Ce qui bloque et ce qui avance
pour développer l’agro-écologie, de même qu’une future Pac, imprégnée
d’écologie, les mouvements majoritaires du monde agricole semblent dire
stop. Stop à l’environnement, stop aux contraintes. S’agit-il d’une
position de blocage sur l’environnement ? Pas vraiment, expliquent-ils.
Au sein même des organisations, les avis sont d’ailleurs nuancés. Mais
parmi les points de convergence figure celui de donner du temps au
temps. Ils insistent : le tournant environnemental est amorcé. À
condition qu’on lui en donne les moyens, il prendra de l’ampleur et
donnera des résultats tangibles.
Plus récemment, le 23 avril, les organisations du groupe « agriculture » du Conseil économique, social et environnemental (Cese) ont voté contre l’avis du Cese sur la gestion de l’eau en agriculture. En parallèle, la FNSEA milite pour que les infrastructures écologiques, ces aménagements présentés comme favorables à la biodiversité, que la future Pac compte imposer à hauteur de 7% de la surface de chaque ferme, ne soient exigés qu’à hauteur de 3 ou 4% des surfaces.
Alors que le gouvernement entend, à travers le plan agro-écologie, entraîner une part plus grande d’exploitations agricoles vers une agriculture toujours compétitive, mais plus respectueuse de l’environnement, le syndicalisme majoritaire et les organismes agricoles sont-ils en position de blocage sur l’environnement ? Ces revendications sont-elles l’expression d’une rupture entre monde agricole et « société » ? Non, répondent les organisations interrogées. avec toute une palette de nuances dans leur réponse.
Refus de mesures jugées non fondées
D’abord, il y a une part de refus, expliquée : les mesures qui se profilent, en particulier dans le cadre de la directive nitrates, sont trop strictes, trop déconnectées des réalités agronomiques. La couverture végétale des sols en hiver n’est pas souhaitable sur l’intégralité de la surface française ; certains sols argileux, notamment, ne sont pas adaptés au passage d’engins agricoles à cette période. Pourquoi interdire, comme le prévoient les 5e programmes nitrates, l’épandage d’engrais sur les terres en pente par exemple dans des vignes enherbée, alors que cette technique, de plus en plus répandue, vise à limiter le ruissellement et le lessivage des produits fertilisants et de traitement vers les eaux ? Ce ne sont que quelques exemples parmi ceux qui provoquent l’incompréhension de l’ensemble des agriculteurs (voir encadrés).
Contre l’écologie punitive
Un autre sujet fâche : « Vu la situation économique de l’élevage, ce n’est pas le moment d’imposer de nouvelles taxes », tranche Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA, en référence à l’avis finalement adopté par le Cese le 23 avril. D’ailleurs, pour Didier Marteau, président de la commission environnement de l’APCA (Assemblée permanente des chambres d’agriculture), une taxe sur les nitrates n’aurait pas d’effet sur la consommation : « Il y a quelques années, le prix de l’azote avait doublé au cours de l’année, sans que cela n’influe sur les quantités vendues. Inversement, des fortes baisses de prix ne provoquent pas de rebond de la consommation : les agriculteurs n’utilisent pas les engrais par plaisir, mais parce que la plante en a besoin. » En outre, le fractionnement des apports est une pratique de plus en plus généralisée, poursuivent Didier Marteau et le président de l’APCA Guy Vasseur.
Toutefois, le risque de voir de telles taxes s’appliquer est encore loin d’être réel : le texte adopté par le Cese n’est qu’un avis consultatif. Mais une réflexion sur la fiscalité liée aux polluants est bien en cours au sein du comité national pour la fiscalité écologique, lancé dans la foulée de la conférence environnementale. Pour l’instant, il planche davantage sur le diesel, sur l’artificialisation des sols et sur les fluides frigorigènes. En revanche, il est vrai qu’un travail sur une « fiscalité incitative » est en cours dans le cadre du plan Ecophyto. Mais « il n’est pas dans une logique de taxation, mais bien de bonus », assure le ministère de l’agriculture.
