Les défauts de leurs qualités
Les nouvelles messageries mobiles n’ont évidemment pas que des qualités. WhatsApp est très critiqué pour la protection des données de ses utilisateurs, ce qui a conduit au moins deux organisations agricoles à appeler leurs adhérents à migrer vers Telegram ou Riot. Les autres défauts de ces outils sont souvent le reflet de leurs qualités : brièveté des échanges, chronophagie, risques de fracture numérique…
Pour l’ensemble des personnes interrogées, la messagerie mobile est un très bon complément des groupes de développement – qu’elle ne doit à l’évidence pas remplacer –, mais elle trouve rapidement ses limites. La première est la brièveté des échanges. « C’est un peu juste pour traiter des problèmes plus complexes, témoigne Sébastien Windsor, président des Chambres d’agriculture France. Le risque c’est de ne pas traiter les problèmes de fond, les stratégies, et de régler seulement des problèmes ponctuels (ex. apparition de ray grass cette année) ». « Ce sont des messages courts, qui portent le plus souvent sur une innovation ou un problème, du type : "j’ai du mildiou, et vous ?" , confirme Stéphanie Gazeau, conseillère à la Mab de Charente. Cela ne remplace pas les formations durant lesquelles on approfondit les sujets ».
La rapidité et l’horizontalité des échanges ne sont pas non plus sans inconvénients. Face au fourmillement des messages, la conseillère bio doit d’ailleurs « rattraper au vol » certains messages erronés. En Cuma, le fait de troquer les échanges oraux pour de l’écrit peut engendrer des quiproquos. « On se rend parfois compte qu’un message écrit peut se comprendre de différentes manières, témoigne l’agriculteur alsacien Mathieu Goery, président de Cuma en Alsace. Donc nous avons mis en place une réunion physique pour clarifier certaines choses, les poser… et puis boire un coup ensemble ! »
Un autre revers de l’application tient à sa simplicité. Très vite postées, les photos sont aussi vite perdues, classées pêle-mêle dans de vastes dossiers multimédias. « WhatsApp ne capitalise rien », tranche l’entrepreneur Nicolas Minary, dont l’outil Landfiles est justement conçu pour structurer les discussions et les données (par exemple date et nature du semis), et permet de les extraire sous forme de fichiers Excel. Les clients de Landfiles sont souvent des groupes d’agriculteurs qui utilisaient WhatsApp et ont trouvé les limites, assure-t-il. « Ces alternatives existent effectivement, mais elles perdent en efficacité », sourit Martial Coquio, coordinateur de Geda en Ille-et-Vilaine.
Sécurité des données, fracture numérique
Les autres limites de ces messageries sont plus connues : sécurité, fracture numérique, temps disponible. Des alternatives comme Telegram ou Riot existent, qui promettent de mieux protéger les données personnelles que ne le fait WhatsApp (voir encadré). La chambre d’agriculture de Normandie a d’ailleurs récemment appelé ses adhérents à basculer sur Telegram. Une démarche qui « a en partie marché », témoigne Sébastien Windsor. En partie seulement, « car les agriculteurs utilisent bien souvent WhatsApp pour d’autres usages, notamment personnels. Mais c’est aussi une occasion de faire de l’éducation sur l’importance des données ». De même, Agrobio 35 a fait le choix de faire fonctionner tous ses nouveaux groupes sur l’application Riot. Et les agriculteurs suivent, assure son coordinateur technique David Roy.
Autre écueil, les agriculteurs maîtrisent ou apprécient plus ou moins ces applications, voire l’usage des téléphones mobiles en général. La peur d’une sorte de fracture numérique au sein des groupes peut freiner certains conseillers. « S’il n’y a que quelques éleveurs du groupe dans la boucle, cela va créer un décalage », craint un conseiller de Gab en Bretagne, qui a choisi de ne pas utiliser ces outils pour l’instant. Et même lorsqu’ils sont inscrits et présents dans les boucles, certains agriculteurs les suivent beaucoup moins assidûment que d’autres. « Il y a un risque de perdre ceux qui sont les moins utilisateurs de ces outils », selon Sébastien Windsor. Faut-il pour autant se résoudre à ne pas les utiliser ? « Si on attend tout le monde, on ne fera rien », tranche David Roy, comme bon nombre de conseillers.
La dernière limite au développement de WhatsApp est connue d’un grand nombre d’utilisateurs du grand public : le manque de temps. « Rien que pour la Cuma et la famille, il y a un problème de temps disponible, qui n’est pas propre à WhatsApp, mais aussi aux autres outils », constate l’agriculteur alsacien Mathieu Goery. L’aspect chronophage de ces outils pèse d’ailleurs aussi sur les conseillers, témoigne Stéphanie Gazeau : « Les modes de communication se diversifient, et de fait, ils complexifient pour l’instant notre tâche, car en même temps que nous animons ces groupes, nous n’avons pas pour autant abandonné le téléphone et le mail ».
Les associations de consommateurs vent debout contre WhatsApp
L’affaire avait fait grand bruit dans le grand public. En janvier 2021, l’application WhatsApp avait annoncé qu’elle rendrait obligatoire la signature de ses nouvelles conditions générales d’utilisation (CGU), ce qui induirait des changements dans les transferts de données, notamment avec sa société mère Facebook. Faute de les signer avant le mois de mai, WhatsApp menaçait les utilisateurs de dégrader fortement leur accès à l’application. L’entreprise américaine a finalement rétropédalé, et renoncé à sanctionner les réfractaires. Elle le pouvait d’autant plus facilement qu’une grande majorité des utilisateurs a accepté de les signer, selon la presse spécialisée. Cela n’a pas empêché les associations de consommateurs européennes du Beuc de lancer une action contre WhatsApp auprès de la Commission européenne en juillet. Elles lui reprochent le manque de clarté de ces CGU pour un public non averti.