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Traités commerciaux

L’agriculture pèse-t-elle encore ?

La mondialisation accélérée a modifié les rapports de force entre les
pays et accru la complexité des négociations, y compris en agriculture.
Devant la difficulté de conclure des accords multilatéraux, les accords
commerciaux préférentiels se développent et inquiètent le monde agricole
qui souffre déjà d’une concurrence internationale forte et de la
volatilité des prix.
Par Publié par Cédric Michelin
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La difficulté à conclure les accords multilatéraux devant le nombre de pays trop nombreux et les intérêts trop hétérogènes questionne aujourd’hui quant à l’utilité de l’OMC. Intervenant à la table-ronde sur les négociations internationales organisées par JA lors de leur congrès le 18 juin, Saliou Sarr, membre du Réseau des organisations paysannes et de producteurs d’Afrique de l’Ouest (ROPPA) dresse un constat d’échec : « tant que l’OMC aura pour idée la régulation et la dérégulation des marchés, ça ne pourra pas aller ». Pour Benoit Daviron, chercheur au Cirad, ces blocages sont logiques puisque les négociations à l’OMC ont été conçues dans un contexte de surproduction, pour réguler l’accès au marché. Or, le contexte est aujourd’hui très différent. Mais la multiplication des accords bilatéraux qui résulte de cette inertie de l’OMC inquiète également, comme le montrent les négociations du TTIP, traité de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis qui, après un bref enthousiasme, cristallise aujourd’hui les angoisses (différentiels de coûts de production, protection des indications géographiques…). La diversité des secteurs concernés risque, en effet, de reléguer l’agriculture au rang de variable d’ajustement. Aux Etats-Unis, la situation est vue d’un meilleur œil, témoigne Barbara Petterson, de la NFU (syndicat agricoles américain), pour qui l’agriculture pèse encore politiquement.


S’adapter à la volatilité



Mais pour Philippe Chalmin, économiste spécialiste des matières premières agricoles, « il ne faut pas demander au commerce plus qu’il ne peut donner », « la nature des marchés mondiaux, ça a toujours été l’instabilité » issue de l’instabilité monétaire, explique-t-il. Pour lui, le TTIP finira par se faire sans pour autant changer la face du monde et « la seule certitude que l’on a, c’est que demain les prix seront différents : il faut anticiper ce demain ». Et si Saliou Sarr souligne la nécessité de mettre en place des politiques agricoles dans les pays d’Afrique de l’Ouest, à l’exemple de ce qui a existé après-guerre en Europe, l’économiste considère de son côté que le problème n’est pas là : l’Europe a été protégée par la Pac, financée par le consommateur, les Etats-Unis par le Farm Bill financé par les contribuables, mais les consommateurs d’Afrique de l’Ouest n’ont pas les moyens de financer une politique agricole. Sans compter que, précise Benoit Daviron, « il y a un problème d’instabilité propre aux pays d’Afrique de l’Ouest, qui n’est pas lié aux problèmes de protection » mais aux récoltes instables et aux difficultés pour les Etats de mettre en place des politiques de stockage efficaces. Pour Saliou Sarr, il ne faut cependant pas oublier que « ces consommateurs pauvres viennent des campagnes », car il s’agit d’agriculteurs poussés à l’exode par la baisse des prix mondiaux contre lesquels ils ne sont pas compétitifs. « Nous Afrique de l’Ouest nous ne voulons pas d’aides, mais des partenariats avec les autres pays. Nous avons les potentialités pour nourrir nos pays », explique-t-il. Plus largement, il s’agit surtout de reconsidérer la place de l’agriculture dans les traités commerciaux. « L’énergie et l’alimentation, donc l’agriculture, sont les deux principaux débats du défi planétaire », a commenté de son côté Stéphane Le Foll, certain que l’agriculture pèse donc auprès du politique, mais que les éléments de concurrence restent un des points d’attention pour répondre à cet enjeu.


Pour une exception agricole dans les échanges internationaux



Suite au congrès des Jeunes agriculteurs qui s’est achevé le 18 juin au Mans, Jeunes agriculteurs, le National Farmers Union (NFU – Etats-Unis) et le Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles d’Afrique de l’Ouest (ROPPA – Afrique de l’Ouest) demandent dans un communiqué commun « une exception agricole dans les échanges internationaux ». Sans remettre en cause la nécessité du commerce, les trois organisations incitent les dirigeants mondiaux à ne pas entretenir uniquement « une course à la compétitivité dans des accords de libre-échange déséquilibrés où les partenaires ont des écarts de développement considérables » et d’agir pour que les agricultures familiales puissent aussi accéder à ces nouveaux marchés. Ils demandent des politiques en ce sens, mettant en place des dispositifs de soutien à la formation et à l’installation des jeunes, un appui aux filières locales, et des soutiens publics aux revenus des paysans. Malgré les disparités entre les pays et les continents, « il y a aujourd’hui la nécessité de faire entendre une voix internationale des agriculteurs qui ont bien plus à gagner à coopérer en faveur d’une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable qu’à s’affronter sur le terrain de la compétitivité économique », conclut le communiqué.

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