Coopérative Bourgogne du Sud
Des cycles végétaux raccourcis

Cédric Michelin
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Vendredi 9 décembre à Beaune, la coopérative Bourgogne du Sud tenait son assemblée générale. Si l’exercice 2021 a été marqué par une hausse des cours des trois principales filières - cultures, élevage, viticulture - de ces adhérents (dans notre prochaine édition), la coopérative se penche sur l’adaptation au changement climatique, côté exploitations et côté débouchés économiques. Et ce, avec pas mal de nouveautés.

Des cycles végétaux raccourcis
Le palais des congrès à Beaune affichait complet.

« Cap vers l’avenir 2025 », rappelait le président Lionel Borey du nom de la stratégie lancée l’an dernier. Et elle intègre forcément des adaptations face au changement climatique. En introduction de la table ronde, l’expert agriculture et changement climatique au sein de la chambre régionale d’Agriculture Nouvelle-Aquitaine, Frédéric Levrault faisait un nouveau tour d’horizon. Si le réchauffement du climat planétaire est acté, ses conséquences seront nombreuses, c’est maintenant une certitude au vu des dernières années. Et quoi qu’on fasse, « ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire », l’inertie des émissions de gaz à effet de serre va continuer de réchauffer l’atmosphère encore pendant au moins trente ans ! L’assemblée visionnait d’ailleurs la « vraie future Météo de TF1 » montrant des températures caniculaires dépassant largement les 40 °C l’été. +4 °C depuis 1970 ; +2 °C depuis le début du siècle et « on garde ce rythme, voire on accélère en Europe », alertait Frédéric Levrault qui se prépare au pire scenario du Giec, même s’il espère une prise de conscience avant.

8 km/an vers les Sud

Pour imaginer ce que cela veut dire pour une exploitation agricole de Saône-et-Loire, « c’est comme si elle descendait de 8 km vers le sud tous les ans ». Seule bonne nouvelle, le débourrement ou début du cycle végétatif est plus précoce et la fin du cycle est repoussée dans l’automne, comme cette année. Problème, le risque de gelée printanière augmente dans nos zones pour les vignes et arbres fruitiers notamment. À long terme, « le froid se raréfie », ce qui posera la question de l’absence de cette prophylaxie naturelle, de la dormance et autre structuration des sols. Plus de jours de chaleurs et pas moins de pluie, autour de 900-930 mm/an. Enfin, pas tout de suite...

Pas vraiment de quoi se réjouir car les sécheresses estivales seront plus longues, sauf violents orages par endroits. Et l’évapotranspiration des plantes accentue les sécheresses et fragilisera les recharges des aquifères. Les rendements plafonnent déjà et l’échaudage explique « la moitié » de ces pertes, en fin de cycle blé tendre par exemple. Les pertes de production pourraient atteindre -12% (-10 % en Côte d'Or et -14,7% en Saône-et-Loire). Des pertes aussi en prairies avec des « variabilités annuelles » importantes. D’autres cultures « tropicales » en revanche peuvent « progresser avec des variétés plus tardives », comme le maïs fourrage.

Des opportunités à saisir

« Le second grand phénomène, c’est le raccourcissement des grands cycles végétaux – de la graine à la graine - et le choix des variétés » demain. Une « marge de manœuvre » qu’il faudra exploiter en lien avec l’évolution de la qualité recherchée des produits agricoles et viticoles. Manière de rassurer ou de positiver, Frédéric Levrault rappelait que la France fait partie « des 3-4 pays dans le monde à avoir une telle force d’accompagnement technique, scientifique et organisationnel ».
Expert data dans l’Alliance BFC, Martin Lechenet ne peut que confirmer. Il expliquait son métier de « structuration des données » informatiques, recueillies sur une exploitation et croisées avec des millions d’autres sources pour au final « permettre à l’adhérent de prendre la bonne décision pour progresser ». Mais aussi de se comparer ou pour la coopérative de « structurer un bassin de production » et les « outils de production » avec. Un « changement d’échelle » qui peut également « être un ticket d’entrée » pour éclairer des décisions politiques comme sur le « premier facteur limitant de l’agriculture », la gestion de l’eau à l’échelle d’un territoire demain. En effet, bien des débats stériles pourraient être ainsi évités.