Alarmisme ou demande de reconnaissance
La profession serait-elle un peu trop prompte à donner des signaux d’alarme ? C’est qu’il y a un lourd passif, se souviennent ceux qui ont été des débats du Grenelle. « Biodiversité, plan Ecophyto, schémas régionaux de cohérence écologique, bio, certification environnementale… Il y a eu une avalanche de sujets et de textes, se souvient Christiane Lambert, et même une overdose. On a eu l’impression d’avancer au fouet, de subir le changement permanent à un rythme insoutenable, on avait l’impression de devenir des exécutants. » Julien Marre, secrétaire général adjoint des JA, illustre : « Nous terminons tout juste les mises aux normes imposées par les réglementations sur l’eau que l’on en voit arriver de nouvelles avec les 5e programmes d’action de la directive nitrates. »
Une part des réactions vise donc bien à freiner l’ardeur réglementaire de l’Etat. Aujourd’hui, la majorité de la profession se sent en mal de reconnaissance, alors qu’elle estime en avoir déjà fait beaucoup. De fait, les pratiques ont fortement changé au cours des 20 dernières années. Pour des raisons économiques puis environnementales, azote et pesticides ne sont plus utilisés systématiquement, les apports sont ajustés aux besoins des plantes, grâce à des outils techniques d’aide à la décision. La profession rappelle régulièrement les importants moyens mis en oeuvre : 200.000 agriculteurs et opérateurs formés au Certiphyto (certificat pour le conseil, la vente et l’utilisation de pesticides), 8.000 bulletins de santé du végétal édités pour participer à la surveillance de l’état des cultures, 1.900 exploitations participant au réseau Dephy de démonstration de techniques permettant de réduire les intrants, des visites d’exploitations et échanges de groupes qui se multiplient, une demande qui explose pour les formations en environnement….
Des démarches volontaires
Outre les efforts consentis pour se conformer à la réglementation, les agriculteurs ont aussi lancé leurs propres projets. Ainsi, la France « est déjà avancée sur la biodiversité », estime par exemple Christiane Lambert, qui cite les jachères mellifères, le réseau Agrifaune, la démarche biodivers’ID, le programme symbiose, les nombreuses opérations locales de replantations de haies à intérêt cynégétique, etc. autant d’expériences portées localement par des acteurs motivés « qui produisent des résultats ». L’APCA a, elle aussi, rassemblé, dans une contribution au chantier « Produisons autrement », remise fin mars au ministre de l’agriculture mais non encore diffusée, toute une série de démarches mises en place par l’agriculture en faveur de l’environnement - dans, ou hors cadre réglementaire. Ce document cite par exemple la participation aux réseaux mixtes technologiques de recherche et développement, les salons Tech & bio, qui rassemblent agriculteurs bio et conventionnels, la formation des agriculteurs…
Pour autant, certains résultats ne sont pas au rendez-vous. La France est assignée par l’Europe devant la Cour de justice pour « la lenteur des progrès et l’insuffisance des changements proposés » dans le cadre de la directive nitrates censée lutter contre les pollution des eaux par cette molécule. Et le plan Ecophyto, lancé en 2009 qui vise à réduire de « 50%, si possible » l’utilisation des pesticides (initialement à horizon 2018), n’a pas abouti à une baisse des ventes de ces produits, qui ont même augmenté de quelques pourcents sur 2 ans. C’est donc du côté des résultats mesurables que l’agriculture française pêche. Or, c’est précisément sur les résultats que le secteur est attendu, par les représentants de la société civile, au regard des engagements nationaux et des cadres européens. Voici peut-être l’un des points de rupture entre une partie du monde agricole et une partie de la société.
Propositions ouvertes
« Il faudrait pouvoir mesurer les progrès sur plusieurs années, déplore Julien Marre. Car les campagnes peuvent être très différentes, en raison du climat. » De plus, signale-t-il, les systèmes évoluent lentement, « il faut pouvoir s’appuyer sur des solutions techniques “prouvées, éprouvées et scientifiquement étayées” ». Selon Christiane Lambert, « ce n’est pas par paresse ou par refus, mais le temps est nécessaire. D’abord il y a un temps pour l’évolution des systèmes eux-mêmes, dans les fermes, un temps d’appropriation. Mais aussi un temps de réponse, de “cicatrisation” de la nature par rapport aux pratiques passées ». Julien Marre l’assure : « On est proches désormais du point d’inflexion » où l’on verra, notamment, la qualité de l’eau s’améliorer.
Le changement de mentalité est amorcé, résolument ancré, martèle Christiane Lambert. Pour autant, les agriculteurs qui se reconnaissent dans les syndicats majoritaires n’entendent pas en rester là. « Nous sommes toujours en évolution », explique Didier Marteau. Mais pour stimuler l’évolution, il faut notamment soutenir le risque que prennent les producteurs qui s’engagent.
