Un changement d’époque
partie du développement de deux grands courants de pensée du XXIe
siècle, selon Francis Wolff, professeur émérite à l’École normale
supérieure : l’utopie pro ou trans-humaniste et l’utopie antispéciste.
Des frontières qui n’existent plus
« Il s’agit d’une nouvelle façon de penser ce que nous sommes, nous, êtres humains, car nous avons perdu notre identité de race, de classe, de culture, etc. », continue Francis Wolff en référence à l’Antiquité où les hommes se définissaient par « deux contre-oppositions » : les dieux et les animaux. « Comme les hommes savaient qui ils étaient, ils savaient normer leur conduite ». De fait, l’homme pouvait commettre deux grands péchés : l’Hybris, c’est-à-dire tendre à être des dieux, ou « chuter dans la bestialité honteuse ».
Aujourd’hui, « nous avons perdu notre limite inférieure et notre limite supérieure », d’où l’apparition de l’Homme augmenté (utopie post ou transhumaniste), selon Francis Wolff. « L’Homme ne fera plus qu’un avec l’ordinateur. Ce sera la fin de la naissance avec le clonage, de la maladie, de la mort », analyse-t-il. L’utopie antispéciste part du constat - également vrai - que « depuis le XIXe siècle, le progrès a détérioré l’environnement. Aussi l’avenir de l’Homme est-il dans son devenir animal ». « Libération », « génocides », « exploitations », Francis Wolff note que finalement « les animaux sont les nouveaux prolétaires du capitalisme ». D’après lui, les nouveaux utopistes considèrent que « la domestication a été une sorte de péché originel ».
La domestication ou le péché originel
Toujours d’après lui, les nouveaux utopistes se basent sur « l’idée que nous devons former la communauté véritable, légitime, celle des êtres sensibles. Tous les individus sont donc égaux. Et derrière se profile l’abnégation de la communauté morale. Il est immoral de traiter son chien comme une personne, comme il est immoral de traiter une personne comme son chien ! Cette utopie mènerait à une forme de barbarie ».
Finalement, il existe une multitude de formes de vie et une multitude de formes de contrats entre l’Homme et l’animal, que rapportent toutes les histoires d’amitié, d’apprivoisement, de combat entre eux. Aussi Francis Wolff utilise-t-il les termes de « devoir », de « responsabilité », de « garde » pour parler du rapport de l’Homme à l’animal. « Les animaux ne sont pas victimes de l’Homme en général. L’Homme n’a pas un contrat avec l’animal mais différents types de contrats selon le type de relation qu’il a noué avec lui ». D’où peut-être ce constat initial : « cette nouvelle sensibilité de l’Homme à la sensibilité de l’animal est peut-être aussi le signe d’un appauvrissement de notre rapport aux animaux ».
La viande en prend un coup
« Hier, la viande était positive. La viande était saine. La viande marquait la réussite sociale », analyse Bruno Hérault, chef du centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture. « Aujourd’hui, on a le sentiment que la viande est négative, malsaine. Tout ce que je dis là, je ne le partage pas forcément. Je décris et j’essaye de comprendre ». Et de poursuivre : « dans une société rurale relativement pauvre, manger de la viande c’est un truc de riches. Alors que dans une société urbaine riche, manger de la viande devient de plus en plus un truc de pauvres, entre guillemets. Pauvres, pas dans le sens pécuniaire, mais on a le sentiment que des porteurs de domination sociale disent à ceux qui continuent de manger de la viande : "ceci n’est pas bien" ».