Douze cultures simulées

Il présentait alors le travail de son collègue Séverin Yvoz d’AgroSup Dijon qui évalue le déficit hydrique, le besoin en millimètres d’eau nécessaire selon la culture et à chaque étape du cycle. Et à l’inverse, un « coefficient de souffrance » hydrique, sa résistance, pour arriver au final à une cartographie précise. Le tout avec les scenarii du Giec même « le plus pessimiste ».
Par exemple, pour la culture la plus à craindre l’été, le maïs va évoluer « en deux temps », avec une « petite augmentation » à venir avant des baisses de rendements « après 2070 ».
« Pour maintenir le rendement actuel » des cultures du secteur, et ce « sans optimisation » (irrigation, génétique…), les experts estiment qu’il faudra « jusqu’à 1.521 millions de m3 d’eau » soit un bassin de 25 ha par commune ou 51.000 ha sur 3 m de profondeur. « Restons humbles », plaidait-il, conscient des biais et erreurs de ces calculs récents.
Remerciant ses deux premiers intervenants, Christine Boully, agronome et directrice appro chez Bourgogne du Sud, le redisait, « l’agriculture est la victime, la solution et un peu responsable » du climat. Pour s’adapter, « on a intérêt à mutualiser pour aller plus vite sur ces sujets », concluait Lionel Borey.

Des solutions et innovations par filières
De g. à d., Frédéric Levrault, Martin Lechenet, Alexandre Lachmann, Christine Boully et Lilian Rochette. Mathieu Chatelet ayant eu un empêchement.

Des solutions et innovations par filières

Quelles actions concrètes mettre en place dans les trois grandes filières de Bourgogne du Sud ?
En grandes cultures, le premier levier reste la génétique qui va intégrer de nouveaux « critères de tolérance au stress thermique/hydrique » et les choix variétaux « plus précoces pour éviter les fortes chaleurs ou plus tardives venant du sud de la France ». Les biosolutions pourraient « permettre de passer des coups de chaud ou stress hydrique », en cultures comme en vignes. Plus sûrement, l’agronomie pour retenir plus d’eau dans les sols et éviter les ruissellements. Donc, ne pas tasser ses sols, les couvrir en permanence avec des couverts végétaux et augmenter son taux de matière organique – « en lien avec l’élevage donc » - pour que tout cela « serve aux plantes ». Face aux maladies et ravageurs, stations météo et modélisations doivent permettre de positionner les traitements aux meilleurs moments et au plus juste.
En viticulture, pour d’abord minimiser les risques de gelées printanières, la taille tardive et les fils chauffants pourraient augmenter les chances de survie des bourgeons. En été, contre le mildiou/oïdium, l’effeuillage… ou non contre l’échaudage.
En élevage, la priorité sera de faire des stocks de fourrage « en conséquence » et ce, avec de nouveaux mélanges prairies, avec « plus de fétuques, dactyles, luzerne méditerranéenne et autres espèces adaptées ». Côté bâtiments d’élevage aussi, il faudra les adapter pour qu’ils soient « plus ouverts et avec toitures isolées ».
Des innovations pourraient également arriver prochainement. En grandes cultures, de nouvelles espèces « exotiques » pourraient s’implanter dans les assolements, en mélange aussi, pour « répartir les risques ». Même ordre d’idée en changeant les dates de semis, les densités, les écartements… et même l’agrivoltaïsme, l’agroforesterie ou de « nouvelles technologies » d’irrigation.
En viticulture, ce sont peu ou prou les mêmes innovations, mais à commencer par la base, baisser la densité de plantation ou la hauteur de taille. Les choix de porte-greffes adaptés seront plus simples à faire que de nouveaux cépages, dans nos vignobles AOC réglementés par l’Inao.
Enfin, en élevage, nos zones de polycultures bénéficieront aussi des innovations des cultures, mais peuvent rajouter de nouvelles espèces pour nourrir les animaux, avec par exemple la silphie. De nouveaux outils décisionnels devront permettre de viser un certain bilan fourrager en fonction de la ration souhaitée par animaux et selon son assolement. La sélection génétique des animaux visera des races/souches plus résistantes au stress thermique. De nouveaux produits nutritionnels sont à l’essai pour réduire aussi ce stress et celui hydrique, ainsi que les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, l’abreuvement devra être mieux géré, notamment dans les bâtiments.
Christine Boully résumait donc le quatuor gagnant : « agronomie, génétique et matériels » et la coopération, avec son « volet RSE » pour recruter largement.