Peste porcine africaine
La vraie promesse des vaccins

Alors que la peste porcine africaine (PPA) est de nouveau aux portes de l’Hexagone et que la faune sauvage européenne est devenue un important réservoir de la maladie, la France pourra-t-elle conserver son statut indemne ? En l’absence de traitements, aucun expert ne parie sur ce scénario, car les modes de diffusion de la maladie la rendent imprévisible. Mais un nouvel espoir vient d’apparaître au Vietnam, qui vient d’autoriser le premier vaccin au monde contre la PPA.

La vraie promesse des vaccins
En France, ce moyen de lutte ne serait pas directement destiné à immuniser les porcs, contrairement à l’Asie. Les chercheurs français misent plutôt sur la vaccination des sangliers, dans l’espoir d’assécher le réservoir naturel du virus.

Jusqu’où ira la peste porcine africaine (PPA) ? La question se pose avec encore plus d’acuité depuis la découverte, le 25 mai, d’un cas dans un élevage allemand à 6 km de la frontière française. Avec un autre cluster à 80 km de l’Hexagone, chez des sangliers au nord-ouest de l’Italie, la PPA est de nouveau aux portes de la France. À moyen terme, rien ne semble pouvoir arrêter la progression dans la faune sauvage de cette maladie virale hémorragique. Souvent mortelle pour les cochons, mais inoffensive pour l’Homme, la peste porcine africaine a infecté quinze pays en Europe. « La faune sauvage est devenue un vrai réservoir, chez les sangliers en Pologne par exemple », constate Marie-Frédérique Le Potier, de l’Anses. Les dizaines de kilomètres de barrières érigées par l’Allemagne à la frontière polonaise n’auront pas suffi à protéger le pays.

Difficile de contrôler la faune sauvage

« Il apparaît difficile d’empêcher les sangliers de traverser la frontière franco-allemande », confirme le chercheur à l’Inrae Ferdinand Roesch. Des sangliers contaminés qui pourraient entrer en contact avec des cochons domestiques et leur transmettre la maladie. Ce scénario fait dire à un haut responsable de la filière porcine : « La question n’est pas de savoir si la PPA va arriver en France, mais quand ».
Si la peste porcine africaine venait à infecter un élevage, il y a toutefois peu de chances pour que l’épizootie se propage de manière explosive. « Contrairement à l’influenza aviaire par exemple, la PPA n’est pas très contagieuse », indique Marie-Frédérique Le Potier. « Elle se diffuse localement en tache d’huile à un rythme modéré », précise celle qui dirige l’unité Virologie et immunologie porcine du laboratoire Anses de Ploufragan-Plouzané-Niort.

« Totalement imprévisible de fait »

Mais la peste porcine africaine présente un autre mode de diffusion, plus incontrôlable : les activités humaines. Extrêmement résistant, le virus de la PPA peut survivre plusieurs mois dans l’environnement, sur du matériel ou dans des produits de charcuterie. Ce qui lui confère la capacité de faire des « bonds » de plusieurs centaines de kilomètres : un reste de sandwich négligemment jeté et consommé par un sanglier peut provoquer un nouveau cluster. « La pression infectieuse augmente partout en Europe, constate Marie-Frédérique Le Potier. C’est lié au fait que plus il y a de cas en élevages plus il y a de risques que des salaisons soient produites à partir d’animaux malades non détectés, et qu’elles circulent. C’est un risque mondial ». Son évolution est « totalement imprévisible de fait », martèle la responsable de l’Anses.
Ce mécanisme lié aux activités humaines est probablement à l’origine des récents cas en Italie et en Allemagne, très éloignés des précédents. « Dans le Piémont, il y a beaucoup de travailleurs détachés en provenance d’Europe de l’Est qui viennent pour les fruits et légumes », constatait Jeff Trébaol, vice-président de la FNP (éleveurs de porcs, FNSEA). Même schéma en Allemagne : le cas près de la frontière française a été détecté dans une exploitation employant « 140 travailleurs détachés venus ramasser des fraises et des asperges », selon M. Trébaol. Début juillet, un nouveau front a également été ouvert en Basse-Saxe, une zone de forte densité porcine, à plus de 300 km du cas le plus proche en faune sauvage.

