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Accord de libre-échange avec les Etats-Unis

Les négociations agricoles font débat

Alors que les négociations se sont ouvertes à Washington dans un climat de suspicion, les organisations agricoles ont rappelé la fragilité de certains
secteurs et les difficultés de l’agriculture européenne à s’inscrire
dans un cadre de libre-échange avec des pays n’ayant, ni les mêmes normes,
ni les mêmes coûts de production...
Par Publié par Cédric Michelin
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La perspective d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis continue de susciter de profondes inquiétudes au sein du monde agricole français, lequel s’interroge encore sur les probables conséquences économiques. C’est le principal enseignement d’un récent débat organisé le 4 juillet par l’Association française des journalistes agricoles (Afja) au cours duquel acteurs et observateurs avisés de ce nouveau cycle de négociations ont pu exprimer leur position. Edouard Bourcieu, responsable des politiques à l’unité Stratégie commerciale de la direction générale du Commerce de la Commission européenne, n’a pas ménagé ses efforts pour justifier l’ouverture des discussions avec les Etats-Unis. « Quand les moteurs sont à l’arrêt, l’export est un levier pour faire redémarrer l’activité économique », a-t-il assuré, rappelant que l’Union européenne disposait d’un solde commercial excédentaire et n’avait pas à nourrir de complexe à l’égard des Etats-Unis. Il a relevé que l’agriculture avait des intérêts « offensifs » à faire valoir : lever les barrières non-tarifaires à l’exportation sur la viande bovine ou les fruits (pommes et poires notamment) et négocier une réduction des droits sur les fromages, les produits sucrés ou le tabac.

Vaste marchandage ?


Philippe Vinçon, chef du service des relations internationales au ministère français de l’Agriculture, partage le même constat. « Le développement de débouchés sur les pays-tiers est stratégique pour l’avenir des produits agricoles et agroalimentaires français », a-t-il plaidé, avant de relever que l’excédent de la France dans ces deux secteurs s’élevait à 1,9 milliard d’€ avec les Etats-Unis, notamment grâce aux alcools et aux vins. « Deux secteurs dans lesquels nous n’avons rien à gagner, les droits avec les Etats-Unis étant nuls ou presque », a objecté Thierry Pouch, responsable du service des Références et Etudes économiques des chambres d’Agriculture.
La France entend cependant profiter de cette occasion pour faire respecter la défense des produits d’origine et pour acter les divergences avec les Etats-Unis sur les « préférences collectives » comme les hormones, les OGM ou le clonage, lui a indirectement répondu Philippe Vinçon. Le cadre de la négociation fait cependant craindre aux agriculteurs français que leur secteur ne fasse les frais d’un vaste marchandage.
« La négociation bilatérale, qui est ouverte dans le même temps par l’UE avec d’autres zones, rend le chiffrage des concessions très difficiles », déplore Claude Soudé, responsable des Politiques agricoles, des marchés et filières à la FNSEA. « Nos normes et nos coûts de production nous permettent-ils de résister à une plus grande libéralisation des échanges ? », s’est-il interrogé. « Où est la cohérence entre une politique agricole très encadrée et un libre-échange qui va favoriser la volatilité ? »
La nature des concessions mutuelles pousse également le gouvernement français à la vigilance. « Il est plus facile de négocier sur des barrières tarifaires, sur lesquelles les Etats-Unis ont un avantage, que sur les barrières non-tarifaires par lesquelles ils protègent leur marché », a reconnu Philippe Vinçon.

Longue haleine


Cette inquiétude est renforcée par les ambitions non dissimulées des Américains en matière agricole. « Les Etats-Unis pâtissent d’un important déficit commercial », relève Jean-Christophe Debar, directeur de la revue Agri US Analyse. « L’excédent dont ils disposent en matière agricole est un atout qu’ils entendent conforter. Il ne leur a pas échappé qu’en dix ans, leur part de marché en Europe au niveau agricole avait été divisée par deux, pour passer de 14 % à 7 %. Les Américains visent clairement à faire progresser leurs exportations vers l’Europe, notamment de produits transformés ».
Edouard Bourcieu, de la Commission européenne, a tenté de rassurer le monde agricole en pointant les précautions qui seraient prises à l’égard des secteurs fragiles. « Il y aura une liste de produits sensibles, parmi lesquels les produits de l’élevage et des contingents tarifaires seront appliqués », a-t-il assuré.
Le ministère français de l’Agriculture a d’ores et déjà sensibilisé la Commission à cette question en lui adressant une note de cinq pages « dans laquelle quatre sont consacrées aux intérêts défensifs à prendre en compte » a rappelé Philippe Vinçon. Si la Commission européenne affiche l’ambition d’aboutir à un accord d’ici deux ans, le ministère français de l’Agriculture se montre plus prudent. « C’est une négociation de longue haleine, aux enjeux considérables pour l’Europe », a conclu Philippe Vinçon, relevant que l’Union européenne avait entamé il y a quatre ans des négociations avec le Canada qui, à ce jour, ne sont pas encore terminées.