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GRANDES CULTURES

« Nous devons nous préparer aux dix prochaines années »

Structurellement exportatrice en grandes cultures, la France a vu sa position reculer au sein du marché mondial. Ouverture des marchés, changement climatique et tensions diplomatiques ont redéfini un paysage concurrentiel plus intense, posant la question de l’avenir des filières grandes cultures dans l’hexagone. 

 « Nous devons nous préparer aux dix prochaines années »
Philippe Heusèle, président du comité des relations internationales au sein d’Intercéréales. ©Jacob_Intercéréales

Céréalier et producteur de betteraves près de Meaux (Seine-et-Marne), Philippe Heusèle est président du comité des relations internationales au sein d’Intercéréales. Selon lui, la France reste un concurrent de taille face à la compétition mondiale, mais elle doit maintenir ses coûts de production pour rester dans la course. La France est le 5ème exportateur mondial de blé. Avec 15 à 17 millions de tonnes (Mt) de blé exportées sur le marché international, elle se place désormais derrière la Russie (entre 45 et 55 Mt), les États-Unis, le Canada et l’Ukraine. La filière céréalière française exporte près d’une tonne sur deux de céréales au sein de l’Union européenne (UE) (Belgique, Pays-Bas, Espagne, Italie, Portugal) et vers les pays tiers (du Maghreb, le Maroc notamment, d’Afrique subsaharienne de l’Ouest, du Proche et Moyen-Orient et la Chine). « Cette année le rendement a été faible voire très faible sur certaines céréales, le blé tendre, le blé dur et l’orge, mais se maintient en maïs. La disponibilité de céréales à l'exportation en est donc amoindrie », explique Philippe Heusèle. Des fragilités auxquelles s’ajoute une concurrence forte : « les céréales et produits céréaliers se situent sur des marchés internationaux ouverts, très concurrentiels, pour des raisons politiques et environnementales, et surtout depuis que l’UE a levé les tarifs douaniers à l'entrée de céréales ukrainiennes sur son marché, en 2022 ».

Rester compétitifs

« Ce que l'on peut faire, c'est agir au maximum pour tenir nos coûts de production les plus proches possibles des moins-disant du marché (Ukraine, Russie notamment), même si cela paraît irréaliste. Leurs types d'exploitations les feront rester compétitives : ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers d'hectares par exploitation. Je ne pense pas que l'Union européenne, la Pac et les Européens, de manière générale, acceptent de reproduire ce type d’agriculture », estime le responsable d’Intercéréales. Malgré tout, la demande mondiale continuera d’augmenter en raison d’une croissance démographique, notamment en Asie et en Afrique. « Il s’agit de trouver un point d’équilibre pour rester compétitifs sur les marchés. Nous devons innover, garder des moyens de production, maintenir une belle productivité, pour répondre à la fois au défi du changement climatique et à celui du gain de compétitivité » assure-t-il. Pour traverser ces épreuves et rester dans la course, la filière française espère « une Pac réaffirmée, idéalement renforcée dans son budget et des moyens de production qui nous permettent de faire face. Les céréales sont plus stratégiques que jamais. Ce n'est pas le moment de poursuivre l’érosion du soutien à l'agriculture en Europe, nous avons déjà perdu 30 % des soutiens depuis 10 ans. Si les aides ne sont pas directement liées à la production, elles agissent comme un amortisseur de la volatilité des cours », conclut Philippe Heusèle.

Besoin de souveraineté sur les oléoprotéagineux 

Selon Françoise Labalette, directrice adjointe de Terres Univia, les filières d’oléoprotéagineux peuvent rapidement subir des conséquences délétères face au manque de souveraineté alimentaire, la France étant davantage importatrice qu’exportatrice sur ces filières, notamment au Canada et les pays de la mer Noire. « Nous avons encore un niveau de déficit entre 40 et 50 %, selon les périodes et notamment en termes de protéines pour l’alimentation animale. Ces dernières années ont été vectrices de nombreuses remises en question, surtout face aux tensions diplomatiques (Ukraine, Russie, Chine, Canada, États-Unis…). La guerre en Ukraine a beaucoup secoué la filière, notamment sur les imports de tourteau de tournesol. Depuis, cela a eu un effet coup de boost sur la production française de tournesol, mais a surtout remis le problème de souveraineté alimentaire sur le tapis. » La filière traverse donc beaucoup d’incertitudes, notamment avec la volatilité des coûts et le changement climatique. En 2023, elle comptait 1 345 000 hectares de colza, 822 000 hectares de tournesol et 158 000 hectares de soja. « Les solutions résident dans le maintien des surfaces, la recherche de meilleures variétés, l'amélioration agronomique et dans le fait de s'assurer que ce qui rentre sur notre territoire ait les mêmes caractéristiques qualitatives que ce que l'on produit », explique Françoise Labalette.

Charlotte Bayon

 

Françoise Labalette, directrice adjointe de Terres Univia. ©Terres Univia