Éradiquer la PPA possible « sur le papier »

Le caractère imprévisible de la propagation de la PPA pose une nouvelle question : une fois la maladie installée sur le territoire, peut-on l’éradiquer ? « Sur le papier, c’est faisable, estime Ferdinand Roesch. Il y a eu des foyers de PPA au Portugal au début des années soixante, puis en Espagne et en France. La maladie a pu être éradiquée par des abattages et la création de zones tampon, sauf en Sardaigne où elle est restée endémique ». Toutefois, relativise le chercheur, « ce qui a changé depuis les années soixante, c’est la mondialisation, l’augmentation des mouvements », qui complique le contrôle de l’épizootie.
Deux exemples plus récents montrent qu’il est possible de se « débarrasser » de la PPA, y compris chez la faune sauvage. La République tchèque, touchée en 2017, puis la Belgique, en 2018, ont réussi à se défaire de la peste porcine chez des sangliers, mais dans des conditions bien précises. « La maladie a été détectée très vite, et les foyers étaient situés dans un environnement géographiquement contraint », rappelle Marie-Frédérique Le Potier, de l’Anses. Dans ces deux pays, il a fallu environ deux ans pour retrouver le statut « indemne ». Une étape cruciale, mais qui ne permet pas systématiquement de lever l’ensemble des blocages à l’export.

Arsenal limité à la biosécurité

À l’inverse, il existe des contre-exemples de pays qui se débattent toujours avec l’épizootie. C’est le cas de la Chine, qui a notifié son premier foyer en août 2018 et où la maladie est toujours présente. Quant à l’Allemagne, elle a découvert son premier cas chez des sangliers en septembre 2020. Un an et demi plus tard, le pays totalise presque 3.500 cas en faune sauvage et sept en élevages, dans une large zone de 218 km sur 160 km.
Sachant qu’il n’existe pas de traitement contre la PPA, la filière porcine ne peut compter que sur la prévention, principalement la surveillance de la faune sauvage et la biosécurité renforcée dans les transports et dans les élevages. Le principe ? « Éviter de faire rentrer du matériel ou des animaux contaminés » dans les exploitations, résume Marie-Frédérique Le Potier – la deuxième hypothèse « étant peu probable ».

Vaccin autorisé au Vietnam

La filière porcine française s’est lancée dans une vaste campagne d’audit de la biosécurité, qui a permis de vérifier 5.900 élevages (sur environ 10.000), selon le vice-président de la FNP Jeff Trébaol. « En Bretagne, 80 % de la production a été auditée, mais il y a encore du travail dans d’autres régions comme en Auvergne-Rhône-Alpes », précisait-il lors du congrès de la FNP. Cet éleveur finistérien se dit « serein pour les élevages en OP (organisations de producteurs, N.D.L.R.) », mais pointe un risque plus important pour les fermes indépendantes ou en plein air.
Cet arsenal limité pourrait s’étoffer avec l’arrivée d’un vaccin, attendue depuis plusieurs années. Début juin, le Vietnam a annoncé l’autorisation du premier vaccin au monde contre la PPA, issu d’un partenariat avec les États-Unis. Il est basé sur une souche vivante atténuée, à laquelle un gène a été retiré. Ce vaccin produit par Navetco protégerait plus de 80 % des animaux traités pendant six mois, d’après les autorités vietnamiennes. Deux autres projets sont dans les tuyaux.

L’Anses veut vacciner les sangliers

Le Vietnam est pour l’instant le seul pays à avoir autorisé un vaccin. « Nous visons également l’exportation », a indiqué le vice-ministre de l’Agriculture, Phung Duc Tien. « Vacciner les porcs en élevages est intéressant dans les pays où il y a beaucoup de petits élevages familiaux, mais n’a pas vraiment d’intérêt dans les conditions françaises, tempère Marie-Frédérique Le Potier. Si on a des cas en élevages, ils devraient être limités en nombre, et une vaccination préventive généralisée pourrait poser des problèmes d’accès à l’export ». Une option pourrait consister à vacciner les animaux domestiques dans les zones entourant les foyers. Mais avec une vaccination généralisée, « au-delà de l’aspect économique, le risque serait de protéger les animaux domestiques de la maladie, mais de laisser s’établir un réservoir incontrôlable de virus dans la nature », prévient Ferdinand Roesch.
C’est pourquoi Marie-Frédérique Le Potier compte plutôt sur la vaccination des sangliers, via la distribution d’appâts. Une méthode qui a été employée avec succès pour éradiquer la rage – en vaccinant les renards – à partir de 1986. La maladie a été éliminée en 2001, rappelle le ministère de l’Agriculture. Par ailleurs, au début des années 2000 en France, des cas de peste porcine classique – et non africaine – avaient aussi été traités grâce à la vaccination de la faune sauvage. « Cela avait pris six ans, mais on avait pu éviter que la maladie passe chez les porcs en élevages », rappelle l’experte de l’Anses.