Mieux comprendre l’installation des jeunes agriculteurs, une urgence pour l'Afrique
Dans les pays en développement, la pression démographique fait de l’installation en agriculture un défi majeur pour fluidifier le marché du travail. Pourtant, il a fallu attendre la fin des années 2000 pour que cette problématique revienne sur le devant de la scène, ce qui conduit à un manque de connaissances sur les processus d’installation et sur les conditions nécessaires à assurer la durabilité des exploitations.

Face à la perspective d’une population mondiale de 9 milliards d’humains en 2050, trois milliards d’emplois devront être créés pour inclure l’ensemble des actifs dans l’économie. Or, l’hypothèse longtemps soutenue que les mondes agricole et rural serviront de réservoir de main d’œuvre aux secteurs secondaire et tertiaire parait aujourd’hui irréaliste : dans de nombreux pays en développement, notamment en Afrique, ces secteurs n’ont pas la capacité d’absorber la main d’œuvre inoccupée par le secteur agricole, comme l’a démontré Henri Rouillé d’Orfeuil, ingénieur agronome et chercheur au Cirad. L’installation des jeunes en agriculture a donc été négligée, jusqu’à la fin des années 2000, dans les objectifs de développement des pays du Sud, alors qu’elle a été l’un des leviers institutionnels de la modernisation des agricultures familiales dans les pays occidentaux, rappelle une note technique de l’Agence française de développement (AFD) parue en avril. D’où un manque de connaissance sur les besoins spécifiques liés à l’installation dans les pays en développement, comme l’explique dans cette note Betty Wampfler, de Montpellier SupAgro : « les projets d’accompagnement de l’installation agricole et rurale se multiplient aujourd’hui rapidement, mais sont le plus souvent construits sur des soubassements de connaissance très étroits », en raison d’un manque de capitalisation, de recherche et d’information même au sein des organisations agricoles. La production de connaissance sur les systèmes d’installation apparaît non seulement nécessaire pour l’accompagnement institutionnel, mais également pour guider le jeune agriculteur dans ses choix.
L’importance d’une vision positive du métier
L’auteur propose ainsi une grille d’analyse systémique pour mieux analyser les facteurs de réussite dans l’installation des jeunes. Outre l’accès au foncier, au financement, aux compétences, aux marchés ou aux services, l’insertion sociale apparaît comme une clé de la durabilité des installations. Souvent, la famille permet de fournir une main d’œuvre non salariée indispensable au démarrage des activités, comme le défrichement ou les plantations. Elle offre également un capital d’expérience et de conseil. Par ailleurs, la vision qu’ont les jeunes de l’agriculture apparait déterminante pour les encourager à embrasser ces métiers. « Au-delà de ces éléments matériels, cette motivation dépend fortement de l’image que les jeunes ont d’eux-mêmes en tant qu’agriculteur et de l’image que les autres – la société – leur renvoient. L’agriculture est-elle perçue comme ce que l’on fait quand on n’a pas d’autre choix, ou bien est-elle un vrai métier, un métier qui offre des perspectives valorisantes et une place dans la société ? », écrit Betty Wampfler. Dans la deuxième partie de l’article, une étude comparative de trois dispositifs d’installation au Cameroun, à Madagascar et au Togo, ce point est également mis en lumière : dans les trois cas, l’agriculture familiale est perçue comme un modèle de production ayant un avenir et permettant de gagner sa vie. Surtout, les jeunes qui se sont installés à l’issue de ces formations témoignent de leur changement de vision sur l’agriculture et sur leur position dans la société locale. La formation apparait ainsi comme un levier fort de promotion du métier auprès des futurs agriculteurs, ces derniers étant également plus confiants face aux communautés qui, « après les avoir un temps raillé, semblent aujourd’hui changer elles aussi leur vision de ces jeunes, les reconnaissant comme acteurs économiques et vecteurs d’innovation », indique l’article. D’autant plus que l’installation des jeunes dans la durée est un gage de revitalisation pour des territoires ruraux qui sans cela voient les jeunes en surnombre partir tenter leur chance en ville où ils viennent grossir les rangs des chômeurs et des urbains pauvres. Il paraît donc également important de développer les capacités des territoires à assurer un rôle d’accompagnement, conclut l’étude.