Transition agroécologique
Déverrouiller la filière ?
Les Cahiers de l'agriculture sont désormais sur le web (www.cahiersagricultures.fr en version Open access). Dans le numéro de janvier-février 2012, une étude originale revient sur la transition agroécologique en train de se produire en agriculture. La filière est partagée entre "innovation et effets de verrouillage", ce qui questionne le rôle de la structure organisationnelle des filières.
Le système de production agricole français est appelé à évoluer vers une agriculture plus respectueuse des ressources et de l’environnement. Si la recherche agronomique développe de nouveaux systèmes de culture en ce sens, leur adoption par la profession agricole reste problématique.
Le système de production agricole apparaît en effet comme verrouillé (« lock-in ») autour d’un paradigme technologique, reposant sur un usage intensif des intrants, dont il est difficile de sortir. Dans cet article, nous formulons l’hypothèse, en mobilisant les apports récents de la théorie des coûts de transaction et de la littérature sur les systèmes sociotechniques, qu’une faible intégration des acteurs d’une filière peut en partie expliquer le verrouillage du système. La structure organisationnelle d’une filière peut en effet constituer un verrou, dans la mesure où des configurations organisationnelles faiblement intégrées peuvent freiner la mise en place d’investissements nécessaires pour assurer la transition agroécologique. Cette hypothèse est ensuite appliquée à une étude de cas en France, la filière blé dur ; filière qui présente un faible niveau d’intégration ou de quasi-intégration entre les acteurs de l’amont et de l’aval. Nous nous interrogeons enfin sur les leviers d’actions possibles pour « déverrouiller » la filière. Une solution au déverrouillage consiste à créer des filières de niche au sein des filières classiques de production et de commercialisation. Une meilleure valorisation auprès des consommateurs d’une production à plus haute performance environnementale pourrait ainsi favoriser l’adoption de nouvelles pratiques. Néanmoins, la question reste de savoir comment assurer un partage de la valeur qui donne aux agriculteurs les incitations financières suffisantes pour faire le choix de ces nouvelles pratiques.www.cahiersagricultures.fr.
La reconnaissance d’externalités négatives associées aux systèmes de production conduit la société occidentale, dans son ensemble, à repenser la croissance économique en termes de développement durable. Le système de production agricole, de par son fort impact sur l’environnement, est particulièrement interpellé pour développer des pratiques plus respectueuses des ressources environnementales. Mais, les changements ne s’initient pas facilement et ce malgré les préconisations avancées par de nombreuses études et rapports (Aubertot et al., 2011 [Expertise collective Pesticides Inra-Cemagref] ; Grenelle de l’Environnement, Rapport Tuot 20071 ; Plan Ecophyto 20182…). Pourtant, la recherche agronomique propose des modes de production alternatifs visant à réduire les externalités négatives de l’agriculture conventionnelle, telles que les pratiques limitant l’usage des pesticides (Burger et al., 2008) ou la fertilisation chimique des sols (Justes et al., 2009).
Au regard de la théorie économique, le système de production agricole dominant peut être caractérisé comme un système verrouillé (« lock-in ») autour d’un paradigme technologique reposant sur un usage intensif des intrants (fertilisants, herbicides, pesticides, etc.) ; système dont il est difficile de sortir3. La littérature sur le lock-in montre qu’en effet un certain nombre de mécanismes économiques peuvent décourager les acteurs à s’orienter vers des techniques de production (c’est-à-dire des technologies) différentes des technologies dominantes, qui ne correspondraient pas au standard productif. Si cette question a été fortement investie dans les domaines de l’industrie (David, 1985 ; Arthur, 1989 ; Arthur, 1994 ; Liebowitz et Margolis, 1995) et de l’énergie (Cowan, 1990), très peu d’analyses ont été proposées pour le monde agricole. Rappelons essentiellement les travaux de Cowan et Gunby (1996) et ceux de Vanlocqueren et Baret (2009) qui montrent comment la recherche scientifique agricole s’est concentrée principalement sur un type de paradigme scientifique, orienté vers l’agrochimie et l’ingénierie génétique, au détriment de celui fondé sur l’agroécologie4. Cette concentration des moyens de la recherche autour d’un seul et même système de production agricole a fortement contribué au phénomène « d’autorenforcement », conduisant progressivement ce système à une situation de verrouillage.
Cependant, une partie de la recherche agronomique s’est orientée vers la proposition de pratiques nouvelles, dites à plus haute performance environnementale5. Au regard de la littérature sur les systèmes sociotechniques (par exemple, Geels, 2005), ces systèmes de production innovants pourraient constituer des niches à partir desquelles le système conventionnel de production peut s’hybrider et transiter vers un nouveau système. Cette analyse de la transition permet de relativiser, en un sens, la théorie du verrouillage technologique, en montrant que même si la technologie agricole dominante freine l’adoption de nouvelles pratiques, ces dernières peuvent quand même être adoptées par des acteurs à la recherche d’une différenciation sur le marché. Mais le problème majeur reste alors celui du coût de ce changement. Il est en effet difficile d’envisager qu’un agriculteur change son système de production s’il ne trouve pas une contrepartie financière qui le conforte dans cette volonté de s’orienter vers une nouvelle forme d’agriculture. Une première source directe de financement est le bénéfice réalisé par la vente de sa production aux acteurs de l’aval des filières agro-industrielles, le premier acteur étant souvent une coopérative agricole.6 On comprend dès lors que les liens contractuels de commercialisation peuvent avoir un impact direct sur la propension à innover des acteurs7 (Fares, 2010). Une deuxième source de financement peut transiter via des logiques d’intégration verticale des filières par les groupes coopératifs ou industriels. La détention de capital social, et donc d’actifs, dans des entreprises à l’amont des filières par les acteurs de l’aval leur permet de financer et d’orienter les choix avec des possibilités de contrôle associées (Morin, 1994).
La littérature en théorie des organisations, et notamment l’approche en terme de coûts de transaction initiée par Coase (1937 ; 2005) et Williamson (1975 ; 2002), a largement mis en avant le fait que ces liens contractuels et financiers déterminaient la qualité ou l’efficacité de la coordination verticale des acteurs (Sykuta et James, 2004) ; tout particulièrement pour leurs choix d’investissement dans des actifs spécifiques qui soutiennent les processus d’innovation. Nous proposons ainsi d’appréhender plus spécifiquement cette question du lien entre la structure organisationnelle d’une filière et les incitations à innover des acteurs qui la constituent, pour dépasser les limites soulevées par les théories de la transition (Kemp, 1994 ; Geels, 2002), notamment au regard d’une absence d’analyse de la structuration organisationnelle des niches (Smith et al., 2010). Plus précisément, nous définissons la structure organisationnelle d’une filière comme l’ensemble des liens financiers et contractuels qui modulent fortement les règles de partage de la valeur entre l’amont et l’aval. Suivant ce cadre d’analyse, l’hypothèse que nous formulons ici est que la structure organisationnelle d’une filière peut constituer en elle-même un mécanisme de verrouillage, si cette structure freine la diffusion de la valeur issue de la commercialisation des produits agricoles transformés, et de ce fait, réduit la capacité d’innovation des acteurs, et plus particulièrement la capacité de l’amont agricole à s’engager dans la transition agroécologique. Autrement dit, nous considérons que cette transition ne peut s’initier si les acteurs de la filière, et tout particulièrement ceux de l’amont, ne trouvent pas de ressources financières suffisantes pour investir dans des actifs spécifiques liés à de nouvelles pratiques.
Nous illustrons notre analyse à partir d’une étude de cas en France – la filière blé dur – qui est confrontée à un enjeu de réduction d’intrants dans la production amont, tout particulièrement en ce qui concerne la fertilisation azotée, pour répondre aux exigences environnementales. Or, nous observons que la structure organisationnelle de cette filière présente une très faible intégration entre les acteurs de l’amont et de l’aval interrogeant les conditions d’une transition agroécologique de la filière.
L’article s’organise comme suit. La première partie revient sur le concept de verrouillage (lock-in) en rappelant brièvement les différents mécanismes d’autorenforcement déjà identifiés dans la littérature. La partie suivante propose d’étudier, à partir de l’apport de la théorie des organisations, l’effet de la structure organisationnelle des acteurs d’une filière comme un mécanisme spécifique pouvant jouer sur le verrouillage d’un système, mécanisme que nous relions à l’analyse des systèmes sociotechniques pour en comprendre le rôle clé. La dernière partie illustre cette réflexion en analysant la structure organisationnelle de la filière blé dur en France. Nous concluons en nous interrogeant sur les possibles amendements de la structure organisationnelle de cette filière afin qu’elle assure une répartition de la valeur incitant les acteurs à innover dans de nouvelles pratiques.
Verrouillage technologique et mécanismes d’autorenforcement
Après avoir rappelé la définition que la théorie économique donne au concept de verrouillage, nous rappelons en quoi l’agriculture peut présenter une situation de verrouillage technologique et quels sont les principaux mécanismes d’autorenforcement identifiés dans la littérature qui peuvent expliquer ce verrouillage.
Le concept de verrouillage
L’étude de cas du clavier QWERTY (AZERTY dans le cas français) par Paul David (1985) illustre, sans nul doute, le mieux le concept de verrouillage. L’ordonnancement des lettres sur le clavier QWERTY a été initialement pensé pour réduire les conflits de frappe des machines à écrire de la fin du xixe siècle. Depuis, d’autres claviers plus ergonomiques et efficaces, comme le DVORAK, dont l’utilisation est rendue possible avec l’avènement de l’ère informatique, ont été proposés. Pour autant, nous continuons tous à taper sur des claviers informatiques de type QWERTY. Cette situation correspond typiquement à un verrouillage technologique : il existe une technologie jugée plus efficace, mais la technologie jugée moins efficace reste le standard. En d’autres termes, « une fois la solution atteinte, il est difficile d’en sortir »8 (Arthur, 1994). Précisons ici que le terme de « technologie » renvoie dans cette littérature à une définition large : le verrouillage technologique peut s’appliquer à un choix de technique de production, d’un produit, d’une norme, ou encore d’un paradigme, qui font référence. Cette technologie est devenue un tel standard pour la société qu’il semble difficile d’en changer, même s’il existe d’autres technologies qui pourraient s’avérer efficaces. On comprend alors que le verrouillage d’un système de production est un obstacle majeur à la diffusion d’innovations.
Le verrouillage technologique de l’agriculture : quelles autres alternatives ?
