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Premières rencontres de l’initiative en Saône-et-Loire

La fracture entre (par) les territoires

"Tête d’affiche" des premières rencontres de l’initiative en
Saône-et-Loire, organisées par les trois chambres consulaires à Chalon
mardi dernier, le conseiller économique de nombreuses institutions et
ministères, Laurent Davezies met en garde : la crise financière,
économique puis des états endettés n’est pas finie, bien au contraire, la
"vraie" crise va venir, sous la forme d’une nouvelle fracture
territoriale. Sa solution : l’économie de proximité.
Par Publié par Cédric Michelin
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Seule une coupure générale d’électricité a réussi à interrompre ce professeur passionné d’économie. Laurent Davezies prévenait d’emblée : « La vraie crise est devant nous alors qu’on n’est pas sorti de celle de 2008, pourtant pire que celle de 1929 ». Il prévoit carrément une « glaciation » de l’économie.
Evidemment, qui dit crise générale, dit en réalité : des gagnants et des perdants, selon la destruction créatrice de Schumpeter. La guerre n’est donc pas finie et la crise « brutale » de 1993 n’a détruit "que" 2 % des emplois privés français en deux ans mais davantage dans le secteur industriel. « On se rapproche de la Saône-et-Loire, industrielle, vous avez alors perdu 3,5 % de vos emplois ». Dans la ville de Niepce, tout le monde pensait alors aux prémices de la chute de Kodak, et ses 3.000 temps pleins. En revanche, les territoires résidentiels (Ouest et Sud) –avec des riches retraités ou des touristes de masse– ont « moins subi » ce choc, voir pas du tout pour certaines métropoles (Lyon, Nantes, Paris…). En 2011 arrive la crise de la dette, après le sauvetage des banques, d’abord aux USA, puis via la Grèce pour l’Europe. Un véritable « tsunami des finances publiques qui fait peur aux enfants ». L’effet de « contagion » s’étend maintenant à la consommation des ménages, qui porte pourtant l’économie avec les fonds publics en déficit. Dans cette situation actuellement, tentant de « juguler » les dettes des Français, l’histoire ne s’arrête malheureusement pas là pour Laurent Davezies. « Les territoires les plus pauvres sont aussi ceux les plus dépendants des fonds sociaux. Le fait de fermer le robinet va avoir un effet terrible. C’est l’effrayante tragédie française à venir ». Une « fracture des territoires » donc qui va se combiner de façon complexe avec les « inégalités sociales », que décrit Thomas Piketty, rajoutait Dominique Rousset, la journaliste économique de France Culture qui animait les débats. A l’image de la Catalogne en Espagne, avec la riche Barcelone, réclamant son indépendance pour ne pas "payer" la dette de toute l’Espagne…

Plus de vieux et de morts que de jeunes



Après cette introduction "noire", place aux conséquences directes. La population qui vit, s’installe, travaille (production ou services) définit la démographie et l’offre d’un territoire donné. Pour ce natif exilé de Chalon, « le déficit est là depuis longtemps en Saône-et-Loire, sauf à Chalon, Mâcon et Louhans peut-être. Il y a plus de vieux que de jeunes et plus de morts que de naissances. Vous n’avez pas l’argent "braguettes" ». Alors que le département est sur les grands axes de transports, le tourisme est « ici, très en panne », avec « très peu de résidences secondaires ». Et seulement 1.300 €/an sont dépensés en moyenne par les touristes contre 1.800 € en moyenne en France.
La sphère productive a « perdu la moitié de ses emplois industriels » et agricoles, « même si vous avez toujours la même surface » de production. L’activité départementale est « plutôt tournée vers le support » d’autres entreprises situées de part le monde.
Les 400 chefs d’entreprises dans la salle et les élus étaient alors impatients de connaître les « bons points » de la Saône-et-Loire. « Avec l’argent des retraités, les services des secteurs sanitaires et sociales marchent ». En bon français critique, il rajoutait « mais en même temps, ils viennent de moins de 100 km et vous n’attirez pas les retraités lyonnais ou parisiens qui sont mobiles et solvables ».

