La ferme des mille et une clochettes
Des championnes en devenir

Françoise Thomas
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Annie et Adeline Reaux élèvent depuis plus de trois ans maintenant près de 300 chèvres sur la commune de Maltat, à l’ouest du département, près de Bourbon-Lancy. Créé de toute pièce, cet élevage laitier est issu de la parfaite entente entre une mère et sa fille. S’il faut souvent plusieurs années pour parvenir à réaliser ses rêves, ces deux femmes-là prouvent à quel point la persévérance est aussi très souvent récompensée !

Des championnes en devenir
EARL peu banale, la ferme des 1001 clochettes a été créée il y a trois ans par Annie et Adeline Reaux, mère et fille.

C’est finalement très naturellement qu’Annie et Adeline Reaux, mère et fille, se sont installées ensemble en 2017 dans un élevage caprin du côté de Maltat. Et c’est le décès d’un des grands-pères d’Adeline fin 2014 qui a tout précipité, « lui qui était très attaché à la terre, son décès a été comme un déclic pour moi » se rappelle Adeline : « je me souviens avoir demandé de but en blanc à ma mère "c’est quand qu’on s’installe ? " », « je lui ai tout de suite répondu "quand tu veux ! " », complète immédiatement Annie. Et loin d’être un coup de tête, le projet était en fait mûrement réfléchi pour l’une comme pour l’autre.
Aujourd’hui, elles progressent et continuent d’apprendre avec leurs chèvres laitières dont la production est entièrement revendue à une seule laiterie, la laiterie Bernard de Saint-Vincent-des-Prés, qui vient de les certifier pour la production d’AOP Fromages charolais (voir encadré).

Projet de longue date

Adeline, elle, rêvait déjà de la ferme qu’elle occupe aujourd’hui lorsque, adolescente, le bus l’amenant au collège passait devant… Quand l’ancien propriétaire a cessé son activité ovine, l’ensemble bâtiment et parcelles a été mis en vente. Trop cher pour la jeune femme, une solution est malgré tout apparue car tout a été acheté par un investisseur auquel elles louent désormais l’ensemble. Les chèvres ont donc pu succéder aux moutons.

Entre le collège et son installation à Maltat, la jeune femme était dans un premier temps partie sur des études en analyses médicales… mais très vite, elle s’est réorientée en agriculture en passant un BTS production animale à Fontaines. Elle a depuis toujours travaillé en élevage caprin : « les bovins c’est pas mon truc, reconnait-elle, non seulement les chèvres sont plus à portée de main mais elles sont aussi plus affectueuses ». Et il est clair que de nombreux liens existent entre Annie, Adeline et Palourde, Pépite, Nouba, etc., toutes désignées au fur et à mesure qu’on les croise « mascotte de la maison » !

Annie, elle, a tenté une première fois de s’installer dans les années 1990. « Mais à l’époque ça ne se faisait tout simplement pas pour une femme !, relate-t-elle. Moi c’était l’élevage bovin qui m’intéressait, je voulais agrandir la structure de mes beaux-parents avec lesquels je travaillais et participer à des concours ». Devant « le climat général » d’incompréhension que suscite alors son projet, elle laisse tomber son rêve d’installation et part travailler dans une cantine scolaire tout en continuant des missions dans différentes fermes.
« Puis en 2014, j’ai décidé de retourner à l’école pour passer le BPREA » et préparer ainsi son projet d’installation avec sa fille. Une année à Charolles « faite de souvenirs mémorables » pour la quinquagénaire qui a forcément détoné dans sa promo…

Des aléas et des choix

Aujourd’hui, la ferme des 1001 clochettes ce sont un peu moins de 300 chèvres, plusieurs dizaines de cabris et une quinzaine de boucs, répartis en deux endroits. Le bâtiment principal de près de 800 m² héberge les chèvres, la salle de traite et la laiterie. Dans les structures historiques de l’exploitation, différents espaces accueillent le reste du troupeau, répartis en classe d’âge ou de destination (boucs, nurserie, chèvres taries).