Un verrouillage technologique suppose qu’il existe au moins une technologie alternative considérée comme plus efficace que celle qui fait office de standard. Or la reconnaissance de modes de production agricole alternatifs à l’agriculture conventionnelle fait l’objet de nombreux débats et controverses (Roger, 2002). En effet, si des formes d’agricultures alternatives affichent des technologies de production efficaces pour répondre à des exigences environnementales, telles que l’agriculture biologique ou l’agriculture raisonnée, leur efficacité productive est souvent relative au type d’espèces cultivées (en ce qui concerne la production végétale). Selon le niveau de contraintes agronomiques, l’arbitrage nécessaire entre l’efficacité productive et l’efficacité environnementale peut se révéler défavorable à certaines pratiques alternatives. Ainsi, concernant le blé dur, les exigences qualitatives en termes de taux de protéines et de mitadinage sont difficiles à atteindre sans une utilisation importante d’engrais azoté, ce qui est particulièrement problématique en agriculture biologique pour laquelle les engrais minéraux sont proscrits. En revanche, de nouvelles alternatives, telles que le mélange de blé dur avec une légumineuse à graine (pois protéagineux ou féverole) permettent d’atteindre ces objectifs qualitatifs tout en réduisant la fertilisation azotée (Bedoussac et Justes, 2010a ; Bedoussac et Justes, 2010b ; Justes et al., 2009). Il n’existe donc pas d’alternative unique à l’agriculture conventionnelle, mais un continuum de pratiques permettant de mieux répondre aux exigences environnementales. Toutefois, la transition des pratiques vers de nouvelles solutions agronomiques peut être freinée par des mécanismes économiques qui verrouillent le système productif sur les pratiques conventionnelles.
Mécanismes économiques d’autorenforcement d’un choix initial
Pour comprendre le verrouillage, la littérature sur le lock-in a identifié plusieurs mécanismes économiques (figure 1).
Ces mécanismes dits « d’autorenforcement » ont été essentiellement identifiés à partir d’études de cas (David, 1985). La seule étude de cas relative au monde agricole est celle de Cowan et Gunby (1996). Nous proposons de rappeler les trois principaux mécanismes d’autorenforcement – les rendements croissants à l’adoption, la compatibilité technologique, l’état de la connaissance – en les appliquant au choix de l’agriculture conventionnelle, avant de proposer l’analyse de la structure organisationnelle des acteurs comme un mécanisme supplémentaire de compréhension des effets de lock-in dans la section suivante.
Les rendements croissants d’adoption renvoient à deux types d’effets interdépendants : les effets de réseaux et d’apprentissage. Les effets de réseaux contribuent à renforcer la valeur d’usage d’un produit ou d’une technologie en lien avec l’augmentation du nombre d’utilisateurs. L’augmentation du nombre d’agriculteurs en système conventionnel a favorisé l’affinement des connaissances dans ce domaine (learning by using, learning by doing). Ces apprentissages ont contribué à fortement accroître les rendements au cours des dernières décennies, incitant les agriculteurs à poursuivre dans cette voie. Par ailleurs, plus une technologie est répandue et plus des technologies complémentaires se développent, renforçant sa position dominante. Ces effets cumulatifs augmentent ainsi la valeur d’adoption de la technologie initialement choisie. En l’absence de tels rendements, l’agriculteur choisirait la technologie la plus efficace, et non pas forcément celle qui est choisie par le plus grand nombre.
Les connaissances des agents jouent un rôle important dans le mécanisme d’autorenforcement, et cela à différents niveaux. D’abord, les parcours de formation des agents, et de ceux qui assurent un service de conseil auprès d’eux, influencent fortement leur capacité à utiliser telle ou telle technologie. Chacun choisit ainsi la technologie qui lui semble la « meilleure » compte tenu de ce qu’il sait. Cela a conduit les agriculteurs et les conseillers agricoles à orienter les choix productifs en faveur de l’agriculture conventionnelle qui reste le paradigme principalement diffusé dans l’enseignement agricole. Or, Dosi (1988) rappelle que « ce que la firme peut espérer faire technologiquement dans le futur est fortement contraint parce qu’elle a été en mesure de faire par le passé »9. En ce sens, le cœur de compétences (core capabilities) des agriculteurs et/ou des entreprises agro-industrielles peut générer des rigidités qui limiteront leurs capacités à innover et à changer de technologie. Ensuite, comme le montre Labarthe (2010), le conseil technique aux agriculteurs est aussi encastré dans des rapports de force institutionnalisés qui verrouillent la capacité d’évolution des connaissances vers des systèmes alternatifs. Enfin, l’incertitude relative au manque de connaissances pratiques d’une technologie alternative réduit sa probabilité d’adoption.
Au-delà de ces mécanismes d’autorenforcement du choix technologique initial, nous proposons, dans un cadre conceptuel élargi à la théorie des coûts de transaction et à la littérature sur les systèmes sociotechniques, de nous intéresser plus précisément à un autre mécanisme d’autorenforcement défini par les liens qui structurent les acteurs d’une filière de production.
Niches, déverrouillage et structure organisationnelle des filières
La conception de « niches » dans la littérature sur les régimes sociotechniques ouvre une perspective de déverrouillage des systèmes de production via une forme de « transition » qui s’apparente à un mécanisme de diffusion progressive de l’innovation au sein du système conventionnel. Pour autant, la pertinence économique de cette diffusion interpelle quant aux incitations économiques nécessaires à cette transition. Celles-ci peuvent être analysées, comme nous le proposons ici, au travers des liens qui structurent les relations entre les acteurs des filières sur les marchés.
La transition : régimes sociotechniques et niches
Le processus de développement de nouvelles technologies de production est aussi largement influencé par les cadres organisationnels et institutionnels dans lesquels il s’insère. Cela implique que le processus d’adoption et de diffusion d’innovations dépend certes de ses caractéristiques propres, mais aussi de celles du marché initial, de facteurs institutionnels, ainsi que des habitudes des consommateurs. Pour comprendre cette dynamique des innovations au travers des organisations, Kemp (1994) et Geels (2002 ; 2005) proposent de centrer l’analyse sur le régime sociotechnique qui, selon Rip et Kemp (1998) « constitue une grammaire, c’est-à-dire un ensemble de règles définies dans un complexe de produits, de qualifications et de procédures […] imbriqués dans des institutions et des infrastructures ». Cette définition rend clair le fait qu’un régime consiste pour une large part en un ensemble de routines institutionnelles utilisées par des acteurs.
Cependant, comme un régime n’est pas toujours totalement homogène, des niches apparaissent créant un espace partiellement isolé du fonctionnement normal du régime, et notamment du processus de sélection des marchés par le standard technologique dominant. Ces niches peuvent alors servir d’incubateurs à des innovations radicales (Schot, 1998). En effet, en fonctionnant avec des normes et des règles institutionnellement différentes, les niches fournissent des lieux de réalisation des processus d’apprentissage ainsi que la possibilité de construire des réseaux économiques capables de supporter des innovations, comme des filières de production et/ou de commercialisation. Ces niches peuvent alors apparaître comme des voies de déverrouillage et interrogent sur la manière dont elles peuvent se structurer pour dépasser les effets d’autorenforcement (rappelés en première partie) du régime sociotechnique standard.
Selon Geels (2002 ; 2005) ces niches sont imbriquées dans les régimes et paysages (landscapes) existants, tout en étant partiellement isolées10. A priori, la logique de ce système imbriqué à trois niveaux implique que le niveau le plus élevé est le plus stable et le plus résistant au changement, du fait d’interactions et de liens entre les éléments formant cette configuration. De ce fait, ce niveau impose des contraintes sur la direction du changement intervenant aux niveaux du dessous, générant ainsi le phénomène d’autorenforcement des choix technologiques existant. L’isolement des niches permet une maturation des innovations et, sous certaines conditions, leur diffusion. Ainsi, si un processus « d’accumulation » de niches survient, l’innovation radicale se propage alors à plusieurs marchés. Si ces marchés deviennent suffisamment importants, un nouveau régime sociotechnique peut émerger, et l’innovation radicale finit par devenir le nouveau standard technologique.
L’effet de la structure organisationnelle sur le verrouillage technologique
Si l’on s’intéresse au processus d’émergence d’une innovation au sein d’une niche, le modèle de Geels (2002) suggère qu’un minimum de coordination entre les acteurs doit exister. Ainsi, des connexions fortes entre les différents réseaux de producteurs, d’utilisateurs finaux et financiers doivent être établies. Cependant, Geels (2002) ne propose pas d’approche théorique explicite permettant de définir des modes de coordination efficace des acteurs dans ces niches. Nous proposons donc une approche théorique de la structuration organisationnelle de ces niches. Nous entendons par structure organisationnelle de la filière, les liens verticaux et horizontaux11 qui coordonnent les acteurs économiques sur les marchés et tels qu’ils sont classiquement analysés par la théorie des organisations.
Plus précisément, la coordination entre les acteurs des différents maillons de la filière peut être appréhendée par le degré d’intégration verticale de celle-ci. Ce degré d’intégration évalue si les activités de la chaîne de valeur d’un produit sont réalisées par des firmes indépendantes les unes des autres (Porter, 1999) ou dépendantes par des liens spécifiques, comme des liens financiers ou des liens contractuels de long terme. Nous considérons, en effet, que deux types de liens définissent le degré d’intégration d’une filière : i) les liens financiers, à travers la propriété des actifs physiques (Hart, 1995) ; ii) les liens contractuels, à travers des contrats de long terme allouant un certain pouvoir de décision12 (Aghion et al., 1994 ; Fares, 2006). Comme le souligne Morin (1994) les liens financiers ou de propriété constituent des « vecteurs organisateurs de pouvoir » dans la mesure où le lien financier définit un rapport de propriété, « mais également des formes de coordination inter-acteurs ». De même, les contrats ne constituent pas de simples mécanismes de coordination définissant prix et quantité. Ils allouent aussi un pouvoir de décision assez semblable à celui de la propriété, même si ce dernier est limité par le contrat, notamment lorsque la relation est de long terme et que les parties doivent donc souvent renégocier afin d’adapter le contrat aux événements non anticipés (Hart et Moore, 1988 ; Fares, 2009). L’intégration, ou la quasi-intégration, permet de réduire les asymétries d’information entre acteurs (Hennessy, 1996), mais surtout de résoudre le problème du hold-up lié aux « effets de verrouillage » générés par la spécificité des investissements mis en place par les acteurs (Hart et Holmström, 1987). En effet, l’intégration ou la quasi-intégration permet d’allouer à la partie qui investit des droits de contrôle sur les actifs et/ou des droits de décision lors de la renégociation. Cela permet d’empêcher l’opportunisme du partenaire et de limiter toute forme d’expropriation du rendement des investissements en actifs spécifiques, à l’origine du sous-investissement dans les innovations (effet de hold-up). Autrement dit, en contrôlant la répartition de la valeur créée au sein de la filière, l’intégration ou la quasi-intégration peut permettre de définir les incitations suffisantes pour la mise en place d’innovations technologiques, qu’elles soient de process ou de produit.
À partir de cette réflexion théorique reliant les processus d’innovation, de verrouillage et de structuration organisationnelle des acteurs des filières au sein des régimes sociotechniques, nous proposons une étude de cas : celle de la filière blé dur en France.
Verrouillage et structure organisationnelle dans la filière blé dur
Après avoir présenté l’enjeu de réduction d’intrants pour la production de blé dur, nous analysons la structure organisationnelle de la filière blé dur en France et nous discutons des spécificités de son organisation qui peuvent contribuer à un verrouillage technologique de la production de blé dur.
