Une pétition et, peut-être, un nouveau débat
À peine adoptée, la loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » continue de susciter des controverses.

Le Conseil Constitutionnel a été saisi à trois reprises : deux saisines de la part des députés (groupes LFI, PC et Écologistes d’une part, et groupe socialiste d’autre part) en date du 11 juillet, et une en provenance du Sénat (co-signée par des sénateurs des groupes Socialistes, Communistes, et Écologistes) enregistrée le 18 juillet (Le Conseil constitutionnel dispose d’un mois pour statuer). En plus de ces saisines, une pétition a été déposée le 10 juillet sur le site de l’Assemblée nationale. La plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale « permet aux citoyens d’adresser des pétitions à l’Assemblée nationale et de signer des pétitions déjà déposées ». Les pétitions ayant recueilli au moins 100.000 signatures sont mises en ligne sur le site de l’Assemblée nationale pour « plus de visibilité ». Intitulée « Non à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective », la pétition a franchi ce seuil des 100.000 signatures le 19 juillet et a ainsi été mise en ligne.
« Une partie des Français veut que l’on débatte »
Dès lors, les signatures se sont multipliées, dépassant le million le 20 au soir (plus de 1,5 million de signatures étaient constatées au moment de la rédaction de cet article le 22 juillet dans la matinée). Selon le site de l’Assemblée nationale, la Conférence des présidents peut « décider d’organiser un débat en séance publique sur une pétition ayant recueilli au moins 500.000 signatures » (ce qui est le cas), « issues d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer » (ce qu’il restera à démontrer). Ce débat n’est pas suivi d’un vote. « On ne peut que constater les chiffres qui montrent qu’une partie des Français veut que l’on débatte », a déclaré, le 20 juillet, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale. « Les Français ont signé cette pétition. Nous pourrons organiser un débat dès la rentrée parlementaire sur ce sujet. C’est un sujet qu’on abordera en conférence des présidents, mais j’y suis évidemment favorable », a-t-elle ajouté. Le 21 juillet, la présidente a qualifié la loi « Contraintes » de « bonne loi », apportant « une réponse précise et ciblée à une difficulté chronique » faite pour « soutenir les agriculteurs ».
Faire confiance à la science
« On n’a pas de problème à ce que nos institutions fonctionnent et que le débat démocratique ait lieu » a déclaré pour sa part Arnaud Rousseau, président de la FNSEA le 21 juillet. « Je crois qu’encore une fois, remettre un peu de rationalité et de calme dans le débat au moment où évidemment les craintes demeurent, me paraît de bon sens » a-t-il ajouté. L’agriculteur a rappelé que « l’objectif est de continuer à produire en France une des alimentations les plus sûres au monde, avec des moyens qui nous permettent de le faire ». À propos de l’acétamipride, dont l’usage est autorisé partout en UE sauf en France : « Si demain l’Efsa devait interdire ce produit, elle le ferait partout en Europe. Et moi, je fais confiance à la science pour alimenter la réflexion », a conclu Arnaud Rousseau. De son côté, le PS a fait part de son intention de déposer à la rentrée « une proposition de loi abrogeant les graves reculs de la loi Duplomb ». Enfin, Annie Genevard, considère que la pétition « témoigne d’un attachement aux enjeux de santé et d’environnement, que je partage pleinement — c’est une priorité pour le Gouvernement ». « L’organisation d’un débat est désormais à la main de l’Assemblée nationale. Le Gouvernement y est bien sûr pleinement disponible » conclut la ministre de l’Agriculture. Quelle que soit la décision à venir du bureau de l’Assemblée nationale, et contrairement à ce qui peut-être écrit ou dit ici ou là, le Président de la République ne peut pas ne pas promulguer une loi. Concernant la loi « Contraintes » (comme pour toutes les lois), une fois la décision du Conseil constitutionnel rendue et publiée, il disposera d’un délai de 15 jours pour promulguer la loi. Sauf à demander une nouvelle lecture, ce qui n’est arrivé que trois fois depuis les débuts de la Ve République. Sans compter, les menaces de motions de censure du gouvernement Bayrou ou la possible dissolution de l’Assemblée nationale…
Luc Smessaert, vice-président FNSEA : « Un texte pour continuer à entreprendre »
Pensez-vous que ce texte va réellement simplifier le quotidien des agriculteurs ?
