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Réforme de la Pac 2013-2020

Ça se frite à Bruxelles !

Durant trois jours, en pleine négociation de la Pac 2013-2020, en direct
des institutions bruxelloises, une quinzaine de responsables du
département et salariés des différentes organisations professionnelles
(OPA) et opérateurs économiques agricoles et viticoles –appartenant aux
trois promotions de Synergie 71– ont appris comment influencer les
décisions européennes.
Par Publié par Cédric Michelin
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Les institutions européennes –Conseil, Parlement et Commission– sont complexes. Subsidiarité, verdissement, conditionnalité… les mots aussi. Les négociations actuelles pour la réforme de la Politique agricole commune (Pac) 2013-2020 auront pourtant des conséquences bien réelles en Saône-et-Loire. Et ce, dans toutes les filières, viticulture comprise. En prévision, une quinzaine de professionnels agricoles et viticoles, ainsi que trois salariés, ont appris comment fonctionne ce "machin", même si peu comprennent pourquoi « ça marche »…
En polyculture-élevage, Bernard Parisot de Sagy et Anton Andermatt de Savigny-en-Revermont posaient d’emblée la question de « qui décide ? ». En bonne communicante, Maria José Pastor rappelait tout d’abord le principe fondateur de l’Europe : la démocratie et la paix. L’histoire passée et présente (Printemps Arabes) le rappelle : la paix repose sur des ressources alimentaires suffisantes. D’où une Pac pour être autosuffisant… mais pas autarcie puisque l’Europe exporte et importe. La réponse viendra plus tard...

La taxe sur la finance pour maintenir la Pac ?



Crise souveraine des Etats (Grèce, Irlande, Portugal, Italie…) oblige, après avoir sauvé les banques, la Commission veut maintenant taxer les transactions financières (notamment le trading à haute fréquence) pour financer la Pac (70 milliards annuels) en apportant 80 milliards de recettes annuelles "en vitesse de croisière", estime Francesco Contesso, conseiller de la Direction générale des Affaires économiques et financières. Néanmoins cette décision, comme toutes les décisions depuis le traité de Lisbonne, ne pourra aboutir qu’avec la volonté de la Commission et aussi la nouvelle co-direction du Conseil de l’Europe (ministres) et du Parlement européen (députés), « qui a désormais un rôle fort ». Son rôle n’est plus consultatif mais bel et bien exécutif des lois. C’est donc un trio qui décide : la Commission est comme une tête pensante ; le Conseil et le Parlement sont les deux bras qui exécutent –plus ou moins– les lois.

De paysagistes à sauveurs du monde



Guillaume Bouchacourt, viticulteur à La Chapelle-de-Guinchay et Philippe Vuillot, du service syndical FDSEA, voulaient savoir « pourquoi la réforme de la Pac va vers plus d’environnement et moins vers le soutien des productions ou des zones défavorisées ? » Fin connaisseur des trois précédentes réformes, Tomas Garcia Azcarate –fonctionnaire et professeur de politique commune à l’Université libre de Bruxelles (tomasgarciaazcarate.eu)– constate qu’aucun gouvernement ne veut augmenter le budget Pac. C’est plutôt l’inverse même. « D’où le pari du Commissaire à l’agriculture, Dacian Ciolos, en lien avec celui sur le Changement climatique, de défendre les budgets agricoles à Bruxelles, en "vendant" les agriculteurs comme les "premiers militants contre le changement climatique" ».
Dans les tuyaux d’un budget « restrictif », Tomas Garcia Azcarate pense que « le deuxième pilier (cofinancé) va perdre » en importance. Le développement rural est donc menacé.