L’enjeu de réduction d’intrants à l’amont de la filière blé dur
L’essentiel de la production de blé dur est destiné à la fabrication de pâtes alimentaires pour lesquelles les techniques de cuisson actuelles nécessitent des seuils élevés de teneur en protéines des grains13. Ces teneurs élevées en protéines (de 13 à 14 %) comparativement à celles qui sont exigées en blé tendre pour la panification (de 10 à 11 %)14, nécessitent un usage intensif d’azote. En effet, rapporté au tonnage, il faut en moyenne 2,3 unités d’azote pour produire un quintal de blé tendre contre 3,7 dans le cas du blé dur soit 1,6 fois plus15. Concernant le recours aux phytosanitaires, les écarts moyens sont moins importants entre les deux cultures. Ainsi on peut considérer qu’un des enjeux spécifiques de la transition agroécologique pour la filière blé dur est l’adoption de pratiques agricoles moins consommatrices d’azote. Comme nous l’indiquions précédemment, les cultures associées de type « légumineuses/blé dur » constituent un exemple de pratique alternative plus agroécologique. Ces associations de cultures, permettent au blé dur d’atteindre des taux de protéines comparables à ceux d’un blé dur fertilisé, mais avec des apports externes d’azote nettement réduits (Bedoussac et Justes, 2010a ; Bedoussac et Justes, 2010b ; Justes et al., 2009)16.
Au-delà de la capacité agronomique de ces pratiques alternatives à atteindre des exigences de production, de récents travaux ont fait état de difficultés que pouvaient avoir les coopératives agricoles à valoriser ces productions issues d’association de cultures. Ces difficultés viennent de problèmes techniques et organisationnels liés aux opérations de stockage et de tri des graines. Ces problèmes tiennent à une inadaptation de l’appareillage technico-organisationnel des coopératives (Magrini et al., 2011). Il conviendrait alors que les coopératives réalisent des investissements spécifiques pour s’adapter à ces nouvelles pratiques agricoles. Au regard des développements théoriques présentés dans la précédente section, nous proposons de nous pencher sur les liens économiques entre les coopératives et les autres acteurs de la transformation, à l’aval de la filière, par lesquels des incitations financières pourraient transiter pour favoriser de tels investissements.
Une filière blé dur concentrée à l’aval mais peu intégrée
L’étendue de la filière est facile à déterminer car le blé dur est destiné exclusivement à l’alimentation humaine, essentiellement sous la forme de semoule de couscous et de pâtes17. C’est une filière relativement récente en France où les premières productions de blé dur ont démarré dans les années 1960. C’est au cours des années 1980 que la recherche agronomique est parvenue à proposer des variétés de blé dur suffisamment adaptées aux conditions pédoclimatiques et permettant d’assurer des volumes et des seuils de qualité du blé dur requis pour les industries semoulière et pastière. La production annuelle de blé dur a augmenté au cours des 15 dernières années avec une quantité d’environ 2 millions de tonnes en 2009, dont plus de la moitié est exportée (figure 2). L’industrie semoulière triture annuellement environ 600 000 tonnes de grains, chiffre très stable sur le long terme (Le Bail, 2001), avec une production française d’environ 250 000 tonnes de pâtes et 80 000 tonnes de couscous (chiffres de 2008). La France se situe ainsi au deuxième rang européen pour la fabrication de pâtes (loin derrière l’Italie, leader mondial avec plus de 3 millions de tonnes de pâtes) et au premier rang européen pour la production de couscous. Quant à la filière export, ce sont les progrès continus d’amélioration de la qualité des blés et des rendements qui ont fortement contribué à la développer au cours de la dernière décennie.
La filière blé dur suit une chaîne de valeur typique de l’industrie agroalimentaire, en s’organisant depuis les semenciers jusqu’aux transformateurs industriels des biens de consommation alimentaire18. L’amont de la filière est caractérisé par les grandes étapes de production et de collecte du blé dur, tandis qu’à l’aval la transformation en semoule est une étape préalable à la fabrication des pâtes et du couscous (figure 3).
La structure organisationnelle de la filière est caractérisée à partir des liens de coordination entre acteurs, et plus spécifiquement ceux qui interviennent au dernier maillon de l’amont et aux deux premiers maillons de l’aval, au regard de la structure de marché. C’est la coordination de ces maillons qui contribue fortement à définir le degré d’intégration de la filière, car c’est à cette intersection que la valeur ajoutée du blé dur se crée pour l’amont dans la négociation des critères de qualité du blé dur. À partir de recherches sur des bases de données d’entreprises couplées avec des recherches sur Internet19, nous avons construit le schéma suivant qui illustre la structure des principaux acteurs de l’aval de la filière20 (figure 4).
L’aval présente une structure de marché très concentrée, de type oligopolistique avec trois acteurs intégrant la semoulerie et la production de pâtes et de couscous. Panzani occupe une position de leader tant pour la semoulerie que pour la pasterie, puis viennent ensuite les sociétés Pastacorp et Alpina Savoie21. Les autres pastiers de taille industrielle opérant en France sont des fabricants de pâtes aux œufs situés en Alsace qui représentent moins de 5 % de part de marché chacun. Il existe également un fabricant de couscous Tipiak. Enfin, on dénombre beaucoup de petites entreprises artisanales qui ont chacune d’entre elles moins de 1 % du marché. L’industrie aval du blé dur est donc très concentrée avec une intégration totale des deux étapes clés de fabrication : la semoulerie et la pasterie.
Cette concentration industrielle de la filière des pâtes alimentaires est un phénomène ancien qui s’explique tant par la nécessité de maîtriser l’étape de la semoulerie, que par la maturité du marché qui offre de faibles perspectives de croissance. Panzani devient le leader, dès les années 1960, suite à des fusions-acquisitions et à son implication dans l’activité de semoulerie22. La concentration de la semoulerie avec une prise de contrôle par les pastiers va se poursuivre pour aboutir dans les années 1990 à une situation de duopole avec deux groupes qui maîtrisent 90 % de la semoulerie française, et près de 80 % de la fabrication de pâtes alimentaires (Braun, 1995 ; Le Bail, 2001)23. En 2010, la filière est toujours très concentrée, avec un acteur dominant Panzani, leader sur les segments de la semoulerie avec environ 2/3 des volumes pour l’approvisionnement national (Le paysan tarnais, 2007), des pâtes et du couscous. L’activité semoulerie est répartie sur six usines, dont cinq appartiennent à des semouliers-pastiers et une seule est indépendante des pastiers, « GMM », résultant de restructurations récentes. Enfin, les pastiers non-semouliers sont minoritaires.
Quant à la structure amont, notre analyse nous a permis d’identifier que moins d’une vingtaine de collecteurs, dont deux tiers sont des coopératives agricoles, assurait la majeure partie de la collecte de blé dur en France. Cela résulte d’une enquête téléphonique auprès des collecteurs dans les quatre grands bassins de production du blé dur (Centre, Ouest-Océan, Sud-Ouest, Sud-Est), ce qui témoigne d’un nombre réduit de collecteurs pour chaque bassin, préfigurant là aussi une structure oligopolistique à l’échelle régionale.
Si la filière s’organise donc autour d’un nombre d’acteurs limités à l’aval comme à l’amont, sa forte spécificité apparaît dans la séparation nette entre les acteurs de l’amont et de l’aval, révélée par l’absence de liens d’intégration (liens financiers, liens contractuels de long terme).
Segmentation amont/aval et diffusion des incitations à l’innovation
Les maillons clés de l’amont et de l’aval de la filière blé dur sont donc caractérisés par une structure de marché concentrée, avec un degré de concentration de l’aval beaucoup plus fort cependant. Ce qui, de fait, lui octroie un pouvoir de négociation plus grand. Cela peut expliquer en partie le choix de ne pas développer de liens d’intégration vers l’amont.
L’absence de liens d’intégration entre les maillons de l’amont et de l’aval est en effet patente dans cette filière. D’une part, on n’observe pas de liens financiers qui seraient le signe d’une recherche d’intégration. D’autre part, à notre connaissance, les contrats de commercialisation entre l’amont et l’aval sont de court terme et non spécifiques. Cette séparation nette des actifs, et ce non-engagement dans la durée, témoignent d’une forte segmentation entre l’amont et l’aval qui indique que cette filière, même si elle peut apparaître très structurée du point de vue de l’organisation interprofessionnelle, reste non intégrée dans sa logique de répartition de la valeur.
Une explication possible à cette absence d’intégration ou de quasi-intégration réside dans la stratégie des industriels de répartition des risques. En effet, en situation d’incertitude climatique, l’industriel cherche à limiter ce risque et à sécuriser ses approvisionnements, en recourant à des coopératives et collecteurs des quatre grands bassins de production. Cette stratégie de portefeuille le pousse donc plutôt à signer de simples contrats annuels, et non des contrats pluriannuels avec quelques coopératives d’un même bassin. En jouant sur la structure du marché éclatée de l’amont en quatre grands bassins, l’industriel n’a donc pas besoin d’assurer le partage du risque climatique. De même, ce risque climatique peut expliquer pourquoi les coopératives agricoles, ancrées dans des bassins de production et donc fortement soumises à ce risque, ne sont pas présentes à l’aval des filières alors même que c’est une composante essentielle de leurs stratégies de recherche de valeur ajoutée dans de nombreuses filières24.
Des liens de quasi-intégration auraient pu se développer, amenant à un partage de la valeur en faveur de l’amont, si l’aval de la filière avait eu besoin de contrôler le processus de production amont, comme cela se pratique, par exemple, dans le secteur vitivinicole s’agissant de la qualité organoleptique ou sanitaire des produits. L’aval peut cependant préférer se servir de l’interprofession comme un moyen d’imposer un certain nombre de standards de production, ce qui permet d’éviter de recourir aux contrats pour inciter l’amont, et notamment les agriculteurs, à respecter le processus de production souhaité.
La question posée est donc de savoir si la demande pour des produits agricoles plus respectueux de l’environnement peut générer de la valeur pour la filière ; et si oui, sous quelles conditions le partage de cette valeur peut générer des incitations au changement des pratiques au niveau des exploitations. En premier lieu, il faut rappeler au vu de la structure actuelle de la filière, qu’il paraît difficile aux acteurs de l’amont de s’engager seuls dans des pratiques plus respectueuses, étant donné qu’ils ne maîtrisent ni les procédés de transformation, ni les stratégies de segmentation sur le marché. Or, changer de pratiques présente des coûts avec des risques associés qu’il paraît difficile d’assumer en l’absence d’une visibilité stratégique sur la valorisation du blé dur. De ce fait, ce sont les acteurs industriels, à l’interface entre les collecteurs et les distributeurs, qui seraient le mieux à même d’impulser une transition environnementale de l’ensemble de la filière.
Si la maîtrise des critères technologiques des variétés de blé dur a constitué un point de contrôle nécessaire pour les acteurs industriels, le renforcement des exigences environnementales peut les inciter à explorer de nouveaux modes de coordination et à développer de nouvelles niches de marché. Le développement des pâtes sous label AB dans la grande distribution montre qu’il existe un potentiel que les principaux acteurs industriels ont identifié. Mais actuellement, l’offre française en blé dur bio est insuffisante et la filière peu organisée, à la différence de la filière italienne. Il est donc plus facile pour l’industriel de s’approvisionner au mieux offrant25. Il existe à ce jour un seul acteur industriel résolument engagé dans une démarche de partenariat avec les organismes de collecte, et qui joue la carte de l’agriculture durable. Il s’agit d’Alpina Savoie qui a développé un partenariat avec les coopératives locales du Sud-Est, et ce depuis plus d’une dizaine d’années (Bocquet, 2010). Son objectif26 de développer des filières locales reposant sur des modes de production biologiques ou raisonnés est clairement affiché. Encore faut-il que cet objectif soit économiquement viable sur le long terme.