Luc Smessaert : C’était indispensable d’avoir ce texte. Il a été porté par deux sénateurs courageux, Laurent Duplomb et Franck Ménonville, qui ont eu l’audace de porter des mesures pour enfin retrouver un petit peu de bon sens et corriger la surtransposition franco-française qui tue l’envie d’entreprendre. Il a fallu beaucoup de détermination de la part des sénateurs et députés face à l’obstruction parlementaire du groupe écologiste, qui a extrémisé ce dossier alors qu’il s’agissait seulement de redonner la capacité de produire en France en se rapprochant des règles européennes. Quand je dis se rapprocher, c’est parce que, malgré tout, on restera avec ce texte avec des mesures toujours un peu plus contraignantes que le reste de l’Europe. Ce texte n’est pas révolutionnaire, mais il va quand même permettre de continuer à entreprendre. C’est un combat que la FNSEA et les JA ont porté. Il était indispensable d’aller au bout. On en a ras le bol des politiques qui nous font des promesses qui ne se traduisent jamais concrètement dans nos fermes. Maintenant, il faut aussi que la ministre signe les décrets qui vont avec la loi, parce qu’une loi sans décret, ça ne sert à rien. Il y a encore un gros travail de la part du ministère sur la simplification, on est encore très loin. Beaucoup de choses sont en attente. On avait dit qu’on donnerait la main aux préfets sur tout ce qui est dates d’épandage, dates de taillage des haies, etc. Là-dessus on attend toujours.
Quels effets concrets pensez-vous voir à court terme sur les exploitations ?
L.S. : Concrètement, les effets à court terme sont multiples : C’est la fin du conseil stratégique phytosanitaire, qui était obligatoire, qui coûtait 400 €, qui nous prenait une journée et qui ne servait à rien. C’est aussi la fin de la séparation vente-conseil : demain nos coopératives, nos techniciens vont pouvoir nous vendre des produits et nous fournir un conseil technique. On n’est pas des addicts aux phytos, mais je préfère que le technicien qui me vend les phytos puisse aussi me conseiller. S’il ne me donne pas le bon produit ou les bonnes doses, c’est lui qui sera responsable. Les conseillers des chambres d’Agriculture continueront aussi à apporter un conseil neutre et complémentaire. C’est ensuite le retour de l’utilisation de l’acétamipride par dérogation. C’est un produit qui est utilisé dans 26 pays européens sur 27. Il n’y a qu’en France qu’il n’était pas homologué. C’était du non-sens total. On devait traiter à l’aveugle, alors que nos voisins européens ont des solutions bien plus efficaces, sans revenir à des méthodes d’il y a 20 ans. Sur les bâtiments d’élevage, c’est éviter de rajouter des couches pour les gens qui sont en projet de construction, notamment ce qui est lié aux installations classées. C’est revenir à la norme européenne plutôt que nos usines à gaz. On était arrivé à un point où il devenait impossible de construire un bâtiment pour des bovins, pour des porcs, pour des volailles. Le stockage de l’eau est déclaré d’intérêt général majeur et c’est important. Sans eau, il n’y a pas de production. Avec le changement climatique, la capacité de stocker l’eau quand elle tombe en excès l’hiver pour l’utiliser, c’est une manière de ne pas puiser dans la nappe. Ce n’est que du bon sens. Concernant l’assurance prairie, on souhaite avoir un système assurantiel qui fonctionne. On sait qu’on aura affaire à des sécheresses et qu’on se souvient des années 2003-2011, sur lesquelles les éleveurs avaient été mis en difficulté. Sur l’article 6 et l’OFB, on confirme que les agents de l’OFB seront majoritairement sous l’autorité du préfet et qu’on sera sur des amendes administratives plutôt que des amendes pénales. On ne sera plus demain considérés comme des voyous. On est des gens respectueux de l’environnement.