Pour garantir au maximum sa production tout au long de l’année, cet élevage laitier est parti sur deux périodes de mises bas : février et octobre. « Jusqu’à présent, nous faisions tout en monte naturelle, explique Adeline. Cet automne, nous avons tenté l’insémination artificielle ». Malgré les aléas de cette première tentative, -« il faisait encore très chaud en septembre, avec des nuits plus assez longues », le tout faisant suite à un nouvel été de sécheresse qui a forcément impacté les chèvres-, les deux éleveuses sont satisfaites du résultat. « Nous avons un taux de réussite de 60-70 %, nous nous attendions à moins bien que ça ! », complète la jeune femme qui s’est équipée d’un échographe pour vérifier elle-même ses bêtes.
Il faut dire qu’elle peut se fier à son expérience. Elle qui a travaillé dans de nombreuses chèvreries dans la région mais aussi un peu plus loin, dans le sud de la France et dans les Alpes, en a gardé « le meilleur de chacune, j’ai aussi vu ce qu’il ne fallait pas faire et surtout ce que moi je ne voulais pas faire ! ».

Des championnes laitières

La conduite des chèvres se traduit évidemment par un maximum de pâturage. « Nos chèvres sont essentiellement conduites à l’herbe et au foin, détaille Annie. Pour le foin, c’est une affaire de famille : mon mari, mon fils, des neveux viennent nous aider ».
Elles s’appuient sur leurs 46 ha de parcelles pour produire un maximum de foin et complètent la ration des chèvres par un aliment qu’elles achètent à Alicoop, une société basée dans l’ouest du pays et « qui correspond parfaitement aux besoins de nos chèvres ».
La production de lait a avoisiné en 2020 les 210.000 litres. « Nous avons 42 chèvres à plus de 5 litres par jour », annoncent fièrement les deux femmes, « dont six à plus de 6 litres et l’une d’elles à plus de 7 litres ! ». L’objectif d’ici cinq-six ans serait d’ailleurs d’atteindre les 1.000 litres annuels par chèvre, avec 250 chèvres. « On s’aperçoit qu’avec 300 chèvres pour deux, la charge de travail est trop importante ». D’où la volonté de diminuer le troupeau par la sélection. « C’est pour cela que nous avons recours à l’insémination artificielle pour augmenter progressivement le potentiel lait de nos meilleures chèvres ». Ainsi, même les chèvres non gardées, seront vendues avec un niveau génétique déjà élevé.

En attendant, les deux éleveuses vont mettre en place dès le printemps prochain le pâturage tournant dans le but de valoriser au maximum l’herbe produite. À la ferme des mille et une clochettes, la troupe est donc tranquillement conduite par deux femmes pour qui « l’agriculture a toujours été une évidence parce qu’elle est dans nos veines » et ce ne sont pas les chèvres qui vont le démentir.

Une conduite récompensée par une certification
Toutes mascottes et beaucoup de championnes laitières parmi ces chèvres alpines.

Une conduite récompensée par une certification

Depuis août, l’ensemble du lait produit sur la ferme des 1001 clochettes est transformée en fromage charolais. Une belle récompense pour les deux gérantes de la structure et une reconnaissance du sérieux de leur conduite.
« La laiterie nous a demandé peu avant la fin du premier confinement si on souhaitait entrer dans la démarche », rappelle Adeline. Malgré un printemps et un été perturbés, le dossier a suivi son cours, « un audit à blanc a été fait, et puisque nous respections déjà presque entièrement le cahier des charges, la commission est passée début août et la certification a été validée en 15 jours », se félicitent aujourd’hui les éleveuses. Ainsi aucune surprise au niveau rémunération : « le lait nous est payé selon la grille de tarif du Criel Rhône-Alpes, auquel s’ajoutent la plus-value AOP, une prime de qualité, une prime d’exclusivité et une prime d’hygiène des locaux », détaille Annie.

Vente directe de saucissons

Les éleveuses ont fait un test cet automne pour trouver un débouché pour leurs chèvres de réforme : « nous transformons nos chèvres improductives en bon état corporel en saucissons. Cette démarche nous a été proposée par Nature et Régions, basée à Luzy dans la Nièvre », détaille Adeline.
Les éleveuses emmènent leurs chèvres à l’abattoir, la viande est récupérée et transformée par Nature et Régions. « Nous récupérons les saucissons environ trois semaines après ». Le premier essai s’est déroulé avec deux chèvres qui ont produit plus de 18,5 kg de saucissons (environ 80 unités) qu’elles écoulent ensuite en vente directe. Trois autres chèvres doivent suivre le même parcours mi-janvier. Les saucissons d’un peu plus de 200 gr sont vendus 5 € l’unité.