Cependant, même s’il est possible de développer un nouveau label signalant de façon crédible au consommateur une qualité spécifique de blé à plus haute performance environnementale, la question reste posée de la valeur ajoutée créée par ce label puis de la mise en œuvre concrète du partage de cette valeur entre les différents acteurs et maillons de la filière ; cela afin d’inciter les agriculteurs à adopter ces innovations dans leur système de culture. La diffusion de l’innovation reste ainsi très liée à celle de la valeur ajoutée qui est largement conditionnée par les contrats établis entre les acteurs de la filière.
Conclusion
Cet article a pour but d’analyser certaines conditions économiques de la transition agroécologique en mobilisant les apports de la littérature sur l’économie des coûts de transaction, celle sur le verrouillage technologique et les régimes sociotechniques. Cela nous conduit à proposer un enrichissement de la théorie des transitions (Kemp, 1994 ; Geels, 2002 ; Smith et al., 2010) sur deux points. D’une part, nous suggérons que la structuration organisationnelle des filières peut constituer un mécanisme spécifique de verrouillage technologique, au côté des autres mécanismes d’autorenforcement développés dans les théories du lock-in. D’autre part, nous développons une approche des modes de coordination qui expliquerait l’efficacité organisationnelle des niches. Cette réflexion contribue aussi à mettre en exergue toute la complexité de la transition agroécologique, car les conditions de sa réussite interpellent l’ensemble des acteurs de la filière, particulièrement les acteurs de l’aval agro-industriel.
Plus précisément, cette réflexion met en évidence le rôle crucial de l’aval dans l’orientation des choix de l’amont des filières agro-industrielles, ce qui amène la recherche à adopter de nouvelles postures de recherche plus systémiques (Abecassis et Bergez, 2009). Ce que nous proposons ici, dans l’analyse de ces systèmes agro-industriels mêlant les acteurs de l’amont et de l’aval, peut se résumer au travers de deux vecteurs explicatifs majeurs : la signalisation des produits et la coordination des acteurs. Le vecteur « signalisation » indique que la transition agroécologique repose sur l’existence d’un signal auprès du consommateur final qui lui permet de s’assurer que le surplus de prix éventuellement exigé répond à des biens alimentaires issus de productions à plus haute performance environnementale, et consolide ainsi le développement d’une niche de production. Le vecteur « coordination » explique comment les acteurs le long d’une filière sont liés, et sa valeur correspond au degré d’intégration des acteurs le long de la filière. La force de ces deux vecteurs dans l’aboutissement de la transition agroécologique est étroitement liée. En effet, la force d’un signal de marché pour favoriser cette transition n’a d’effet que si la coordination des acteurs est suffisamment intégrée (par des liens financiers ou des liens contractuels spécifiques) pour diffuser vers l’amont la valeur ajoutée qui peut être retirée du marché aval ; et donc, rendre le changement de pratiques par les agriculteurs moins incertain. En analysant la structure de la filière blé dur, la forte séparation des acteurs de l’amont et de l’aval du fait d’une absence d’intégration laisse ainsi supposer que l’adoption de nouvelles pratiques par l’amont sera difficile à défaut d’incitations financières venant de l’aval.
De fait, la nature concrète que doit prendre cette intégration des filières est variable selon les auteurs. Hendrikse et Bijman (2002) montrent que les coopératives laitières qui ont cherché à développer le lait bio ont mis en place une filière de niche en intégrant l’aval par la création de filiales de transformation et de commercialisation. La concentration de la propriété permettrait selon les auteurs de fournir les incitations suffisantes pour que les différents maillons de cette microfilière (éleveurs, collecteurs, transformateurs) développent des investissements spécifiques à cette qualité de lait particulière. Cette solution d’intégration totale implique une capacité de mobilisation, notamment financière, du secteur coopératif qui ne peut être réaliste que dans le cas d’une production de niche. En ce sens, la solution de la quasi-intégration apparaît comme moins exigeante d’un point de vue financier, et donc plus souple à mettre en œuvre. Ainsi, Fares (2010) 27 montre qu’une chaîne de contrats de long terme peut permettre : i) de fournir les incitations suffisantes au développement des investissements spécifiques nécessaires à la culture, la collecte et la transformation des produits issus de système de culture à haute performance environnementale ; ii) d’assurer une gestion efficace du risque. Ce travail ouvre ainsi la voie à une réflexion plus large sur les arrangements institutionnels susceptibles d’améliorer la coordination des acteurs en faveur d’une transition vers des choix productifs plus durables.
Remerciements
Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Agence nationale de la recherche au travers des programmes de recherche SYSTERRA Perfcom (réf. ANR-08-STRA-11) et MicMac-Design (réf. ANR-09-STRA-06). Les auteurs remercient tout particulièrement Laurent Bedoussac, ainsi que les deux rapporteurs anonymes pour leurs commentaires avisés.
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1 « L’agriculture doit se voir donner les moyens en même temps que l’obligation de respecter les milieux dans lesquels elle se déploie en réduisant les apports de produits phytosanitaires et d’engrais. » (page 16 du rapport).
2 http://agriculture.gouv.fr/ecophyto-2018
3 A côté de ce modèle de production agricole dominant, il existe des modèles de production « dominés ». Le plus connu est celui de l’agriculture biologique, qui cherche à promouvoir des pratiques agricoles réduisant au maximum le recours aux intrants chimiques. Malgré le développement important de la demande pour les produits issus de ce modèle de production agricole, la part de la superficie agricole utile consacrée à l’agriculture biologique est encore très faible (En 2010, elle était de 3,1 % en France).
4 Les niveaux de verrouillage technologique dans l’utilisation d’intrants peuvent cependant varier selon les pays et les régions (par exemple, Gunby et Cowan, 1996), notamment selon les formes d’investissements publics ou collectifs dans le développement de technologies alternatives.
5 Voir par exemple, le guide STEPHY (STratégies de protection des cultures Economes en produits PHYtosanitaires) élaboré dans le cadre du RMT (Réseau mixte technologique) « Systèmes de Cultures Innovants ».
6 Coop de France, l’organisation professionnelle des coopératives agricoles, revendique 40 % de parts de marché dans l’agroalimentaire en 2010 : http://www.coopdefrance.coop.
7 Fares M, 2010. Greening the supply chains (mimeo).
8 “Once a “solution” is reached, it is difficult to exit from”, page 112.
9 “What the firm can hope to do technologically in the future is narrowly constrained by what it has been capable of doing in the past.” (page 1130).
10 Kemp (1994) et Geels (2002) proposent un modèle explicatif, à trois niveaux d’emboîtement. Le paysage (landscape) représente le niveau supérieur constitué par les institutions, les normes sociales, politiques et culturelles qui guident le système sociotechnique existant. Le régime sociotechnique représente le niveau intermédiaire où se produisent les interactions entre ces institutions et ces normes du niveau supérieur et les acteurs. Ces interactions génèrent les règles et procédures de régulation du régime sociotechnique dominant. Les niches représentent le niveau inférieur où se créent et s’organisent les innovations radicales ; le régime sociotechnique dominant produisant, quant à lui, des innovations incrémentales.
11 Les liens verticaux renvoient aux liens entre les entreprises intervenant à différents stades du processus de production, transformation et commercialisation d’un produit, tandis que les liens horizontaux sont ceux entre entreprises intervenant à un même stade de la chaîne de valeur d’un produit.
12 Dans ce cas, on parle alors de quasi-intégration.
13 Nous ne détaillons pas ici les autres critères de qualité technologique tels que le taux de mitadinage, taux de moucheture, indice de jaune, etc. Nous renvoyons le lecteur à Magrini et al. (2011) pour plus de précisions.
14 Voir Lamine et al. (2010) pour un rappel des seuils d’exigences de protéines en blé tendre.
15 D’après les enquêtes « Pratiques Culturales 2006 ».
16 Le principe agronomique de base étant que le rendement de blé dur est moindre en association du fait de la compétition exercée par la légumineuse alors que la quantité d’azote disponible est comparable grâce à un taux de fixation symbiotique de la légumineuse élevé (de l’ordre de 80 % environ).
17 Il existe d’autres débouchés alimentaires du blé dur comme le blé précuit, le blé vert et la farine de blé dur. Mais leur importance sur le marché en termes de volumes consommés est négligeable par rapport à ceux de la semoule et des pâtes.
18 Nous n’abordons pas ici le maillon final de l’aval de la filière qui est la distribution alimentaire, dans la mesure où la distribution des biens alimentaires en blé dur est commune à la plupart des autres biens alimentaires, à savoir la grande distribution, les magasins d’épicerie spécialisés, etc.
19 En particulier, base de données BvDEP Diane, site de FranceAgriMer (http://www.franceagrimer.fr) et site commun du Comité français de la semoulerie industrielle et du Syndicat des industries fabricants de pâtes alimentaires de France (http://www.cfsi-sifpaf.com).
20 Pour simplifier la présentation des pastiers, nous ne présentons que les principaux opérant sur le segment des pâtes sèches. Les pâtes fraîches représentent un marché bien moins important et dominé par les pastiers pâtes sèches.
21 Les deux principaux acteurs sont possédés par des groupes agroalimentaires étrangers de taille mondiale (le groupe espagnol Ebro Foods pour le premier, le groupe Skalli pour le second).
22 http://www.panzani.fr/monde-panzani/histoire-panzani/annees-60,19.html
23 Dans les années 2000, cette concentration s’est poursuivie et a fait l’objet d’un accord original suite aux difficultés du numéro 2 français, le groupe Lustucru (DGCCRF - BOCCRF du 20 mai 2003). Panzani a été autorisée à reprendre les activités Pâtes fraîches et Riz du groupe, en exploitant pour son compte la marque Lustucru sur ces activités tandis qu’il a été demandé à ce que l’activité semoulerie et pâtes sèches continue à être exploitée par une société indépendante sous la marque Lustucru. Si l’objectif était d’empêcher Panzani d’avoir une position dominante sur le marché des pâtes sèches, la solution trouvée a abouti à l’autorisation d’utiliser la même marque sur le même territoire par deux opérateurs indépendants (Nouvel et Simic, 2003).
24 Les coopératives agricoles développent des stratégies alternatives de contrats de commercialisation du blé dur à l’export, comme en témoigne l’augmentation des exportations au cours des cinq dernières années.
25 Il est important ici de signaler le rôle de l’interprofession blé dur dans la définition du standard technologique de la qualité protéique du blé dur. On peut aussi s’interroger sur le rôle de la production des connaissances (conseil, recherche appliquée) impulsée par l’État.