Ainsi, plutôt qu’une taxe sur les produits polluants, Christiane Lambert avance : « Pourquoi ne pas imaginer un système de certificats d’économies d’intrants, à l’image des certificats d’économies d’énergie mis en place par l’Ademe (Agence de l’environnement pour la maîtrise de l’énergie) ? Ce serait un système réellement incitatif, axé sur une politique de résultats ». La vice-présidente de la FNSEA imagine aussi « un abattement sur la redevance pour pollutions diffuses » pour ceux qui s’engagent dans des démarches plus environnementales, ou « un crédit d’impôt pour les formations en lien avec l’environnement ».
Pas d’écologie sans économie
Un autre signe rassurant peut venir du marché, estiment les Jeunes agriculteurs : s’il y a une demande, les filières et systèmes de production pourront se mettre en place, qui concilient écologie et économie. Mais la demande n’est pas toujours au rendez-vous, rappellent FNSEA et JA qui citent des cas de déclassement de produits biologiques, vendus dans les circuits conventionnels.
Et les tentatives de valorisation par le marché de filières plus « vertueuses » ne sont pas toujours couronnées de succès. Ainsi, la démarche Haute valeur environnementale, mise en place par le Grenelle de l’environnement est encore timide : peu d’exploitations ont aujourd’hui atteint le plus haut niveau d’exigence qui est pourtant le seul qui ouvre la voie à une labellisation des produits vendus aux consommateurs. La faute, estime Didier Marteau, à des exigences trop importantes de cette démarche. Pour pallier ce problème, l’APCA appelle à des démarches de territoires, échelles à laquelle des efforts de structuration de filières sont souhaitables. Le ton adopté par l’APCA dans sa contribution sur l’agro-écologie, remise au ministre de l’agriculture est résolu : il faut selon elle mieux accompagner les agriculteurs, et renforcer la formation initiale et continue, mais aussi « créer des MAE systèmes », « renforcer les approches collectives », favoriser la R&D à travers plusieurs leviers. « Pour emprunter massivement cette voie, les agriculteurs ont besoin de références et de systèmes innovants, de réponses opérationnelles, testées et librement choisies en fonction des besoins de leur entreprise », résume Guy Vasseur, président de l’APCA en introduction du document. En effet, « l’enjeu est de dépasser le public des précurseurs et pionniers en s’appuyant et en capitalisant leurs expériences pour impliquer un grand nombre d’agriculteurs dans tous les territoires ». Le dernier recensement agricole décompte quelque 600.000 chefs d’exploitation. Il est logique que le changement demande plus d’un jour pour s’opérer.
Gaz à effet de serre : Les émissions comptabilisées dès 2013
Les États membres devront désormais comptabiliser, à titre informatif dans un premier temps, les émissions et absorptions de gaz à effet de serre des secteurs agricole et forestier notamment ceux liés aux changement direct d’affectation des sols. Le texte établissant les règles comptables de prise en compte de ces émissions a été adopté par le Conseil le 22 avril.
Le Conseil a définitivement adopté le 22 avril le règlement établissant des règles comptables pour les émissions européennes de gaz à effet de serre (GES) liées à l’utilisation des terres, au changement d’affectation des terres et à la foresterie (lUlUCF) (1). Les Vingt-sept et le Parlement européen étaient parvenus à un accord sur ce dossier le 21 décembre 2012 (2).
Les Etats membres vont devoir dès 2013 contrôler tout changement d’utilisation des terres susceptible d’avoir un impact sur les émissions de GES dans les secteurs de l’agriculture et de la foresterie et adopter des plans d’actions nationaux sur la façon dont il vont renforcer l’absorption du carbone et diminuer les émissions de GES dans ces secteurs. La Commission européenne a proposé de mettre en place cette comptabilisation en application de l’accord conclu lors du sommet des Nations unies sur le changement climatique à Durban, en décembre 2012. C’est une première étape en vue de l’intégration des activités liées au lUlUCF dans les engagements pris par l’UE en matière de réduction des émissions de GES. L’objectif est de stimuler le potentiel d’atténuation du secteur, d’augmenter la visibilité des mesures prises et de favoriser les bonnes pratiques.
Dans un second temps, une fois que la fiabilité des règles comptables aura été démontrée, des objectifs de réduction pourraient être fixés.
Les règles comptables, définies par ce règlement, sont applicables de manière obligatoire pour les activités de reboisement, de déboisement et de gestion des forêts ainsi que pour les activités de gestion des pâturages et de gestion des terres cultivées. Par contre, cette comptabilisation est facultative pour les activités de restauration du couvert végétal et de drainage et réhumidification des zones humides.