La ruine d’une "céréalisation" après 2020



Rien n’est joué pour autant. En théorie, la réforme devait entrer en vigueur le 1er janvier 2014. Mais « ce ne sera pas possible ». En effet, Bruxelles apprend à travailler avec un Parlement co-décisionnaire des lois européennes. Sauf que les députés de toute l’Europe ont déposé 7.700 amendements ! Personne ne semble savoir –pour l’heure– comment faire pour simplifier ! ça se frite donc à Bruxelles.
D’autant que, pour Tomas Garcia Azcarate, la Pac est « pervertie » à la base. « Les références historiques sont le péché originel ! Le calibrage des aides directes s’est fait à des prix des céréales valant 100 € ». Avec des cours élevés –basés sur les marchés internationaux– « le risque est grand de voir une "céréalisation" de l’agriculture européenne », d’où le choix du verdissement des prairies permanentes. Ce aussi pour éviter tout changement « trop brusque », niveau paysages et société mais aussi pour le budget 2020-2027. Car, « il faut réfléchir les réformes deux par deux. Avec la "céréalisation" de l’Europe, la Pac verrait son budget (40 milliards) laminé après 2020 ».
Sans compter que pour aider les régions, les rendements céréaliers ne sont « pas linéaires » avec ces régions « défavorisées ». Les productions animales seront-elles considérées demain comme la "vertèbre" des territoires ?

L’engraissement devient attractif ?



« Quel avenir ? Spécialisation ? Engraissement ? », cherchaient justement à savoir Sandrine Meunier et Laure Deschamps, éleveuses, respectivement aux Bizots et à Saint-Eusèbe. De la DG agri, Miguel Garcia Navarro pense que la « spécialisation » en viande va continuer. « Les ventes de maigre/broutards vont se maintenir ». Avec la réduction des aides (régionales), les engraisseurs –« par définition intensifs » surtout en Italie et en Espagne– vont devoir passer ce cap difficile. L’engraissement local et l’exportation de viande sont amenés à offrir de nouvelles opportunités. Même si les coûts de production resteront élevés, les perspectives sont favorables en bovins. « Le poids de l’alimentation animale dans la production élevage en Europe, selon les comptabilités, pour les naisseurs (67 % coût opérationnel), pour les mixtes (52 %) et pour les engraisseurs (26 %) car le "grand cout" reste l’achat des taurillons ». En revanche, pour les agneaux, le spectre est très large de 10 à 60 %. 41 % pour le porc et 65 % pour la volaille.
Le marché de la viande va « rester très élevé » avec une offre réduite en Amérique du Nord qui va absorber les grands exportateurs (Mercosur, Amérique latine) et avec la croissance des marchés en Asie et Océanie.


La voie ministérielle pour le Conseil



Délégué adjoint, Pierre Marie, qui assure à la représentation permanente –genre d’Ambassade– de la France à Bruxelles, aux côtés des ministres, expliquait les dessous des négociations entre 27 ministres. « On s’entend bien avec le club Med (Italie, Espagne, Portugal) mais moins avec l’Allemagne et on est jamais d’accord avec les Anglais ! ». La présidence –actuellement Chypre– confère un « vrai avantage » puisqu’il définit l’ordre du jour du Conseil. Pour obtenir un vote à la majorité, les ministres sont donc parfois obligés d’obtenir une minorité de blocage avant ! Par exemple le paquet lait terminé sous présidence polonaise.

Avant tout, l’art des négociations européennes est de devoir trouver des « compromis ». Et les ministres de chaque pays ne sont pas libres. « Nous émettons des propositions. Celles-ci font le tour des ministères à Paris. Et parfois, le mardi, quand le ministre de l’Agriculture prend la parole, il ne sait pas ce qu’il doit dire au nom de la France. Il peut d’ailleurs ne pas lire les éléments de langage ».





La voie de la profession



Viticulteur à Bissy-la-Mâconnaise, Marc Sangoy s’intéressait à la place des agriculteurs à Bruxelles. Défendant les intérêts (lobby) de 56 organisations agricoles européennes –dont la FNSEA, l’APCA et Coop’ de France–, la Copa-Cogeca « représente la totalité des 13 millions d’agriculteurs ainsi que ses 38.000 coopératives », explique Francesca Bignami, mais « jamais par secteur » de production.

Par exemple, sur la question de la volatilité des marchés agricoles –en lien avec d’autres (énergies, finances…)–, la Copa-Cogeca adopte une « approche générale » et « après chaque secteur peut développer ses outils, comme la régulation viticole avec les droits de plantation ou pour le lait avec les quotas ». Cette recherche de l’intérêt commun passe par des compromis et des priorités politiques.