26 Les rendements en blé dur, et en conséquence les niveaux de fertilisation, sont traditionnellement bas dans la zone Sud-Est du fait des fortes contraintes climatiques. Ces conditions sont donc a priori favorables à une réduction des intrants mais posent cependant la question de la régularité du rendement qui constitue le point critique pour le revenu de l’agriculteur et pour la maîtrise des coûts pour la filière.
27 Fares M, 2010. op. cit.
Le système de production agricole apparaît en effet comme verrouillé (« lock-in ») autour d’un paradigme technologique, reposant sur un usage intensif des intrants, dont il est difficile de sortir. Dans cet article, nous formulons l’hypothèse, en mobilisant les apports récents de la théorie des coûts de transaction et de la littérature sur les systèmes sociotechniques, qu’une faible intégration des acteurs d’une filière peut en partie expliquer le verrouillage du système. La structure organisationnelle d’une filière peut en effet constituer un verrou, dans la mesure où des configurations organisationnelles faiblement intégrées peuvent freiner la mise en place d’investissements nécessaires pour assurer la transition agroécologique. Cette hypothèse est ensuite appliquée à une étude de cas en France, la filière blé dur ; filière qui présente un faible niveau d’intégration ou de quasi-intégration entre les acteurs de l’amont et de l’aval. Nous nous interrogeons enfin sur les leviers d’actions possibles pour « déverrouiller » la filière. Une solution au déverrouillage consiste à créer des filières de niche au sein des filières classiques de production et de commercialisation. Une meilleure valorisation auprès des consommateurs d’une production à plus haute performance environnementale pourrait ainsi favoriser l’adoption de nouvelles pratiques. Néanmoins, la question reste de savoir comment assurer un partage de la valeur qui donne aux agriculteurs les incitations financières suffisantes pour faire le choix de ces nouvelles pratiques.www.cahiersagricultures.fr.
La reconnaissance d’externalités négatives associées aux systèmes de production conduit la société occidentale, dans son ensemble, à repenser la croissance économique en termes de développement durable. Le système de production agricole, de par son fort impact sur l’environnement, est particulièrement interpellé pour développer des pratiques plus respectueuses des ressources environnementales. Mais, les changements ne s’initient pas facilement et ce malgré les préconisations avancées par de nombreuses études et rapports (Aubertot et al., 2011 [Expertise collective Pesticides Inra-Cemagref] ; Grenelle de l’Environnement, Rapport Tuot 20071 ; Plan Ecophyto 20182…). Pourtant, la recherche agronomique propose des modes de production alternatifs visant à réduire les externalités négatives de l’agriculture conventionnelle, telles que les pratiques limitant l’usage des pesticides (Burger et al., 2008) ou la fertilisation chimique des sols (Justes et al., 2009).
Au regard de la théorie économique, le système de production agricole dominant peut être caractérisé comme un système verrouillé (« lock-in ») autour d’un paradigme technologique reposant sur un usage intensif des intrants (fertilisants, herbicides, pesticides, etc.) ; système dont il est difficile de sortir3. La littérature sur le lock-in montre qu’en effet un certain nombre de mécanismes économiques peuvent décourager les acteurs à s’orienter vers des techniques de production (c’est-à-dire des technologies) différentes des technologies dominantes, qui ne correspondraient pas au standard productif. Si cette question a été fortement investie dans les domaines de l’industrie (David, 1985 ; Arthur, 1989 ; Arthur, 1994 ; Liebowitz et Margolis, 1995) et de l’énergie (Cowan, 1990), très peu d’analyses ont été proposées pour le monde agricole. Rappelons essentiellement les travaux de Cowan et Gunby (1996) et ceux de Vanlocqueren et Baret (2009) qui montrent comment la recherche scientifique agricole s’est concentrée principalement sur un type de paradigme scientifique, orienté vers l’agrochimie et l’ingénierie génétique, au détriment de celui fondé sur l’agroécologie4. Cette concentration des moyens de la recherche autour d’un seul et même système de production agricole a fortement contribué au phénomène « d’autorenforcement », conduisant progressivement ce système à une situation de verrouillage.
Cependant, une partie de la recherche agronomique s’est orientée vers la proposition de pratiques nouvelles, dites à plus haute performance environnementale5. Au regard de la littérature sur les systèmes sociotechniques (par exemple, Geels, 2005), ces systèmes de production innovants pourraient constituer des niches à partir desquelles le système conventionnel de production peut s’hybrider et transiter vers un nouveau système. Cette analyse de la transition permet de relativiser, en un sens, la théorie du verrouillage technologique, en montrant que même si la technologie agricole dominante freine l’adoption de nouvelles pratiques, ces dernières peuvent quand même être adoptées par des acteurs à la recherche d’une différenciation sur le marché. Mais le problème majeur reste alors celui du coût de ce changement. Il est en effet difficile d’envisager qu’un agriculteur change son système de production s’il ne trouve pas une contrepartie financière qui le conforte dans cette volonté de s’orienter vers une nouvelle forme d’agriculture. Une première source directe de financement est le bénéfice réalisé par la vente de sa production aux acteurs de l’aval des filières agro-industrielles, le premier acteur étant souvent une coopérative agricole.6 On comprend dès lors que les liens contractuels de commercialisation peuvent avoir un impact direct sur la propension à innover des acteurs7 (Fares, 2010). Une deuxième source de financement peut transiter via des logiques d’intégration verticale des filières par les groupes coopératifs ou industriels. La détention de capital social, et donc d’actifs, dans des entreprises à l’amont des filières par les acteurs de l’aval leur permet de financer et d’orienter les choix avec des possibilités de contrôle associées (Morin, 1994).
La littérature en théorie des organisations, et notamment l’approche en terme de coûts de transaction initiée par Coase (1937 ; 2005) et Williamson (1975 ; 2002), a largement mis en avant le fait que ces liens contractuels et financiers déterminaient la qualité ou l’efficacité de la coordination verticale des acteurs (Sykuta et James, 2004) ; tout particulièrement pour leurs choix d’investissement dans des actifs spécifiques qui soutiennent les processus d’innovation. Nous proposons ainsi d’appréhender plus spécifiquement cette question du lien entre la structure organisationnelle d’une filière et les incitations à innover des acteurs qui la constituent, pour dépasser les limites soulevées par les théories de la transition (Kemp, 1994 ; Geels, 2002), notamment au regard d’une absence d’analyse de la structuration organisationnelle des niches (Smith et al., 2010). Plus précisément, nous définissons la structure organisationnelle d’une filière comme l’ensemble des liens financiers et contractuels qui modulent fortement les règles de partage de la valeur entre l’amont et l’aval. Suivant ce cadre d’analyse, l’hypothèse que nous formulons ici est que la structure organisationnelle d’une filière peut constituer en elle-même un mécanisme de verrouillage, si cette structure freine la diffusion de la valeur issue de la commercialisation des produits agricoles transformés, et de ce fait, réduit la capacité d’innovation des acteurs, et plus particulièrement la capacité de l’amont agricole à s’engager dans la transition agroécologique. Autrement dit, nous considérons que cette transition ne peut s’initier si les acteurs de la filière, et tout particulièrement ceux de l’amont, ne trouvent pas de ressources financières suffisantes pour investir dans des actifs spécifiques liés à de nouvelles pratiques.
Nous illustrons notre analyse à partir d’une étude de cas en France – la filière blé dur – qui est confrontée à un enjeu de réduction d’intrants dans la production amont, tout particulièrement en ce qui concerne la fertilisation azotée, pour répondre aux exigences environnementales. Or, nous observons que la structure organisationnelle de cette filière présente une très faible intégration entre les acteurs de l’amont et de l’aval interrogeant les conditions d’une transition agroécologique de la filière.
L’article s’organise comme suit. La première partie revient sur le concept de verrouillage (lock-in) en rappelant brièvement les différents mécanismes d’autorenforcement déjà identifiés dans la littérature. La partie suivante propose d’étudier, à partir de l’apport de la théorie des organisations, l’effet de la structure organisationnelle des acteurs d’une filière comme un mécanisme spécifique pouvant jouer sur le verrouillage d’un système, mécanisme que nous relions à l’analyse des systèmes sociotechniques pour en comprendre le rôle clé. La dernière partie illustre cette réflexion en analysant la structure organisationnelle de la filière blé dur en France. Nous concluons en nous interrogeant sur les possibles amendements de la structure organisationnelle de cette filière afin qu’elle assure une répartition de la valeur incitant les acteurs à innover dans de nouvelles pratiques.
Verrouillage technologique et mécanismes d’autorenforcement
Après avoir rappelé la définition que la théorie économique donne au concept de verrouillage, nous rappelons en quoi l’agriculture peut présenter une situation de verrouillage technologique et quels sont les principaux mécanismes d’autorenforcement identifiés dans la littérature qui peuvent expliquer ce verrouillage.
Le concept de verrouillage
L’étude de cas du clavier QWERTY (AZERTY dans le cas français) par Paul David (1985) illustre, sans nul doute, le mieux le concept de verrouillage. L’ordonnancement des lettres sur le clavier QWERTY a été initialement pensé pour réduire les conflits de frappe des machines à écrire de la fin du xixe siècle. Depuis, d’autres claviers plus ergonomiques et efficaces, comme le DVORAK, dont l’utilisation est rendue possible avec l’avènement de l’ère informatique, ont été proposés. Pour autant, nous continuons tous à taper sur des claviers informatiques de type QWERTY. Cette situation correspond typiquement à un verrouillage technologique : il existe une technologie jugée plus efficace, mais la technologie jugée moins efficace reste le standard. En d’autres termes, « une fois la solution atteinte, il est difficile d’en sortir »8 (Arthur, 1994). Précisons ici que le terme de « technologie » renvoie dans cette littérature à une définition large : le verrouillage technologique peut s’appliquer à un choix de technique de production, d’un produit, d’une norme, ou encore d’un paradigme, qui font référence. Cette technologie est devenue un tel standard pour la société qu’il semble difficile d’en changer, même s’il existe d’autres technologies qui pourraient s’avérer efficaces. On comprend alors que le verrouillage d’un système de production est un obstacle majeur à la diffusion d’innovations.
Le verrouillage technologique de l’agriculture : quelles autres alternatives ?
Un verrouillage technologique suppose qu’il existe au moins une technologie alternative considérée comme plus efficace que celle qui fait office de standard. Or la reconnaissance de modes de production agricole alternatifs à l’agriculture conventionnelle fait l’objet de nombreux débats et controverses (Roger, 2002). En effet, si des formes d’agricultures alternatives affichent des technologies de production efficaces pour répondre à des exigences environnementales, telles que l’agriculture biologique ou l’agriculture raisonnée, leur efficacité productive est souvent relative au type d’espèces cultivées (en ce qui concerne la production végétale). Selon le niveau de contraintes agronomiques, l’arbitrage nécessaire entre l’efficacité productive et l’efficacité environnementale peut se révéler défavorable à certaines pratiques alternatives. Ainsi, concernant le blé dur, les exigences qualitatives en termes de taux de protéines et de mitadinage sont difficiles à atteindre sans une utilisation importante d’engrais azoté, ce qui est particulièrement problématique en agriculture biologique pour laquelle les engrais minéraux sont proscrits. En revanche, de nouvelles alternatives, telles que le mélange de blé dur avec une légumineuse à graine (pois protéagineux ou féverole) permettent d’atteindre ces objectifs qualitatifs tout en réduisant la fertilisation azotée (Bedoussac et Justes, 2010a ; Bedoussac et Justes, 2010b ; Justes et al., 2009). Il n’existe donc pas d’alternative unique à l’agriculture conventionnelle, mais un continuum de pratiques permettant de mieux répondre aux exigences environnementales. Toutefois, la transition des pratiques vers de nouvelles solutions agronomiques peut être freinée par des mécanismes économiques qui verrouillent le système productif sur les pratiques conventionnelles.
