Le pragmatisme s’impose !
l’agriculture et fait le point sur les chantiers de la mandature.
Originaire du Cantal et agricultrice en Anjou avec son mari, cette
éleveuse de porcs de 55 ans, mère de trois enfants, entend s’appuyer sur
le collectif pour porter la voix des agriculteurs français qui viennent
de vivre plusieurs crises et sont régulièrement victimes de critiques
sociétales. Au-delà des dossiers strictement syndicaux comme
l’amélioration du revenu, la baisse des charges ou l’harmonisation des
normes, la reconstruction du lien entre les agriculteurs et la société
sera l’un des axes forts de son engagement.

Christiane Lambert : très jeune, j’ai souffert de la mauvaise image du métier de mes parents, agriculteurs, qui portaient un projet d’élevage de porcs. Et si j’ai eu très tôt la volonté d’exercer ce métier, beaucoup de gens ont essayé de m’en dissuader. Aussi, j’ai eu très vite l’envie de défendre la profession. Dans le Cantal, mon exploitation était dans un village isolé. Après mes années étudiantes, à 19 ans, être coupée d’autres jeunes, de l’action, ne me convenait pas. Je me suis donc engagée au CDJA, où j’ai trouvé une vraie dynamique. Et ce fut le déclic.
Dans cette période difficile, quels sont vos chantiers prioritaires ?
C. L. : je veux travailler pour la défense et la promotion de notre secteur qui connaît des crises économiques, sociales, morales et vit une véritable mutation. Nous devons appréhender ces évolutions - européennes et françaises - avec lucidité et conduire des réformes courageuses. Au plan européen, il s’agit de réaffirmer notre attachement à une Politique agricole commune ambitieuse et protectrice, pour répondre aux nombreux défis et marchés qui s’offrent à nous, mais en retrouvant un cadre d’action plus lisible et sécurisé pour les agriculteurs. Depuis l’élargissement à l’Est et l’insuffisance de transitions et d’approfondissement des politiques conduites, les écarts se sont creusés et des distorsions perturbent la vision d’un projet commun. Ce sera l’un des premiers chantiers avec le nouveau gouvernement auquel nous affirmerons que nous voulons "plus et mieux d’Europe" comme nous l’avons voté lors du congrès de Brest.
Et au plan national ?
C. L. : le premier chantier, c’est l’amélioration du revenu des agriculteurs, dont beaucoup souffrent de crises chroniques. Il est temps de redonner à la production agricole la place qu’elle mérite en termes de retour de valeur au producteur et de rôle dans la chaîne de décision avec davantage de dialogue interprofessionnel. Il faut remettre la construction du prix en marche avant comme nous l’avons initié avec la loi Sapin II, en revoyant la LME s’il le faut !
Nous devons expliquer que les agriculteurs ont besoin de retour de valeur et de revenus décents pour réussir les mutations techniques, humaines et sociétales indispensables à notre secteur. Investir et moderniser régulièrement nos installations et équipements, innover en intégrant les progrès techniques et technologiques, est la clé de la performance économique, sociale et environnementale pour maintenir des exploitations dynamiques, attractives et créatrices de nombreux emplois. En France, les porcheries et poulaillers ont un âge moyen de 20 ans… nous avons du retard à combler pour rester dans course ! Le dossier de la baisse des charges est à poursuivre après la baisse historique de 10 points des cotisations sociales pour les exploitants obtenue en 2016. Le coût du travail en France demeure l’un des plus élevé de l’Union européenne, ce qui créé des distorsions de concurrence, notamment pour les productions très employeuses de main-d’œuvre comme le maraîchage, la viticulture, l’horticulture... Il faut réorganiser le financement de la protection sociale, pour conserver les garanties, mais les financer différemment. Nous continuons à revendiquer une TVA "Emploi", un prélèvement sur les produits pour se retrouver dans une compétition plus égale avec les produits importés.
Le deuxième chantier, c’est celui des normes réglementaires qui brident l’envie d’entreprendre, tout comme les délais administratifs trop souvent les plus longs d’Europe ! Il est urgent de relancer les projets d’irrigation et de débloquer les autorisations en attente car ce n’est pas normal qu’en Espagne 21 % des eaux de pluies soient stockées alors qu’en France, la proportion n’est que de 6 %. Le réchauffement climatique impacte tous les territoires ! La faiblesse des nappes en ce printemps 2017 confirme l’urgence de prendre des orientations courageuses de la part de nos élus.
Que ce soit sur le dossier des phytosanitaires dans tous ses méandres ou sur le feuilleton interminable des zonages et des plans d’action Directives Nitrates, du courage et du pragmatisme s’imposent ! Il faut remettre du carburant dans le moteur du Comité de rénovation des normes en agriculture.
Redorer le blason de l’Agriculture
Vous estimez important de « redorer le blason de l’agriculture »…
C. L. : oui, c’est le troisième chantier. Il faut stopper l’Agriculture bashing (dénigrement, NDLR) dans lequel nous sommes enfermés en France. Nous avons un gros effort de pédagogie à faire car nos concitoyens sont fortement marqués par les émissions ou reportages qui restent vissés sur une conception manichéenne de l’Agriculture. D’un côté, une "grosse" agriculture qui pollue, maltraite les animaux et produit de "l’industriel" ; de l’autre, une petite agriculture qui fait de la qualité, du bio mais qui n’est pas assez soutenue… sous-entendu par la FNSEA !
