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Bruno Le Maire

« Cela ne veut rien dire, un budget ambitieux pour la Pac »

C’est parmi les cartons que le ministre de l’Agriculture sortant, Bruno
Le Maire, est revenu, le 10 mai – journée de la démission du
gouvernement Fillon - sur le bilan de ces trois années passées à la tête
du ministère. Il réagit aux mesures de politique agricole annoncées par
François Hollande. À commencer par le budget de la Pac.
Par Publié par Cédric Michelin
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François Hollande a indiqué qu’il plaiderait, concernant la Pac, pour « un budget européen ambitieux ». Pourquoi n’avez-vous jamais estimé cette ambition réalisable ?
BLM:
Arrêtons de nous payer de mots. Cela ne veut rien dire, un budget ambitieux pour la Pac. La réalité des négociations, est qu’une majorité d’États membres et une majorité de membres de la Commission européenne veulent récupérer plusieurs milliards d’euros sur le budget de la Pac. J’ai obtenu le maintien du budget de la Pac à l’euro. C’est aujourd’hui la proposition mise sur la table par la Commission. Je souhaite que mon successeur obtienne que les Allemands ne bougent pas sur cette position-là et que l’on ne retire pas un euro au budget de la Pac, parce que c’est bien cela l’objectif stratégique de la France. C’est l’intérêt de notre agriculture, c’est aussi notre intérêt financier : le budget de la Pac est celui sur lequel nous avons le meilleur retour en Europe, c’est donc un enjeu stratégique pour la France qui dépasse de loin l’agriculture. Je continuerai à veiller attentivement sur ces sujets.

Le nouveau président de la République a également indiqué défendre une répartition des aides européennes plus équitable, notamment entre les éleveurs et les céréaliers. Estimez-vous cette répartition juste aujourd’hui pour ne l’avoir pas estimée bonne à modifier durant votre mandat ?
BLM :
Rééquilibrer les aides, les répartir plus justement, faire en sorte que l’on encourage et rémunère les pratiques respectueuses de l’environnement plus que les sanctionner... Oui, j’y suis favorable. C’est d’ailleurs bien ce que nous avons fait lors du bilan de santé de la Pac en 2008. Mais attention aussi, à ne pas caricaturer l’agriculture française et à antagoniser les uns avec les autres, les céréaliers d’un côté et les éleveurs de l’autre. Je sais bien que dans l’élevage c’est très difficile, mais il y a aussi des céréaliers qui vivent mal également. C’est le cas par exemple dans ma circonscription du sud de l’Eure. Des petits céréaliers qui ont 70 hectares d’exploitation, avec des rendements faibles, des sols avec un affleurement calcaire... L’agriculture française s’en sortira en avançant sur la voie de la solidarité, notamment avec la mise en place de contrats entre les céréaliers et les producteurs bovins.

S’il fallait en retenir une, quelle est la mesure durant les trois années de votre mandat dont vous êtes le plus fier?
BLM :
C’est la contractualisation. Elle traduit ce qui a été ma ligne forte pendant les trois ans que j’ai passé au ministère de l’Agriculture, à savoir la défense du revenu des producteurs qui est pour moi la priorité absolue. Ce travail mené pour la contractualisation est donc une des choses dont je suis le plus fier, parce qu’on a réussi à faire que les gens travaillent plus ensemble. Je souhaite désormais que ces contrats se développent dans d’autres secteurs, notamment pour les producteurs de viande : si on veut diminuer leur coût de l’alimentation, il faut des contrats entre les céréaliers et les producteurs bovins. On ne peut pas laisser les éleveurs bovins avec une telle incertitude sur le coût de l’alimentation. Ce n’est pas raisonnable. La solution viendra des contrats.

Vous parlez de travailler ensemble... Mais certains producteurs qui ont essayé de se regrouper ont été sanctionnés par l’Autorité de la concurrence. N’y a-t-il pas de limite à cette unité que vous défendez ?
BLM :
Je regrette profondément cette vision étroite et datée de la concurrence. Aujourd’hui, la priorité n’est pas que des producteurs à l’intérieur du territoire français se fassent concurrence. Au contraire, la priorité c’est qu’on les laisse s’organiser. Ils n’en peuvent plus qu’on leur impose des règles de
la concurrence qui leur interdisent de défendre leurs intérêts. Les producteurs ont besoin d’un soutien clair et marqué. Personne ne peut croire que, si les producteurs de Normandie et de Bretagne s’organisent, cela va gêner le droit de la concurrence et menacer Danone, Lactalis et Sodiaal. J’ai d’ailleurs obtenu une modification du droit de la concurrence au niveau européen après un an de négociation pour permettre aux producteurs de lait de se réunir en organisation de producteurs et faire jeu égal avec les industriels. C’est une question de justice et d’équité. Cela a été un combat très difficile à Bruxelles, mais on a eu gain de cause.

Concernant le marché laitier : après 2015, les quotas laitiers vont sauter. La dérégulation ne risque-telle pas d’entraîner une surproduction, et donc une dégradation du revenu des éleveurs laitiers ?
BLM :
On a décidé de supprimer les quotas en 2015. Et le travail que j’ai fait pendant trois ans a été de remettre des instruments de régulation partout, parce que la libéralisation totale du marché laitier est une folie. Une folie ! Et je pèse mes termes. Elle se traduira par une surproduction, la chute du revenu des producteurs et une crise économique dramatique. Les instruments de régulation tels qu’ils sont en place aujourd’hui sont de bons instruments, nous le devons à la France et au ministre de l’Agriculture français aidé par la FNPL, et à Dacian Ciolos qui m’a beaucoup aidé. En revanche, ils ne sont pas suffisants. Il faut encore travailler sur la transparence des volumes et les indicateurs de prix. Ce ne sont pas des batailles qu’il faut livrer dans les prochaines années ni dans les prochains mois mais dans les prochains jours. Il y a urgence.