Mécanismes économiques d’autorenforcement d’un choix initial
Pour comprendre le verrouillage, la littérature sur le lock-in a identifié plusieurs mécanismes économiques (figure 1).
Ces mécanismes dits « d’autorenforcement » ont été essentiellement identifiés à partir d’études de cas (David, 1985). La seule étude de cas relative au monde agricole est celle de Cowan et Gunby (1996). Nous proposons de rappeler les trois principaux mécanismes d’autorenforcement – les rendements croissants à l’adoption, la compatibilité technologique, l’état de la connaissance – en les appliquant au choix de l’agriculture conventionnelle, avant de proposer l’analyse de la structure organisationnelle des acteurs comme un mécanisme supplémentaire de compréhension des effets de lock-in dans la section suivante.
Les rendements croissants d’adoption renvoient à deux types d’effets interdépendants : les effets de réseaux et d’apprentissage. Les effets de réseaux contribuent à renforcer la valeur d’usage d’un produit ou d’une technologie en lien avec l’augmentation du nombre d’utilisateurs. L’augmentation du nombre d’agriculteurs en système conventionnel a favorisé l’affinement des connaissances dans ce domaine (learning by using, learning by doing). Ces apprentissages ont contribué à fortement accroître les rendements au cours des dernières décennies, incitant les agriculteurs à poursuivre dans cette voie. Par ailleurs, plus une technologie est répandue et plus des technologies complémentaires se développent, renforçant sa position dominante. Ces effets cumulatifs augmentent ainsi la valeur d’adoption de la technologie initialement choisie. En l’absence de tels rendements, l’agriculteur choisirait la technologie la plus efficace, et non pas forcément celle qui est choisie par le plus grand nombre.
Les connaissances des agents jouent un rôle important dans le mécanisme d’autorenforcement, et cela à différents niveaux. D’abord, les parcours de formation des agents, et de ceux qui assurent un service de conseil auprès d’eux, influencent fortement leur capacité à utiliser telle ou telle technologie. Chacun choisit ainsi la technologie qui lui semble la « meilleure » compte tenu de ce qu’il sait. Cela a conduit les agriculteurs et les conseillers agricoles à orienter les choix productifs en faveur de l’agriculture conventionnelle qui reste le paradigme principalement diffusé dans l’enseignement agricole. Or, Dosi (1988) rappelle que « ce que la firme peut espérer faire technologiquement dans le futur est fortement contraint parce qu’elle a été en mesure de faire par le passé »9. En ce sens, le cœur de compétences (core capabilities) des agriculteurs et/ou des entreprises agro-industrielles peut générer des rigidités qui limiteront leurs capacités à innover et à changer de technologie. Ensuite, comme le montre Labarthe (2010), le conseil technique aux agriculteurs est aussi encastré dans des rapports de force institutionnalisés qui verrouillent la capacité d’évolution des connaissances vers des systèmes alternatifs. Enfin, l’incertitude relative au manque de connaissances pratiques d’une technologie alternative réduit sa probabilité d’adoption.
Au-delà de ces mécanismes d’autorenforcement du choix technologique initial, nous proposons, dans un cadre conceptuel élargi à la théorie des coûts de transaction et à la littérature sur les systèmes sociotechniques, de nous intéresser plus précisément à un autre mécanisme d’autorenforcement défini par les liens qui structurent les acteurs d’une filière de production.
Niches, déverrouillage et structure organisationnelle des filières
La conception de « niches » dans la littérature sur les régimes sociotechniques ouvre une perspective de déverrouillage des systèmes de production via une forme de « transition » qui s’apparente à un mécanisme de diffusion progressive de l’innovation au sein du système conventionnel. Pour autant, la pertinence économique de cette diffusion interpelle quant aux incitations économiques nécessaires à cette transition. Celles-ci peuvent être analysées, comme nous le proposons ici, au travers des liens qui structurent les relations entre les acteurs des filières sur les marchés.
La transition : régimes sociotechniques et niches
Le processus de développement de nouvelles technologies de production est aussi largement influencé par les cadres organisationnels et institutionnels dans lesquels il s’insère. Cela implique que le processus d’adoption et de diffusion d’innovations dépend certes de ses caractéristiques propres, mais aussi de celles du marché initial, de facteurs institutionnels, ainsi que des habitudes des consommateurs. Pour comprendre cette dynamique des innovations au travers des organisations, Kemp (1994) et Geels (2002 ; 2005) proposent de centrer l’analyse sur le régime sociotechnique qui, selon Rip et Kemp (1998) « constitue une grammaire, c’est-à-dire un ensemble de règles définies dans un complexe de produits, de qualifications et de procédures […] imbriqués dans des institutions et des infrastructures ». Cette définition rend clair le fait qu’un régime consiste pour une large part en un ensemble de routines institutionnelles utilisées par des acteurs.
Cependant, comme un régime n’est pas toujours totalement homogène, des niches apparaissent créant un espace partiellement isolé du fonctionnement normal du régime, et notamment du processus de sélection des marchés par le standard technologique dominant. Ces niches peuvent alors servir d’incubateurs à des innovations radicales (Schot, 1998). En effet, en fonctionnant avec des normes et des règles institutionnellement différentes, les niches fournissent des lieux de réalisation des processus d’apprentissage ainsi que la possibilité de construire des réseaux économiques capables de supporter des innovations, comme des filières de production et/ou de commercialisation. Ces niches peuvent alors apparaître comme des voies de déverrouillage et interrogent sur la manière dont elles peuvent se structurer pour dépasser les effets d’autorenforcement (rappelés en première partie) du régime sociotechnique standard.
Selon Geels (2002 ; 2005) ces niches sont imbriquées dans les régimes et paysages (landscapes) existants, tout en étant partiellement isolées10. A priori, la logique de ce système imbriqué à trois niveaux implique que le niveau le plus élevé est le plus stable et le plus résistant au changement, du fait d’interactions et de liens entre les éléments formant cette configuration. De ce fait, ce niveau impose des contraintes sur la direction du changement intervenant aux niveaux du dessous, générant ainsi le phénomène d’autorenforcement des choix technologiques existant. L’isolement des niches permet une maturation des innovations et, sous certaines conditions, leur diffusion. Ainsi, si un processus « d’accumulation » de niches survient, l’innovation radicale se propage alors à plusieurs marchés. Si ces marchés deviennent suffisamment importants, un nouveau régime sociotechnique peut émerger, et l’innovation radicale finit par devenir le nouveau standard technologique.
L’effet de la structure organisationnelle sur le verrouillage technologique
Si l’on s’intéresse au processus d’émergence d’une innovation au sein d’une niche, le modèle de Geels (2002) suggère qu’un minimum de coordination entre les acteurs doit exister. Ainsi, des connexions fortes entre les différents réseaux de producteurs, d’utilisateurs finaux et financiers doivent être établies. Cependant, Geels (2002) ne propose pas d’approche théorique explicite permettant de définir des modes de coordination efficace des acteurs dans ces niches. Nous proposons donc une approche théorique de la structuration organisationnelle de ces niches. Nous entendons par structure organisationnelle de la filière, les liens verticaux et horizontaux11 qui coordonnent les acteurs économiques sur les marchés et tels qu’ils sont classiquement analysés par la théorie des organisations.
Plus précisément, la coordination entre les acteurs des différents maillons de la filière peut être appréhendée par le degré d’intégration verticale de celle-ci. Ce degré d’intégration évalue si les activités de la chaîne de valeur d’un produit sont réalisées par des firmes indépendantes les unes des autres (Porter, 1999) ou dépendantes par des liens spécifiques, comme des liens financiers ou des liens contractuels de long terme. Nous considérons, en effet, que deux types de liens définissent le degré d’intégration d’une filière : i) les liens financiers, à travers la propriété des actifs physiques (Hart, 1995) ; ii) les liens contractuels, à travers des contrats de long terme allouant un certain pouvoir de décision12 (Aghion et al., 1994 ; Fares, 2006). Comme le souligne Morin (1994) les liens financiers ou de propriété constituent des « vecteurs organisateurs de pouvoir » dans la mesure où le lien financier définit un rapport de propriété, « mais également des formes de coordination inter-acteurs ». De même, les contrats ne constituent pas de simples mécanismes de coordination définissant prix et quantité. Ils allouent aussi un pouvoir de décision assez semblable à celui de la propriété, même si ce dernier est limité par le contrat, notamment lorsque la relation est de long terme et que les parties doivent donc souvent renégocier afin d’adapter le contrat aux événements non anticipés (Hart et Moore, 1988 ; Fares, 2009). L’intégration, ou la quasi-intégration, permet de réduire les asymétries d’information entre acteurs (Hennessy, 1996), mais surtout de résoudre le problème du hold-up lié aux « effets de verrouillage » générés par la spécificité des investissements mis en place par les acteurs (Hart et Holmström, 1987). En effet, l’intégration ou la quasi-intégration permet d’allouer à la partie qui investit des droits de contrôle sur les actifs et/ou des droits de décision lors de la renégociation. Cela permet d’empêcher l’opportunisme du partenaire et de limiter toute forme d’expropriation du rendement des investissements en actifs spécifiques, à l’origine du sous-investissement dans les innovations (effet de hold-up). Autrement dit, en contrôlant la répartition de la valeur créée au sein de la filière, l’intégration ou la quasi-intégration peut permettre de définir les incitations suffisantes pour la mise en place d’innovations technologiques, qu’elles soient de process ou de produit.
À partir de cette réflexion théorique reliant les processus d’innovation, de verrouillage et de structuration organisationnelle des acteurs des filières au sein des régimes sociotechniques, nous proposons une étude de cas : celle de la filière blé dur en France.
Verrouillage et structure organisationnelle dans la filière blé dur
Après avoir présenté l’enjeu de réduction d’intrants pour la production de blé dur, nous analysons la structure organisationnelle de la filière blé dur en France et nous discutons des spécificités de son organisation qui peuvent contribuer à un verrouillage technologique de la production de blé dur.
