GIP Pôle Bourgogne Vigne & Vin
Sortir des pesticides

Cédric MICHELIN
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Le 8 mars, à l’atelier du Cinéma à Beaune, un triplex entre Beaune, Bordeaux et Montpellier promettait de faire rencontrer scientifiques et vignerons. Le sujet était central et ô combien complexe : sortir des pesticides. S’il s’agit principalement de pistes de recherche, le GIP pôle Bourgogne Vigne & Vin a réussi son pari : permettre à la filière viticole d’envisager plus sereinement l’avenir.

Sortir des pesticides
La semaine prochaine, suite de nos articles sur une assurance maladie ; sur comment réduire les contaminations mildiou ou encore sur la question des cépages résistants qui toquent à la porte des AOC…

"Cultiver et Protéger Autrement" est le programme de recherche qui finance de façon transversale tous ces travaux de recherche. Cet événement était d’ailleurs coorganisé par les projets de recherche Vitae et Fast ainsi que par les partenaires GIP pôle Bourgogne Vigne et Vin, Agri Sud-Ouest Innovation et Inno’vin. « La volonté politique de la France et de l’Europe est de sortir des pesticides et ce, depuis 15 ans. Mais les ventes ne bougent pas. Ce décalage a conduit la recherche a travaillé encore davantage. Même si tout n’est pas de la faute des scientifiques, la science a un rôle à jouer », introduisait une directrice de recherche, qui implorait les vignerons à « être indulgents, la recherche s’engage toujours sur un pas de temps à dix ans ».
Lors de cette rencontre, il n’était donc pas réellement question de résultats sonnants et trébuchants mais plutôt de permettre à la « profession viticole de faire remonter des priorités ». Des priorités qui peuvent toujours se faire jour via les partenaires tel que le GIP ou même par courriel (ppr-cpa@inrae.fr).

Tout le monde ensemble

Bien que la première intervention ait été entrecoupée en raison de problèmes de liaison Internet, Pierre Philippe, le directeur des Vignerons du Buzet depuis Montpellier, redisait la politique de la coopérative de s’inscrire dans le « développement durable aujourd’hui appelé RSE », pour responsabilité sociale et environnementale (lire aussi en page 3). Certifiés par l’Afnor ISO 26000, sur 2.000 ha, les vignerons ont défini un cahier des charges restrictif : arrêt des CMR, arrêt des traitements botrytis, réduction des engrais minéraux pour arriver à 85 % organiques, couverture des sols (95 %) avec des espèces végétales… « Mais on arrive aux limites. Et maintenant, il faut assumer collectivement ce qui est faisable et ce qui est le plafond ». D’où son intérêt porté aux avancées scientifiques pour poursuivre. C’est pourquoi une quarantaine de nouvelles modalités sont en tests, avec même 17 ha dédiés aux « scenarii du pire » du changement climatique (arrêt irrigation…). Ces résultats sont et seront librement consultables sur VitiRev.
Fort de 160 vignerons et 90 salariés, le directeur redonnait aussi le cadre général dans lequel ces expérimentations se sont mises en place. Il avouait avoir eu toute latitude pour engager pleinement la cave car elle est en « situation de monopole sur son territoire et n’est pas dans l’interprofession ». Qu’entendait-il par là ? « Il y a trop d’enjeux de pouvoir dans les Interprofessions. Idem pour les gourous écolos qui montrent vite leur limite sur le plan scientifique avec toujours le même discours », critiquait-il sans détour. Chercheur de l’Institut Agro Montpellier qui participe aux essais, Hervé Hannin veut plutôt croire ici au « principe de réalité », cher à la science. Il mettait en avant la force du collectif et « la complémentarité interdisciplinaire ». En clair, avec ce projet RSE, la cave du Buzet a réuni pour la première fois de l’œnologue au commercial « qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble ». Ce qui, en bonus, a « soudé les équipes ».
Les Vignerons du Buzet ont également mis en place des « paiements différenciés » pour les coopérateurs en fonction de la difficulté du cahier des charges réalisé. Mais là, les dirigeants de la cave « ont également vite vu les limites. Maintenant, on part sur un levier assurantiel pour accompagner ce changement et passer de rendements sécurisés à un rendement non garanti », mettait en opposition Pierre Philippe. C’est toute la difficulté de réussir à engager un mouvement collectif.

