être « inférieure » de 30-40.000 tonnes à une année moyenne. C’est pourquoi, il demande de « respecter à la lettre » le cadre de gestion pour atteindre les meilleurs niveaux de qualité sur les PS, protéines, mycotoxines… car Bourgogne du Sud reste fidèle à sa stratégie « différenciante haut de gamme » pour ne pas rentrer en concurrence frontale avec les blés de la mer Noire. Au passage, il donnait un autre exemple de ce que cela implique, cette fois du côté du tournesol. « Les malteurs ont horreur de l’huile pour la qualité de leur mousse (de bière, N.D.L.R.). Un grain de tournesol dans une benne (2 g par 50 kg) peut suffire à refuser le lot ». Pureté variétale et absence d’insecte sont aussi scrutées à la loupe.

Quels rendements pour les maïs ?

Côté marché du maïs, les « cours suivent ceux du blé ». Le marché est en train de se consolider en attendant de savoir l’importance des retards côté semis aux États-Unis comme en Europe. La France affichait un piètre 72 % des surfaces semées en juin en raison des précipitations records et l’impossibilité d’entrée dans les champs, si ces derniers n’étaient pas tout simplement inondés. Les techniciens de Bourgogne du Sud surveillent actuellement l’évolution du système racinaire des maïs.

Enfin, dernier grand marché évoqué, celui du colza est le premier « à sonner le glas » entre les cours financiers du Matif et les frais « physiques » avec des charges de trituration « limites ». Résultat, la variable d’ajustement est le prix de la graine de colza au détriment de l’amont.

Engrais vert Européen : Où est le bonus ?

Négociateur chez Aréa, pour la partie approvisionnements des coopératives, Benjamin Carpe doit à la fois « sécuriser les appros, au bon moment, et avoir les meilleurs prix ». Le chiffre d’affaires d’Aréa atteint les 5 milliards d’€. Les 23 salariés gèrent engrais (minéral et organique), phytos, semences, agroéquipements… La logistique fait la différence ensuite pour les 17 membres répartis dans 5 bassins et les 700 dépôts des 34 départements allant du Nord au Sud de la France. « Une opportunité pour capter le meilleur sourcing ». Mais ce qui peut faire une grosse différence n’est pas forcément la conjoncture économique de ces marchés, mais le contexte plus global et géopolitique influant sur la parité euro/dollar, liée aussi aux politiques des banques centrales, BCE et Fed en tête. Évidemment, les marchés de l’énergie et surtout du gaz jouent aussi sur les prix des engrais minéraux. À tel point que des usines en France et en Europe ont jeté l’éponge, faisant perdre « un tiers des capacités de production ». Autant dire que la « pression » sur les cours est à la hausse. Pour autant, Benjamin Carpe pense que les producteurs d’engrais analysent aussi les coûts de production et de vente des céréales pour « être plus ou moins raisonnables sur leurs marges », côté ammonitrate et urée.

À la mode de vouloir « réindustrialiser » la France et l’Europe, il se montre perplexe. « On a le coût matière première le plus élevé au monde et l’Europe veut décarbonner en taxant ». Et les Gouvernements ne semblent pas pressés de mettre en place des bonus écologiques sur ces engrais verts Européens… Perdu d’avance ?