L’enjeu de réduction d’intrants à l’amont de la filière blé dur
L’essentiel de la production de blé dur est destiné à la fabrication de pâtes alimentaires pour lesquelles les techniques de cuisson actuelles nécessitent des seuils élevés de teneur en protéines des grains13. Ces teneurs élevées en protéines (de 13 à 14 %) comparativement à celles qui sont exigées en blé tendre pour la panification (de 10 à 11 %)14, nécessitent un usage intensif d’azote. En effet, rapporté au tonnage, il faut en moyenne 2,3 unités d’azote pour produire un quintal de blé tendre contre 3,7 dans le cas du blé dur soit 1,6 fois plus15. Concernant le recours aux phytosanitaires, les écarts moyens sont moins importants entre les deux cultures. Ainsi on peut considérer qu’un des enjeux spécifiques de la transition agroécologique pour la filière blé dur est l’adoption de pratiques agricoles moins consommatrices d’azote. Comme nous l’indiquions précédemment, les cultures associées de type « légumineuses/blé dur » constituent un exemple de pratique alternative plus agroécologique. Ces associations de cultures, permettent au blé dur d’atteindre des taux de protéines comparables à ceux d’un blé dur fertilisé, mais avec des apports externes d’azote nettement réduits (Bedoussac et Justes, 2010a ; Bedoussac et Justes, 2010b ; Justes et al., 2009)16.
Au-delà de la capacité agronomique de ces pratiques alternatives à atteindre des exigences de production, de récents travaux ont fait état de difficultés que pouvaient avoir les coopératives agricoles à valoriser ces productions issues d’association de cultures. Ces difficultés viennent de problèmes techniques et organisationnels liés aux opérations de stockage et de tri des graines. Ces problèmes tiennent à une inadaptation de l’appareillage technico-organisationnel des coopératives (Magrini et al., 2011). Il conviendrait alors que les coopératives réalisent des investissements spécifiques pour s’adapter à ces nouvelles pratiques agricoles. Au regard des développements théoriques présentés dans la précédente section, nous proposons de nous pencher sur les liens économiques entre les coopératives et les autres acteurs de la transformation, à l’aval de la filière, par lesquels des incitations financières pourraient transiter pour favoriser de tels investissements.
Une filière blé dur concentrée à l’aval mais peu intégrée
L’étendue de la filière est facile à déterminer car le blé dur est destiné exclusivement à l’alimentation humaine, essentiellement sous la forme de semoule de couscous et de pâtes17. C’est une filière relativement récente en France où les premières productions de blé dur ont démarré dans les années 1960. C’est au cours des années 1980 que la recherche agronomique est parvenue à proposer des variétés de blé dur suffisamment adaptées aux conditions pédoclimatiques et permettant d’assurer des volumes et des seuils de qualité du blé dur requis pour les industries semoulière et pastière. La production annuelle de blé dur a augmenté au cours des 15 dernières années avec une quantité d’environ 2 millions de tonnes en 2009, dont plus de la moitié est exportée (figure 2). L’industrie semoulière triture annuellement environ 600 000 tonnes de grains, chiffre très stable sur le long terme (Le Bail, 2001), avec une production française d’environ 250 000 tonnes de pâtes et 80 000 tonnes de couscous (chiffres de 2008). La France se situe ainsi au deuxième rang européen pour la fabrication de pâtes (loin derrière l’Italie, leader mondial avec plus de 3 millions de tonnes de pâtes) et au premier rang européen pour la production de couscous. Quant à la filière export, ce sont les progrès continus d’amélioration de la qualité des blés et des rendements qui ont fortement contribué à la développer au cours de la dernière décennie.
La filière blé dur suit une chaîne de valeur typique de l’industrie agroalimentaire, en s’organisant depuis les semenciers jusqu’aux transformateurs industriels des biens de consommation alimentaire18. L’amont de la filière est caractérisé par les grandes étapes de production et de collecte du blé dur, tandis qu’à l’aval la transformation en semoule est une étape préalable à la fabrication des pâtes et du couscous (figure 3).
La structure organisationnelle de la filière est caractérisée à partir des liens de coordination entre acteurs, et plus spécifiquement ceux qui interviennent au dernier maillon de l’amont et aux deux premiers maillons de l’aval, au regard de la structure de marché. C’est la coordination de ces maillons qui contribue fortement à définir le degré d’intégration de la filière, car c’est à cette intersection que la valeur ajoutée du blé dur se crée pour l’amont dans la négociation des critères de qualité du blé dur. À partir de recherches sur des bases de données d’entreprises couplées avec des recherches sur Internet19, nous avons construit le schéma suivant qui illustre la structure des principaux acteurs de l’aval de la filière20 (figure 4).
L’aval présente une structure de marché très concentrée, de type oligopolistique avec trois acteurs intégrant la semoulerie et la production de pâtes et de couscous. Panzani occupe une position de leader tant pour la semoulerie que pour la pasterie, puis viennent ensuite les sociétés Pastacorp et Alpina Savoie21. Les autres pastiers de taille industrielle opérant en France sont des fabricants de pâtes aux œufs situés en Alsace qui représentent moins de 5 % de part de marché chacun. Il existe également un fabricant de couscous Tipiak. Enfin, on dénombre beaucoup de petites entreprises artisanales qui ont chacune d’entre elles moins de 1 % du marché. L’industrie aval du blé dur est donc très concentrée avec une intégration totale des deux étapes clés de fabrication : la semoulerie et la pasterie.
Cette concentration industrielle de la filière des pâtes alimentaires est un phénomène ancien qui s’explique tant par la nécessité de maîtriser l’étape de la semoulerie, que par la maturité du marché qui offre de faibles perspectives de croissance. Panzani devient le leader, dès les années 1960, suite à des fusions-acquisitions et à son implication dans l’activité de semoulerie22. La concentration de la semoulerie avec une prise de contrôle par les pastiers va se poursuivre pour aboutir dans les années 1990 à une situation de duopole avec deux groupes qui maîtrisent 90 % de la semoulerie française, et près de 80 % de la fabrication de pâtes alimentaires (Braun, 1995 ; Le Bail, 2001)23. En 2010, la filière est toujours très concentrée, avec un acteur dominant Panzani, leader sur les segments de la semoulerie avec environ 2/3 des volumes pour l’approvisionnement national (Le paysan tarnais, 2007), des pâtes et du couscous. L’activité semoulerie est répartie sur six usines, dont cinq appartiennent à des semouliers-pastiers et une seule est indépendante des pastiers, « GMM », résultant de restructurations récentes. Enfin, les pastiers non-semouliers sont minoritaires.
Quant à la structure amont, notre analyse nous a permis d’identifier que moins d’une vingtaine de collecteurs, dont deux tiers sont des coopératives agricoles, assurait la majeure partie de la collecte de blé dur en France. Cela résulte d’une enquête téléphonique auprès des collecteurs dans les quatre grands bassins de production du blé dur (Centre, Ouest-Océan, Sud-Ouest, Sud-Est), ce qui témoigne d’un nombre réduit de collecteurs pour chaque bassin, préfigurant là aussi une structure oligopolistique à l’échelle régionale.
Si la filière s’organise donc autour d’un nombre d’acteurs limités à l’aval comme à l’amont, sa forte spécificité apparaît dans la séparation nette entre les acteurs de l’amont et de l’aval, révélée par l’absence de liens d’intégration (liens financiers, liens contractuels de long terme).
Segmentation amont/aval et diffusion des incitations à l’innovation
Les maillons clés de l’amont et de l’aval de la filière blé dur sont donc caractérisés par une structure de marché concentrée, avec un degré de concentration de l’aval beaucoup plus fort cependant. Ce qui, de fait, lui octroie un pouvoir de négociation plus grand. Cela peut expliquer en partie le choix de ne pas développer de liens d’intégration vers l’amont.
L’absence de liens d’intégration entre les maillons de l’amont et de l’aval est en effet patente dans cette filière. D’une part, on n’observe pas de liens financiers qui seraient le signe d’une recherche d’intégration. D’autre part, à notre connaissance, les contrats de commercialisation entre l’amont et l’aval sont de court terme et non spécifiques. Cette séparation nette des actifs, et ce non-engagement dans la durée, témoignent d’une forte segmentation entre l’amont et l’aval qui indique que cette filière, même si elle peut apparaître très structurée du point de vue de l’organisation interprofessionnelle, reste non intégrée dans sa logique de répartition de la valeur.
Une explication possible à cette absence d’intégration ou de quasi-intégration réside dans la stratégie des industriels de répartition des risques. En effet, en situation d’incertitude climatique, l’industriel cherche à limiter ce risque et à sécuriser ses approvisionnements, en recourant à des coopératives et collecteurs des quatre grands bassins de production. Cette stratégie de portefeuille le pousse donc plutôt à signer de simples contrats annuels, et non des contrats pluriannuels avec quelques coopératives d’un même bassin. En jouant sur la structure du marché éclatée de l’amont en quatre grands bassins, l’industriel n’a donc pas besoin d’assurer le partage du risque climatique. De même, ce risque climatique peut expliquer pourquoi les coopératives agricoles, ancrées dans des bassins de production et donc fortement soumises à ce risque, ne sont pas présentes à l’aval des filières alors même que c’est une composante essentielle de leurs stratégies de recherche de valeur ajoutée dans de nombreuses filières24.
Des liens de quasi-intégration auraient pu se développer, amenant à un partage de la valeur en faveur de l’amont, si l’aval de la filière avait eu besoin de contrôler le processus de production amont, comme cela se pratique, par exemple, dans le secteur vitivinicole s’agissant de la qualité organoleptique ou sanitaire des produits. L’aval peut cependant préférer se servir de l’interprofession comme un moyen d’imposer un certain nombre de standards de production, ce qui permet d’éviter de recourir aux contrats pour inciter l’amont, et notamment les agriculteurs, à respecter le processus de production souhaité.
La question posée est donc de savoir si la demande pour des produits agricoles plus respectueux de l’environnement peut générer de la valeur pour la filière ; et si oui, sous quelles conditions le partage de cette valeur peut générer des incitations au changement des pratiques au niveau des exploitations. En premier lieu, il faut rappeler au vu de la structure actuelle de la filière, qu’il paraît difficile aux acteurs de l’amont de s’engager seuls dans des pratiques plus respectueuses, étant donné qu’ils ne maîtrisent ni les procédés de transformation, ni les stratégies de segmentation sur le marché. Or, changer de pratiques présente des coûts avec des risques associés qu’il paraît difficile d’assumer en l’absence d’une visibilité stratégique sur la valorisation du blé dur. De ce fait, ce sont les acteurs industriels, à l’interface entre les collecteurs et les distributeurs, qui seraient le mieux à même d’impulser une transition environnementale de l’ensemble de la filière.
Si la maîtrise des critères technologiques des variétés de blé dur a constitué un point de contrôle nécessaire pour les acteurs industriels, le renforcement des exigences environnementales peut les inciter à explorer de nouveaux modes de coordination et à développer de nouvelles niches de marché. Le développement des pâtes sous label AB dans la grande distribution montre qu’il existe un potentiel que les principaux acteurs industriels ont identifié. Mais actuellement, l’offre française en blé dur bio est insuffisante et la filière peu organisée, à la différence de la filière italienne. Il est donc plus facile pour l’industriel de s’approvisionner au mieux offrant25. Il existe à ce jour un seul acteur industriel résolument engagé dans une démarche de partenariat avec les organismes de collecte, et qui joue la carte de l’agriculture durable. Il s’agit d’Alpina Savoie qui a développé un partenariat avec les coopératives locales du Sud-Est, et ce depuis plus d’une dizaine d’années (Bocquet, 2010). Son objectif26 de développer des filières locales reposant sur des modes de production biologiques ou raisonnés est clairement affiché. Encore faut-il que cet objectif soit économiquement viable sur le long terme.