La surveillance bourguignonne



Laure Deschamps, éleveuse à Saint-Eusèbe et Laurent Degivry, viticulteur à Saint-Boil, interrogeaient sur « qui contrôle ou suit les décisions européennes, notamment nos députés et élus locaux » ?

La Région surveille en permanence les décisions européennes, directement depuis un bureau Bourgogne Franche-Comté à Bruxelles où Christophe Goult, directeur, représente également l’ensemble des intérêts privés et publics bourguignons. Ce bureau associatif est une émanation des Conseils régionaux, associés au département (Côte-d’Or) et à des villes et agglomérations.

« Depuis une vingtaine d’années, 270 régions suivent la politique européenne qui attribue des enveloppes pour le développement régional. FEDER, FSE… l’échelon régional prend de plus en plus de poids en Europe mais pas pour autant traduit dans les lois.

On ramène des informations mais nous ne sommes pas équipés pour défendre des intérêts publics et privés. On voit comment on peut faire évoluer un texte européen, régionalement ou nationalement, pour porter un message politique validé.

C’est le travail des services et des élus qui essayent d’être le plus possible présents pendant la consultation (phase de préparation également) d’une directive ou d’un règlement européen. On n’a pas intérêt à partir tout seul, trop difficile. Un message doit être porté par l’ensemble des régions françaises. Pour 2010-2020, il faudra faire de la croissance durable intelligente inclusive (recherche, innovation, compétitivité, environnement, social). Ces politiques pourraient être en direction urbaine demain ?
»



La libéralisation est actée !



Pour la viticulture, Jean-Christophe Baldassini de Cruzille et Michel Bonnotte, salarié à Saint-Désert, cherchaient à « comprendre les liens entre Pac et OCM ? » De la DG agri, Luc Berlottier faisait un bilan et donnait quelques perspectives de la réforme viticole actuelle. « L’Europe est le premier marché en consommation, donc "intéressant" les pays tiers producteurs (Chili, Australie, États-Unis…). La concurrence s’est accentuée. D’autant que notre production diminue. La Commission EU craint même une pénurie de vin. Dans les années 70, la législation vitivinicole fut la première organisation commune des marchés (OCM), réformée depuis, notamment en 2008 qui l’a fait intégrer l’OCM unique (tous produits). Cette dernière va être réformée avec la Pac 2013. Mais le secteur ne devrait pas être affecté. Bien que conservant ses spécificités, une approche harmonisée est en cours avec les paiements uniques et les organisations de producteurs (OP et interprofessions).
Avant 2008, l’OCM vitivinicole octroyait 50 % des aides aux distillateurs. L’autre partie à la filière viticulture. Problème, les distillations de crise de vins ont concerné les vins de table puis les AOC. Un déséquilibre des marchés qui a provoqué une mise à plat du système pour maintenant travailler la compétitivité. Désormais, onze aides sont disponibles à FranceAgriMer. C’est une boîte à outils pour chaque État Membre.
Ce qui va changer après 2013, la partie DPU (droit paiement unique) disparaitra et ses montants seront redistribués. La partie réglementaire (œnologique, étiquetage, politique de qualité) changera aussi, sur les bases des recommandations de l’OIV (Organisation internationale des vins).
La grande nouveauté sera la possibilité de produire des vins de cépage, mention réservée auparavant aux seuls AOC et vins de pays mais pas aux vins de table. Les vins de pays étaient déjà quelque part en réalité des vins de cépage dans des bassins très larges en France. Une fléxibilité sera accordée entre vin IGP, vin de pays ou AOP. Nous avons reçu 1.561 cahiers des charges, dont 500 environ d’IGP/AOC françaises.
Les droits de plantation ont toujours été un régime transitoire puisqu’il limite le droit de propriété. Renouvelés jusqu’en 2008, ils expireront en 2015. Grosso modo, un autre outil de régulation devrait se mettre en place mais la libéralisation est actée !
».