Mode d'exploitation habituel de la forêt, les coups à blanc sont de plus en plus déconseillées
Les coupes à blanc des massifs forestiers sont de plus en plus contestées et pour cause, les effets directs et indirects sont nombreux. Et souvent ignorés…

Le tassement du sol, le ruissellement et l’érosion sont souvent évoqués à propos des dégâts causés au sol par les coupes à blanc, mais ces coupes engendrent bien d’autres phénomènes de dégradation.
De nombreuses études ont ainsi montré qu’elles avaient un impact significatif sur le sol, sur les populations fongiques mycorhiziennes et sur le dégagement de CO2 : perte de fertilité, perte de la diversité biologique animale, végétale et fongique, perte de CO2…
Gare à la baisse de fertilité
Le ruissellement physique peut être important et peut engendrer de spectaculaires érosions, parfois dramatiques en contexte de fortes pentes, mais il ne s’agit là que du ruissellement macroscopique.
De fait, un autre type de ruissellement, plus sournois, a lui aussi des conséquences très néfastes sur la fertilité du sol, bien qu’invisibles à court terme. Il s’agit d’un phénomène de percolation, décrit par Wishmeier, qui entraîne les éléments fins vers les profondeurs du sol. Autrement dit, ces éléments fins sont entraînés avec l’eau d’infiltration, vers des profondeurs où les végétaux ne peuvent plus les atteindre. Or, c’est dans ces éléments fins que réside le potentiel nutritionnel d’un sol, c’est-à-dire sa fertilité.
Les éléments les plus fins d’un sol sont les argiles. Les nutriments susceptibles d’alimenter les végétaux sont étroitement liés aux particules d’argile par des phénomènes électrochimiques d’agrégation. On parle de colloïdes et de complexe argilo-humique : c’est là que le sol tient sa richesse. Ces nutriments peuvent être à la disposition des racines des arbres, à condition qu’ils soient à leur portée et qu’il y ait un peu d’eau pour les dissoudre. Il faut aussi que quelques autres conditions soient réunies, telles qu’une certaine porosité du sol permettant la circulation des fluides (air et eau). La vitalité de la microfaune et l’activité mycorhizienne des champignons symbiotes sont également des éléments déterminants pour la bonne croissance des végétaux. Il est bien entendu très important d’éviter la rupture des cycles (perte de nutriments) ou les engorgements.
Ce niveau microscopique des molécules est donc primordial pour le fonctionnement de l’écosystème forestier : tout se passe sous terre, sous l’impulsion de l’énergie lumineuse captée par la masse foliaire des végétaux, mais il s’agit d’un milieu fragile, très sensible aux perturbations, dont les coupes rases sont l’une des plus graves.
Une fois dénudé, le sol subit de plein fouet ces pertes d’éléments fins si utiles à la nutrition. En même temps, une minéralisation générale est activée du fait de l’élévation de la température (sol exposé à la lumière), et il y a alors modification de certains éléments vers des formes plus solubles (azote) et, parallèlement, libération de certains autres éléments jusque-là unis aux structures cellulaires (calcium, potassium). Or, bien que libérées, ces matières nutritives disponibles dans le sol ne peuvent pas être interceptées puisqu’il n’y a plus d’arbres pour les pomper. Par conséquent, il y a donc percolation des nutriments dissous, ruissellement, érosion, perte du rôle régulateur de la litière, diminution de l’activité microbienne… La perte d’argile entraîne une baisse de fertilité et, en plus, une diminution de l’effet protecteur lié à la disparition des composés allélopathiques. Une étude (Likens et Bormann) a confirmé qu’il se produisait une fuite très importante d’éléments nutritifs et de particules organiques.
Ces dégradations ayant un caractère sournois car invisible (tout se passe lentement, sous terre, et au niveau microscopique) et différé (fertilité diminuée à long terme, mais légèrement accrue à court terme), il est donc malheureusement difficile pour les forestiers de les observer de façon concrète, d’en avoir réellement connaissance, et d’en tirer les conclusions qui devraient s’imposer.
Perte de biodiversité
En cas de coupe rase de grande taille, la diversité biologique diminue de façon significative, à commencer bien entendu par les espèces inféodées aux sous-bois, animales et végétales, qui disparaissent complètement. Les champignons mycorhiziens s’en trouvent eux aussi très affectés, ce qui a une incidence directe sur le dynamisme des activités symbiotiques.
En contrepartie de la disparition des espèces d’ombre (les sciaphiles), le sol est rapidement colonisé par des espèces de lumière (les héliophiles) et par des plantes pionnières. Certains arbres font souvent partie des essences qui s’installent spontanément après les coupes rases, en compagnie d’espèces arbustives ou herbacées dont certaines pourraient avoir un effet très bénéfique vis-à-vis de la reconstitution du sol (cas par exemple des ajoncs fixateurs d’azote). La présence de ce couvert permettrait en effet au sol dégradé de commencer assez vite sa convalescence mais, malheureusement, il n’est pas dans les habitudes des gestionnaires de conserver ce qui a pu apparaître spontanément, et encore moins de le mettre en valeur.
Dégagement de CO2
C’est dans le sol que se trouve la majeure partie du carbone stocké à long terme. Or, à la suite d’une coupe à blanc, les échanges gazeux du sol peuvent être doublés, voire même quadruplés, ce qui engendre donc une très forte libération de CO2.
En outre, la disparition des houppiers et de la litière abolit les effets de régulation propres au milieu forestier.
Enfin, on sait depuis longtemps que le labour déstructure aussi le sol en détruisant les agrégats et en libérant du CO2 dans l’atmosphère. Au total, près d’un cinquième du CO2 lié au fonctionnement de la forêt disparaît ainsi. Le bilan de fonctionnement de l’écosystème forestier - qui, à l’état normal, est positif - s’inverse alors pour devenir négatif. Du fait de ces interventions, la forêt se transforme en source majeure de carbone. La fixation d’une quantité équivalente de carbone ne pourra intervenir que bien plus tard, sous réserve de la réussite et de la croissance de ce qu’on aura planté.
Un bilan négatif
L’intérêt des coupes rases - le seul à nos yeux - réside dans les économies d’échelle qu’elles permettent pour ce qui concerne la commercialisation du bois. Pourtant, ce qu’il convient de considérer, c’est leur bilan global. Or ce bilan est négatif sur un grand nombre de points, et tout particulièrement sur l’évolution de la fertilité du sol.
Les sols riches ont généralement des capacités à y résister, sous certaines conditions, mais ce n’est pas le cas des sols pauvres : leur fertilité, faible et fragile, n’est alimentée que par la matière organique déposée au fil des décennies par l’activité végétale. Des perturbations légères suffisent pour la dégrader, or les coupes rases sont des perturbations lourdes. Pour aggraver encore les choses, la coupe rase est habituellement suivie d’un labour profond dont les conséquences sont au moins aussi dramatiques que celles de la coupe elle-même.
Jean André et Jacques Hazera