Cependant, même s’il est possible de développer un nouveau label signalant de façon crédible au consommateur une qualité spécifique de blé à plus haute performance environnementale, la question reste posée de la valeur ajoutée créée par ce label puis de la mise en œuvre concrète du partage de cette valeur entre les différents acteurs et maillons de la filière ; cela afin d’inciter les agriculteurs à adopter ces innovations dans leur système de culture. La diffusion de l’innovation reste ainsi très liée à celle de la valeur ajoutée qui est largement conditionnée par les contrats établis entre les acteurs de la filière.
Conclusion
Cet article a pour but d’analyser certaines conditions économiques de la transition agroécologique en mobilisant les apports de la littérature sur l’économie des coûts de transaction, celle sur le verrouillage technologique et les régimes sociotechniques. Cela nous conduit à proposer un enrichissement de la théorie des transitions (Kemp, 1994 ; Geels, 2002 ; Smith et al., 2010) sur deux points. D’une part, nous suggérons que la structuration organisationnelle des filières peut constituer un mécanisme spécifique de verrouillage technologique, au côté des autres mécanismes d’autorenforcement développés dans les théories du lock-in. D’autre part, nous développons une approche des modes de coordination qui expliquerait l’efficacité organisationnelle des niches. Cette réflexion contribue aussi à mettre en exergue toute la complexité de la transition agroécologique, car les conditions de sa réussite interpellent l’ensemble des acteurs de la filière, particulièrement les acteurs de l’aval agro-industriel.
Plus précisément, cette réflexion met en évidence le rôle crucial de l’aval dans l’orientation des choix de l’amont des filières agro-industrielles, ce qui amène la recherche à adopter de nouvelles postures de recherche plus systémiques (Abecassis et Bergez, 2009). Ce que nous proposons ici, dans l’analyse de ces systèmes agro-industriels mêlant les acteurs de l’amont et de l’aval, peut se résumer au travers de deux vecteurs explicatifs majeurs : la signalisation des produits et la coordination des acteurs. Le vecteur « signalisation » indique que la transition agroécologique repose sur l’existence d’un signal auprès du consommateur final qui lui permet de s’assurer que le surplus de prix éventuellement exigé répond à des biens alimentaires issus de productions à plus haute performance environnementale, et consolide ainsi le développement d’une niche de production. Le vecteur « coordination » explique comment les acteurs le long d’une filière sont liés, et sa valeur correspond au degré d’intégration des acteurs le long de la filière. La force de ces deux vecteurs dans l’aboutissement de la transition agroécologique est étroitement liée. En effet, la force d’un signal de marché pour favoriser cette transition n’a d’effet que si la coordination des acteurs est suffisamment intégrée (par des liens financiers ou des liens contractuels spécifiques) pour diffuser vers l’amont la valeur ajoutée qui peut être retirée du marché aval ; et donc, rendre le changement de pratiques par les agriculteurs moins incertain. En analysant la structure de la filière blé dur, la forte séparation des acteurs de l’amont et de l’aval du fait d’une absence d’intégration laisse ainsi supposer que l’adoption de nouvelles pratiques par l’amont sera difficile à défaut d’incitations financières venant de l’aval.
De fait, la nature concrète que doit prendre cette intégration des filières est variable selon les auteurs. Hendrikse et Bijman (2002) montrent que les coopératives laitières qui ont cherché à développer le lait bio ont mis en place une filière de niche en intégrant l’aval par la création de filiales de transformation et de commercialisation. La concentration de la propriété permettrait selon les auteurs de fournir les incitations suffisantes pour que les différents maillons de cette microfilière (éleveurs, collecteurs, transformateurs) développent des investissements spécifiques à cette qualité de lait particulière. Cette solution d’intégration totale implique une capacité de mobilisation, notamment financière, du secteur coopératif qui ne peut être réaliste que dans le cas d’une production de niche. En ce sens, la solution de la quasi-intégration apparaît comme moins exigeante d’un point de vue financier, et donc plus souple à mettre en œuvre. Ainsi, Fares (2010) 27 montre qu’une chaîne de contrats de long terme peut permettre : i) de fournir les incitations suffisantes au développement des investissements spécifiques nécessaires à la culture, la collecte et la transformation des produits issus de système de culture à haute performance environnementale ; ii) d’assurer une gestion efficace du risque. Ce travail ouvre ainsi la voie à une réflexion plus large sur les arrangements institutionnels susceptibles d’améliorer la coordination des acteurs en faveur d’une transition vers des choix productifs plus durables.
Remerciements
Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Agence nationale de la recherche au travers des programmes de recherche SYSTERRA Perfcom (réf. ANR-08-STRA-11) et MicMac-Design (réf. ANR-09-STRA-06). Les auteurs remercient tout particulièrement Laurent Bedoussac, ainsi que les deux rapporteurs anonymes pour leurs commentaires avisés.
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1 « L’agriculture doit se voir donner les moyens en même temps que l’obligation de respecter les milieux dans lesquels elle se déploie en réduisant les apports de produits phytosanitaires et d’engrais. » (page 16 du rapport).
2 http://agriculture.gouv.fr/ecophyto-2018
3 A côté de ce modèle de production agricole dominant, il existe des modèles de production « dominés ». Le plus connu est celui de l’agriculture biologique, qui cherche à promouvoir des pratiques agricoles réduisant au maximum le recours aux intrants chimiques. Malgré le développement important de la demande pour les produits issus de ce modèle de production agricole, la part de la superficie agricole utile consacrée à l’agriculture biologique est encore très faible (En 2010, elle était de 3,1 % en France).
4 Les niveaux de verrouillage technologique dans l’utilisation d’intrants peuvent cependant varier selon les pays et les régions (par exemple, Gunby et Cowan, 1996), notamment selon les formes d’investissements publics ou collectifs dans le développement de technologies alternatives.
5 Voir par exemple, le guide STEPHY (STratégies de protection des cultures Economes en produits PHYtosanitaires) élaboré dans le cadre du RMT (Réseau mixte technologique) « Systèmes de Cultures Innovants ».
6 Coop de France, l’organisation professionnelle des coopératives agricoles, revendique 40 % de parts de marché dans l’agroalimentaire en 2010 : http://www.coopdefrance.coop.
7 Fares M, 2010. Greening the supply chains (mimeo).
8 “Once a “solution” is reached, it is difficult to exit from”, page 112.
9 “What the firm can hope to do technologically in the future is narrowly constrained by what it has been capable of doing in the past.” (page 1130).
10 Kemp (1994) et Geels (2002) proposent un modèle explicatif, à trois niveaux d’emboîtement. Le paysage (landscape) représente le niveau supérieur constitué par les institutions, les normes sociales, politiques et culturelles qui guident le système sociotechnique existant. Le régime sociotechnique représente le niveau intermédiaire où se produisent les interactions entre ces institutions et ces normes du niveau supérieur et les acteurs. Ces interactions génèrent les règles et procédures de régulation du régime sociotechnique dominant. Les niches représentent le niveau inférieur où se créent et s’organisent les innovations radicales ; le régime sociotechnique dominant produisant, quant à lui, des innovations incrémentales.
11 Les liens verticaux renvoient aux liens entre les entreprises intervenant à différents stades du processus de production, transformation et commercialisation d’un produit, tandis que les liens horizontaux sont ceux entre entreprises intervenant à un même stade de la chaîne de valeur d’un produit.
12 Dans ce cas, on parle alors de quasi-intégration.
13 Nous ne détaillons pas ici les autres critères de qualité technologique tels que le taux de mitadinage, taux de moucheture, indice de jaune, etc. Nous renvoyons le lecteur à Magrini et al. (2011) pour plus de précisions.
14 Voir Lamine et al. (2010) pour un rappel des seuils d’exigences de protéines en blé tendre.
15 D’après les enquêtes « Pratiques Culturales 2006 ».
16 Le principe agronomique de base étant que le rendement de blé dur est moindre en association du fait de la compétition exercée par la légumineuse alors que la quantité d’azote disponible est comparable grâce à un taux de fixation symbiotique de la légumineuse élevé (de l’ordre de 80 % environ).
17 Il existe d’autres débouchés alimentaires du blé dur comme le blé précuit, le blé vert et la farine de blé dur. Mais leur importance sur le marché en termes de volumes consommés est négligeable par rapport à ceux de la semoule et des pâtes.
18 Nous n’abordons pas ici le maillon final de l’aval de la filière qui est la distribution alimentaire, dans la mesure où la distribution des biens alimentaires en blé dur est commune à la plupart des autres biens alimentaires, à savoir la grande distribution, les magasins d’épicerie spécialisés, etc.
19 En particulier, base de données BvDEP Diane, site de FranceAgriMer (http://www.franceagrimer.fr) et site commun du Comité français de la semoulerie industrielle et du Syndicat des industries fabricants de pâtes alimentaires de France (http://www.cfsi-sifpaf.com).
20 Pour simplifier la présentation des pastiers, nous ne présentons que les principaux opérant sur le segment des pâtes sèches. Les pâtes fraîches représentent un marché bien moins important et dominé par les pastiers pâtes sèches.
21 Les deux principaux acteurs sont possédés par des groupes agroalimentaires étrangers de taille mondiale (le groupe espagnol Ebro Foods pour le premier, le groupe Skalli pour le second).
22 http://www.panzani.fr/monde-panzani/histoire-panzani/annees-60,19.html
23 Dans les années 2000, cette concentration s’est poursuivie et a fait l’objet d’un accord original suite aux difficultés du numéro 2 français, le groupe Lustucru (DGCCRF - BOCCRF du 20 mai 2003). Panzani a été autorisée à reprendre les activités Pâtes fraîches et Riz du groupe, en exploitant pour son compte la marque Lustucru sur ces activités tandis qu’il a été demandé à ce que l’activité semoulerie et pâtes sèches continue à être exploitée par une société indépendante sous la marque Lustucru. Si l’objectif était d’empêcher Panzani d’avoir une position dominante sur le marché des pâtes sèches, la solution trouvée a abouti à l’autorisation d’utiliser la même marque sur le même territoire par deux opérateurs indépendants (Nouvel et Simic, 2003).
24 Les coopératives agricoles développent des stratégies alternatives de contrats de commercialisation du blé dur à l’export, comme en témoigne l’augmentation des exportations au cours des cinq dernières années.
25 Il est important ici de signaler le rôle de l’interprofession blé dur dans la définition du standard technologique de la qualité protéique du blé dur. On peut aussi s’interroger sur le rôle de la production des connaissances (conseil, recherche appliquée) impulsée par l’État.
26 Les rendements en blé dur, et en conséquence les niveaux de fertilisation, sont traditionnellement bas dans la zone Sud-Est du fait des fortes contraintes climatiques. Ces conditions sont donc a priori favorables à une réduction des intrants mais posent cependant la question de la régularité du rendement qui constitue le point critique pour le revenu de l’agriculteur et pour la maîtrise des coûts pour la filière.
27 Fares M, 2010. op. cit.