La face cachée des MAE

Ira Helal (Fredon Occitanie) et Gwenolé Le Velly (Institut Agro Montpellier) présentaient, elles, "des mesures agro-environnementales (MAE) innovantes pour sortir des pesticides". Ce projet nommé Polldiff s’est fait avec les gestionnaires des réseaux de captages d’eau sur la zone test. Mais au lieu de partir des MAE, elles sont parties de ce que voulaient les vignerons en termes de MAE.
Car au départ, le constat est connu : « les MAE sont des mesures très engageantes : sur cinq ans, avec des pratiques risquées, nécessitant de passer à des pratiques pas toujours bien maîtrisées… ». En clair, seuls les agriculteurs convaincus, pointus et très motivés s’engagent. Les autres ont plus de mal à sauter le pas. Dès lors, comment élargir les rangs ? « L’idée est de rendre flexible les MAE : avec une année "joker" par exemple qui permet de suspendre les pratiques un an en cas de conditions météo particulières par exemple ». D’autres modulations sont en réflexion.

Les chercheurs ont ensuite interrogé les agriculteurs sur « ce qu’ils préfèreraient » du côté des contraintes : enherbement, arrêt herbicide… En faisant varier alors les paiements MAE en fonction, allant dès lors entre 100 et 600 €/ha/an pour les MAE les plus poussées. Avec 170 répondants à l’enquête, « on capte ce qui est habituellement caché, cette logique d’agriculteur du manque à gagner » "à cause" des MAE.
Et là, les chercheuses font ressortir beaucoup plus de viticulteurs ayant envie de s’engager dans les MAE. « Les agriculteurs accepteraient plus un contrat MAE incluant une année joker pendant laquelle, il/elle est rémunéré(e) mais n’est pas tenu(e) de respecter le cahier des charges, plutôt qu’un contrat de cinq ans et ce même pour un montant inférieur de 114 €/ha/an en moyenne ».
Technicienne à Agamy, coopérative beaujolaise, Inès Bertrand soulignait fort justement aussi que ces subventions à l’hectare ne sont pas adaptées aux « petites » surfaces viticoles. Sachant que les MAE système de la prochaine Pac envisage d’obliger un engagement de toute l’exploitation viticole avec « des exigences plus élevées » sur les pesticides : 80 % des surfaces sans, pour 320 €/ha/an. De quoi encore décourager bon nombre d’agriculteurs et viticulteurs…
Où l’on voit que partir du terrain est mieux approprié pour construire une démarche de progrès plutôt que de partir de politiques européennes et ministérielles, immédiatement trop contraignantes et dont l’acceptation n’a pas fait l’objet d’études.

Un « coup de pouce » qui se prend un coup

Connaissez-vous le nudge ? Ce concept en marketing comportemental consistant à influencer en douceur. Un « coup de pouce » incitant au changement. Un exemple pourrait être d’afficher sur votre facture d’électricité si vous avez consommé plus ou moins qu’une moyenne pour vous encourager à faire des économies ou poursuivre vos efforts vertueux. Les chercheuses Caroline Lefebvre (laboratoire Natoli) et Julie Subervie (Inrae) ont donc voulu tester ce nudge pour "encourager la contractualisation collective aux MAE pour lutter contre le ver de la grappe". L’expérimentation a pris place dans une cave coopérative du Sud-Ouest de la France. Pour mesurer l’efficacité, l’objectif était de convaincre le plus de vignerons à venir participer à une réunion d’information sur les pratiques alternatives avec à la clé une « gratification symbolique ». Deux grands groupes de 250 vignerons ont donc été constitués de façon aléatoire. Chaque groupe recevait une invitation avec des messages différents. Le nudge consistant sur l’invitation à rajouter une comparaison avec une cave concurrente bien engagée dans les MAE et un message incitatif : « bientôt dans vos parcelles ? ». Au regard des réponses aux SMS et les présents à la réunion, force est de constater que la « réponse n’est pas différente ». « Et même un effet inverse pour les "grandes exploitations" nudgées qui sont moins venues », notaient les chercheuses, désappointées. Un « effet boomerang » pas anticipé au départ et qui pourrait s’expliquer par un effet « découragement » avec des retours du type : « nous, on n’a pas les mêmes conditions que les voisins ; nous, on est incomparable ». Ce qui faisait réagir un jeune vigneron dans la salle qui franchement avait plutôt ressenti « l’impression d’être manipulé. Votre nudge était un peu bourrin. En France, on résiste lorsqu’on se sent manipulé ». Tel est pris qui croyait prendre.