Nous ne pouvons pas accepter qu’une telle vision perdure sur notre profession et influence les décideurs qui ne parlent d’agriculture que sous l’angle des scandales et votent des lois sous le coup de l’émotion suscitée par des vidéos militantes. Les distorsions s’additionnent et nous perdons des parts de marchés et la confiance de nos clients. Les agriculteurs souffrent de ce harcèlement croissant, 85 émissions à charge sur l’élevage, les sols, l’environnement… en 2015, soit une en moyenne tous les 4 jours.
Quels arguments mettre en avant ?
C. L. : d’abord rappeler que le "productivisme" n’existe plus. Même Edgar Pisani, ministre de l’agriculture au début de la décennie 1960, a dit qu’il « assumait » le fait de devoir augmenter la production car il fallait alors produire en quantité pour nourrir une population de plus en plus nombreuse et plus concentrée en ville. Tout comme il fallait loger beaucoup et à petit prix à l’époque et les barres de HLM ont poussé en périphérie des villes. Puis avec l’élévation du niveau de vie et les attentes plus qualitatives, les logements sont devenus plus qualitatifs avec des résidences pavillonnaires. Il en fut de même en agriculture ! Le client est roi et a orienté les productions vers plus de produits sous signe officiel de qualité (25 %), de circuits cours (20 %), d’agriculture biologique (5 % de la SAU et une croissance à deux chiffres depuis trois ans). Les agriculteurs se sont adaptés et ont répondu présents avec plus de traçabilité, de diversité et une sécurité sanitaire renommée internationalement… Ce n’est pas un hasard si les Chinois choisissent la France pour leurs investissements laitiers. Nous devons prendre davantage la parole et ouvrir nos fermes pour dire que l’agriculture est en mouvement, répond aux signaux des marchés, et est à l’origine de 8 à 10 milliards d’€ d’excédents dans la balance commerciale avec l’industrie agroalimentaire, leader en Europe et premier secteur employeur de main-d’œuvre en France. L’agriculture est source de solution pour la lutte contre le changement climatique : production d’énergie renouvelable (source de revenu complémentaire) limitations des émissions de gaz à effet de serre, stockage du carbone… Les agriculteurs mettent en valeur l’ensemble des territoires car ils ont su valoriser les potentialités locales si spécifiques. Nous voulons retrouver un double pacte économique et sociétale avec la société : 87 % de la population nous soutient et nous sommes capables de répondre à toutes les attentes, à condition que le contrat soit réciproque et respecté jusqu’au bout ! Car les consommateurs ne peuvent pas afficher des exigences "premium" et finalement acheter encore trop souvent des produits "low cost". Nous voulons du donnant donnant. Avec satisfaction, nous voyons que les comportements d’achat changent, que le slogan "Manger français" prend corps et nous devons en saisir toutes les opportunités en multipliant les initiatives de vente en proximité, sur internet, en restauration hors-domicile et en raccourcissant les circuits. Le retour de valeur au producteur est souvent au rendez-vous, la reconnaissance en prime !
C. L. : mon objectif est de montrer la diversité de l’agriculture française et la représentativité des élu(e)s de la FNSEA. Celle-ci est trop souvent présentée de façon caricaturale, dans certains médias, comme un puissant syndicat qui défendrait le "productivisme", ce qui ne correspond pas du tout à la réalité. Nous comptons 20.000 syndicats locaux, 94 FDSEA, 13 FRSEA et 31 associations spécialisées par production. Les 69 administrateurs récemment élus proviennent pour 41 d’entre eux des régions, 11 des associations spécialisées… C’est une mosaïque de compétences et de porteurs de dossiers pointus qui font l’expertise et l’efficacité de notre organisation que beaucoup nous envient. Toutes les productions y sont représentées, y compris le riz, le lin, le chanvre, les pommes de terre, l’apiculture, les secteurs équins, caprins, canins… Notre dénominateur commun ? Nous sommes des entrepreneurs du vivant, nous travaillons avec la nature et connaissons tant la richesse que l’ingratitude de climat certaines années. Cette diversité est méconnue, mais c’est une vraie richesse et c’est l’assise de notre représentativité, démocratiquement confirmée dans les urnes depuis 71 ans. J’entends trop souvent des caricatures qui opposent, par exemple, les "petits" et les "gros", la plaine et la montagne, mais l’agriculture française, c’est 5 % de surface en bio, 25 % de productions sous signes officiels de qualité, 20 % de vente directe, 10 % des exploitations qui pratiquent l’accueil à la ferme… Et nous sommes le pays de référence en matière de sécurité sanitaire, pour les produits bruts et transformés.
Qu’est-ce qui motive à s’engager dans le syndicalisme ?
C. L. : la porte d’entrée reste souvent la même : l’engagement local avec, pour motivation, le fait de rencontrer des collègues qui partagent les mêmes problématiques, les mêmes difficultés, les mêmes espoirs aussi. Confronter les visions, répondre aux besoins des adhérents, c’est stimulant. L’ouverture d’esprit qu’apporte la responsabilité est très enrichissante. Il y a toujours plus d’idées dans deux têtes que dans une. Le fait de se former ensemble soude les équipes. Le syndicalisme permet de progresser car on côtoie des gens brillants et efficaces, qui donnent envie de s’engager. J’étais très réservée et très timide au début. Les deux premières formations que j’ai suivi à l’Ifocap ont été "Prendre la parole en public" et "Conduire une réunion" !