Exode 2.0



« Ce sont ces emplois présentiels qui ont maintenu le niveau de revenus malgré les chocs, permettant de garder la tête hors de l’eau. Mais cela va être moins vrai dans les années à venir », estime l’économiste. Pourquoi ? Car l’avenir appartient aux jeunes et ils ne sont que 23 % à avoir moins de 20 ans dans le département. « Montez des centres de formations qui attirent. Vous avez des secteurs spécialisés qui marchent », conseillait-il aux élus, rajoutant au passage : « Pour les vieux, ayez une politique mais ne le dites pas trop fort. Pour les jeunes, attirez les et ensuite faites une politique ». Cynique mais possible…
Car le risque sinon est de subir une nouvelle exode. Après la révolution de l’agriculture, puis celle de l’industrie accélérée par celle des transports, vient celle du numérique. Cette dernière met à mal l’économie locale, jusque là protégée de la mondialisation. Rien de plus facile aujourd’hui pour la génération née avec internet d’acheter à toute heure, un produit ou un service, au détriment du commerce local… La logistique après ne compensant pas les emplois détruits, comme l’a prouvé l’histoire de la grande distribution, alimentaire et autres.

A une heure d’un pôle urbain



Pour Laurent Davezies, pour qu’un territoire survive et réussisse demain, « le premier facteur de dynamique est la qualité de l’habitat, à une heure de voiture d’un pôle urbain en direct ». Un critère déterminant notamment pour les cadres… et les femmes. La Saône-et-Loire possède un bon maillage en ce sens. Car les jeunes ne veulent « pas vivre comme avant ». Nés, élevés et forgés par les crises permanentes, la promesse d’un avenir rassurant leur est inconnue. « Ils sont donc hédonistes » pour profiter du temps présent. Du coup, « les gens se déplacent là où ils ont envie de vivre. Le tourisme en est un marqueur (qualité de vie et indice des prix). Dans le Nord où au Creusot, les entreprises doivent payer plus les gens, sinon, ce sont les entreprises qui devront demain bouger là où trouver leurs actifs ».
Face à tous ces défis, les acteurs locaux –qui ont une part chacun de la solution– n’ont plus le choix et doivent « jouer collectif ». D’où l’initiative des trois chambres consulaires de créer ces rencontres régulièrement pour innover avec tous les acteurs de proximité. Pour valoriser et développer les richesses économiques, sociales, culturelles et environnementales. Et aussi « capter » celles des autres. Car, dans un monde libre, les territoires les plus productifs ne sont plus les plus riches.




AMAP : un truc de bobo ?



Qui dit économie de proximité ne veut pas dire forcément circuits courts. Et quand Laurent Davezies est interrogé sur les AMAP, un « mélange des deux » pour lui, « c’est presque anecdotique par rapport aux enjeux de 2014, avec un pays en dépression, en grave perte de compétitivité et avec des difficultés à se désintoxiquer des politiques sociales. Cela ne règle ni le problème environnemental, ni l’emploi, ni la qualité des aliments d’ailleurs. C’est un truc de bobo qui concerne aussi des bas revenus, qui finalement payent plus cher ». « Réaliste, comme un film noir italien », il voit poindre le risque de voir le coût de l’énergie encore plus « exploser » avec « Poutine et l’Iran ». Pour lui, le port du Havre est un enjeu logistique stratégique car la voie maritime est le « seul transport à grande portée pas cher ». « Il faut penser port et hub plutôt que mobylette pour aller chercher sa salade », disait-il de façon un peu brutale aux élus. Sauf que les caisses publiques sont vides depuis longtemps et qu’une mobylette coûte moins qu’un aéroport…
Après les débats et échanges, il concluait pour ne pas caricaturer sur ces questions « polémiques » : « présentiel contre productive, circuits courts contre longs… Ce n’est pas ou l’un ou l’autre. Ces choses ne s’opposent pas mais sont complémentaires entre elles ». Ouf.


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