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Tribune proposée par Hervé Pillaud sur La transformation numérique du système agricole

(Tribune) Pour sauver notre Agriculture, engageons une transformation numérique ambitieuse

La transformation numérique de l’agriculture : un péril si elle est privatisée, mais une
opportunité si nous en faisons un bien commun !

Par Publié par Cédric Michelin
(Tribune) Pour sauver notre Agriculture, engageons une transformation numérique ambitieuse

Le dérèglement climatique met en péril notre agriculture. Ce qui nous attend est une
aggravation des dommages sur la végétation et la perte de la biodiversité, des incendies plus
nombreux et plus graves, une accélération de la dégradation des terres, une exacerbation de
l'érosion des sols et des pénuries d'eau. La transformation de l'agriculture est donc, avant tout,
un impératif environnemental. Ainsi, le GIEC préconise vivement des systèmes de production
alimentaire agro-écologiques, des régimes alimentaires équilibrés sur le plan nutritionnel,
l'absence de surconsommation et la réduction des déchets.
Mais la transformation de l’agriculture est également une question de développement
économique. Désormais, le consommateur est plus averti et veut savoir en détail ce qu’il trouve
dans son assiette. Il veut également connaître les producteurs de sa nourriture, les voir
récompensés de leurs efforts et motivés à produire mieux pour lui et sa planète. Les nouveaux
modèles économiques à construire doivent tenir compte de ces paramètres.
Le dérèglement climatique et les nouveaux modèles économiques ne sont pas les seules
menaces qui pèsent sur notre système agricole. Nous devons aussi faire face à la privatisation
de la transformation numérique du système agricole qui peut conduire à une perte d’autonomie
des agriculteurs induite par l’intégration de toute la chaîne des données agricoles par les
grands groupes.
Ces informations sont largement passées inaperçues : les géants du numérique, principalement
chinois et américains, s’associent avec les grands groupes agricoles traditionnels ou
soutiennent des startups pour l'agriculture aux offres commerciales agressives. Par exemple,
l’entreprise Alibaba s’est associée à l’agro-chimiste Bayer afin de développer un système de
traçabilité basé sur la blockchain pour les produits agricoles. Les conséquences de la
pénétration du marché agricole par ces mastodontes numériques pourraient s'avérer graves
pour notre souveraineté alimentaire. Entre captations des données par les grands groupes,
maîtrise de la chaîne de valeur de bout en bout et enfermement dans des écosystèmes
numériques captifs, les agriculteurs se retrouveront en bout de chaîne, transformés en
travailleurs au service des géants numériques. Les luttes des travailleurs des plateformes ne
deviendront-elles pas, demain, le lot commun des agriculteurs ?
Des structurations alternatives, européennes ou régionales, aux géants du numérique sont
pourtant possibles et certaines existent déjà. Il est encore temps de créer la voie d’un
numérique au service de l'agriculture et des agriculteurs. Cela fait bien longtemps que les
métiers agricoles sont transformés par le numérique. Le numérique leur permet par exemple de
surveiller leur production et d’optimiser leur rendement : ainsi des capteurs et des applications
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permettent de suivre en temps-réel ce qu’il se passe dans les champs et les étables. Mais, outre
l'agriculture connectée, le numérique doit faire renaître une agriculture collaborative. D’ores et
déjà, il outille la résurgence des circuits courts ou de nouvelles formes d’alimentation.
L’agriculture est un bien d’intérêt général qui doit être géré en commun, en respectant les
intérêts de chacun, agriculteurs comme consommateurs. Le numérique peut également être
considéré comme un « commun » d’une société post-moderne. Partant, la transformation
numérique de l’agriculture devrait donc être un bien commun.
La transformation numérique de l’agriculture ne pourra se faire qu’à trois conditions : une
mobilisation collective de la filière agricole, l’émergence d’une filière agro-numérique et un
accompagnement financier de la part de la puissance publique. Cette approche permettra de
mettre en capacité d’agir les agriculteurs et les citoyens pour une alimentation choisie et non
subie notamment en ouvrant les données environnementales et donc les données agricoles
produites dans nos territoires.
En premier lieu, le modèle français de l’agriculture doit se réinventer de façon collective.
Aujourd'hui, les organisations professionnelles agricoles (chambres d’agriculture, coopératives,
instituts techniques...) abordent le numérique de manière dispersée alors que seule une
approche commune pourrait leur donner véritablement les moyens d’agir. La capacité à peser
sur le changement du modèle agricole passera par le soutien commun à l’innovation et donc au
numérique.
En deuxième lieu, une filière européenne agro-numérique doit être développée. Pour ce faire, il
faut créer des hubs pour faciliter le partage et l’exploitation des données agricoles qui sont des
données d’intérêt général. Actuellement, ces données sont extrêmement diffuses, stockées sur
une multitude de bases plus ou moins sécurisées, le plus souvent non maîtrisées par les
agriculteurs. De manière générale, l’agrégation et le traitement des données environnementales
sont indispensables, d’une part, pour développer une agriculture respectueuse de
l’environnement et, d’autre part, pour faire émerger des politiques publiques à la hauteur des
ambitions et des enjeux de la transition écologique. Nous devons également développer une
intelligence artificielle européenne au service d’une agriculture durable.
En troisième lieu, l’émergence de cette filière agro-numérique nécessite des fonds d’amorçage,
notamment pour accélérer la mise en place de hubs de données. L’Europe, l’État, les
collectivités doivent se mobiliser pour soutenir financièrement cette transition. Pour exister et
participer à la gouvernance de ces mutations, les organisations professionnelles doivent
investir ensemble, pour le bien commun et pour les agriculteurs. Cette ambition collective pour
une transformation numérique de l'agriculture, au service de l’intérêt général, doit trouver un
nouveau souffle si nous souhaitons que les agriculteurs puissent continuer à choisir leur propre
destin… mais aussi et surtout être les acteurs du monde agricole de demain. C’est un enjeu
politique.