Comment justifiez-vous le nouvel arrêté d’interdiction de culture du maïs OGM Mon 810, quand de nombreux grands pays agricoles avancent dans la diffusion de cette technologie, ainsi que sur la recherche sur les OGM?
BLM :
J’ai fait une évaluation politique que j’assume : la priorité absolue pour le ministère de l’Agriculture était de défendre les revenus des producteurs. J’ai très vite vu que si j’ouvrais le débat sur les OGM, je ne pourrai pas redresser l’agriculture française. J’aurai passé toutes mes journées à répondre à des attaques, des interrogations, des critiques. J’ai fait ce choix, je l’assume. Cette question des OGM devra pourtant être traitée dans les années à venir. Il faudra alors sortir définitivement de la violence verbale, des arguments tout faits, pour avoir le débat de fond que mérite l’agriculture et la démocratie française.

D’autres mesures prendront du temps. C’est le cas de l’ouverture des interprofessions. Pourquoi ne pas être allé plus vite sur ce sujet ?
BLM :
Là aussi j’ai fait un choix que j’assume. J’aurais pu imposer par la loi l’ouverture des interprofessions, mais immédiatement, le syndicat majoritaire se serait braqué et aurait refusé. J’ai choisi d’avancer plus lentement, par le dialogue, en essayant de convaincre les uns et les autres que
c’était leur intérêt. J’en avais discuté longuement avec Jean-Michel Lemétayer qui pour toutes sortes de raisons légitimes ne préférait pas le faire. Xavier Beulin en a eu le courage, la porte est désormais ouverte. Il va maintenant falloir construire cette entrée.

Avez-vous des regrets au regard de ces trois années de mandat ?
BLM :
Il y a beaucoup de dossiers sur lesquels je regrette qu’on ne soit pas allé plus loin. Je regrette qu’on n’ait pas réussi à mettre en place un système assurantiel pour les éleveurs. Bercy a catégoriquement refusé l’assurance publique – apeuré que cela coûte cher aux finances publiques de l’Etat. Mais ce qui coûte cher, c’est d’avoir à indemniser les catastrophes naturelles chaque année. C’est évident que dans le secteur des fruits et légumes, les résultats n’ont pas non plus été à la hauteur de ce que j’aurais aimé. Mais cela ne veut pas dire que rien n’a été fait. Je suis le premier à avoir fait baisser le coût du travail. Maintenant, j’entends le nouveau pouvoir en place déclarer matin, midi et soir qu’il n’y a pas de problème de coût du travail en France. Je l’avertis solennellement, c’est un des problèmes importants de l’agriculture française, notamment dans le secteur des fruits et légumes et la viticulture. Même quand on donne tout, on aimerait faire quelques mètres de plus.

On vous a reproché de ne pas être un ministre de l’Agriculture « de terrain ». C’est un reproche qui a vous a blessé ?
BLM :
Je suis un ministre de terrain ! Je suis allé dans un nombre d’exploitations incroyable, j’ai fait deux à trois déplacements dans les fermes françaises par semaine. À chaque crise, j’ai été sur le terrain : dès mon entrée en fonctions avec les producteurs d’Entremont, pendant la crise du lait,
pendant la sécheresse… Et vous ne finissez pas avec près de 70% d’opinion favorable chez les agriculteurs si vous n’êtes pas un ministre de terrain. J’ai aimé aller à la rencontre des paysans, et je continuerai. Ils m’ont transformé. Ici, malgré les difficultés, j’ai été un ministre heureux de servir les agriculteurs.

Outre le terrain, quelle est selon vous la qualité indispensable que doit posséder un ministre de l’Agriculture ?
BLM :
La première qualité, c’est d’aimer les paysans. Ils savent que je m’en suis pris plein la figure de la part de certaines associations, de la part de gens qui contestaient ma politique. Mais moi je serai toujours du côté des paysans et je leur dois énormément. L’autre qualité est d’être un excellent
négociateur européen. Et notamment avoir des relations très fortes avec les Allemands. Tous les problèmes européens dans l’agriculture sont venus des différends entre la France et l’Allemagne. La dernière qualité, c’est avoir du poids politique au sein du gouvernement. Quand la situation est difficile, qu’il y a des arbitrages à rendre, il faut avoir le poids politique suffisant pour que le président de la République donne un arbitrage favorable aux paysans. Ce fut le cas sur la question des retenues collinaires.

Le président de la FNSEA a déclaré vouloir un ministère de l’Agriculture élargi à l’agroalimentaire. Qu’en pensez-vous ?
BLM :
L’industrie agroalimentaire est déjà dans l’agriculture et doit évidemment rester à l’intérieur de ce ministère... Pour le reste, ce sera au prochain Premier ministre de le décider. Ce que je souhaite, c’est que l’on garde au sein du même ministère, l’alimentation, l’agriculture, et la pêche ensemble. Enfin pour un ministère idéal, se posent deux questions difficiles : la première, c’est l’amélioration des relations entre les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement. Notamment dans les services en région et en département. Les choses ne sont pas satisfaisantes. Il faut améliorer les structures, le fonctionnement des administrations, le travail en commun... il y a un gros travail à faire. Et même chose dans la relation avec Bercy, notamment sur la question du droit de la concurrence. Je reviens sur le sujet, mais sur ce point, il faut absolument que l’on améliore les relations. Et ça, c’est le travail des politiques.