Les bulles s’envolent mais la bulle menace
Le 10 avril à Péronne, la cave de Lugny tenait son assemblée générale à la salle des fêtes de Péronne., la cave a réussi sa deuxième année de tous les temps en termes de chiffres d’affaires (38 M€), preuve que les efforts et investissements passés étaient pertinents. Pourtant, la prudence est de mise en raison du contexte commercial dégradé (Taxes Trump, déconsommation, crises des autres régions viticoles…).

Alors que les Saints de Glace ne sont pas encore passés, la campagne vrac ne ressemble pas aux précédentes. Les négociants bourguignons font partout attendre les viticulteurs. La cave de Lugny ne déroge pas à la règle mais possède de solides fondamentaux comme l’expliquait Emmanuel Bruno, responsable administratif. Lors de la présentation des comptes de l’exercice, clos avant la récolte 2024, il rappelait que la récolte 2023 a été pleine (91.514 hl) et a même permis de faire des VCI, pour la deuxième année consécutive. Résultat, les stocks étaient déjà remontés (78.000 hl contre 48.000 hl), eux qui avaient dégringolé après le millésime 2021 et l’emballement des marchés. Heureusement, la cave de Lugny peut compter sur des ventes bouteilles et des ventes exports « dynamiques ». Les ventes en grande distribution, elles, décrochent et les cours du vrac sont revenus à des prix « normaux autour des 900 € la pièce » d’AOC Mâcon (contre 1.100 en 2022). À noter, la performance des crémants de Bourgogne qui donne droit à une prime au sein de la coopérative. Les coopérateurs ont été invités à s’engager et les surfaces vont dépasser les 200 ha l’an prochain pour la production de vins de base crémant. Finalement, les ventes toutes confondues sont « stables » et c’est bien l’exercice précédent qui avait été hors-norme véritablement. La cave réalise ainsi le deuxième chiffre d’affaires de toute son histoire, à 38 millions d’€, mais « en baisse de 8 M€ » (46 M€). L’alerte comptable est forcément sur les stocks, qui ont « doublé » avec la récolte 2024 et qu’il faut maintenant financer. La cave est cependant bonne gestionnaire, avec des frais de vinification contenus, une baisse des charges de fonctionnement, notamment côté matières sèches et une maîtrise des charges du personnel (environ 60 salariés). La cave finalise son programme d’investissement autour de ses travaux de cuverie et sa nouvelle réception des vendanges. La chaîne d’embouteillage va suivre, avec aussi une nouvelle dégorgeuse au chai de Chardonnay. Le taux de marge final « revient à la normale » et la cave peut continuer d’aider les jeunes vignerons qui s’installent (800.000 € sur les 1,2 M€ d’avances aux coopérateurs)
Prudence avec « Mickey »
Après cette présentation chiffrée et détaillée de l’activité, le président de la cave, Marc Sangoy donnait plus de précisions sur les décisions prises au niveau du conseil d’administration et du bureau. Il commençait par redire que la Bourgogne est une région à part, comparativement aux autres régions viticoles de France et de Navarre qui sont en crise. « Notre chiffre d’affaires reste au-dessus des 37 M€ alors qu’on n’aurait pas cru au début avec la baisse des cours du vrac de 23 %. C’est le marché bouteilles qui nous sauve la mise et nos crémants bien valorisés avec la Veuve Ambal », remerciait-il ainsi au passage la fidélité des partenaires négociants et le travail des équipes commerciales. Mais, il appelait « à la plus grande vigilance » côté coopérative et côté exploitations viticoles, prévenant que tout le monde va rentrer dans une « période de perturbation avec trois récoltes pleines en cave », situation qui ne s’était pas produite depuis 12 ans ! Si rien ne dit que le gel ne va pas mordre un vignoble d’ici les Saints de Glace, ce qui l’inquiète vraiment est « l’instabilité politique » en France et au pays de « Mickey ». Il faisait allusion aux droits de douanes de Trump passant d’une nuit à l’autre de 200 % à 10 %, avec toujours des menaces imprévisibles, bloquant tout. Les États-Unis pèsent pour 10 % du chiffre de la cave. « Notre rapport qualité prix et notre positionnement dans la gamme » ont toujours été une force sur ce marché, mais des questions restent ouvertes. Donald est peut-être plus Dingo que Mickey en réalité. Si Trump a fait une pause pour trois mois sur les taxes européennes, il n’empêche qu’elles augmentent et que des pays sont entrés en négociation individuelle, telle que l’Italie. « Si tous les vins montent de 10 %, cela restera abordable », espère Marc Sangoy. La véritable inquiétude est, pour lui, plus sur le long terme avec « l’inflation sur tous » les biens importés aux États-Unis avec la guerre commerciale déclarée avec la Chine.
Des maturités galopantes ou bloquées
Mais tout ne se joue pas de l’autre côté de la planète et les viticulteurs ont d’abord des leviers dans leurs vignes, à commencer par maintenir la qualité des vins, marque de fabrique. 2024 n’aura pas été facile, entre gel, grêle et surtout pression sanitaire avec une humidité record depuis 1977. « Après deux années caniculaires, aux maturités galopantes », la maturité 2024 aura été à l’inverse « bloquée, hétérogène » comme en 2023 « en dehors des standards » qui ne semblent plus exister. Si cela pose des problèmes durant la campagne, cela pose aussi des soucis d’organisation des plannings des vendanges et de recrutement de vendangeurs pour les crémants notamment. « Même punition pour les vins tranquilles alors que tout le monde n’a pas la même notion du risque », avec des viticulteurs pour qui ce n’est « jamais foutu ou jamais pressé ». Sur ces semaines d’intenses enjeux, le bureau s’est réuni à 18 reprises « pour orchestrer, analyser, orienter les plannings… » en essayant d’être « objectif ». L’intérêt collectif n’est pas toujours compris et ce fut aussi le thème du séminaire hivernal qui s’est fixé comme objectif « d’obtenir toujours un vin d’appellation de qualité ». Des groupes de travail ont été lancés sur des sujets aussi variés que sur la « charge des pieds », les sols, la taille, le matériel végétal… et sur le recrutement de main-d’œuvre, à sécuriser encore et toujours. « Nous avons trouvé une troisième piste avec la Veuve Ambal et un prestataire sérieux », annonçait Marc Sangoy, ainsi que l’arrivée d’un nouvel œnologue passé, entre autres, par le Domaine Laroche à Chablis.
60 caves de Lugny rasées
Le directeur, Stéphane Garrigue faisait ensuite un retour, avec un angle différent encore pour bien finir de brosser la situation actuelle. Lui qui avait comparé le précédent exercice d’Alice au pays des merveilles, ne savait pas encore si le réveil sera « en douceur ou non », rajoutant à tous les défis précédemment cités, « la fatigue générale des consommateurs après des hausses de prix, montés à des niveaux jamais atteints », qui explique aussi le ralentissement sur le vrac. Tout ceci se fait dans un contexte de déconsommation générale. « On a baissé de 5 millions d’hl la consommation de vins, soit plus de 60 caves de Lugny disparue dans l’année », choquait-il pour que tout le monde prenne conscience de la rapidité. En France, ce chiffre est ramené à « quatre caves de Lugny » (-320.000 hl), avec une rupture générationnelle. Seul un jeune (en âge de) sur quatre déclare boire de l’alcool. Les ventes de Champagne ont chuté de -26 %... et pourtant, le « prosecco et crémants performent + 6 % » dans leurs bulles, offrant encore de « belles perspectives ».
Un prix de vente bouteille en hausse
Rien n’est donc fait et le directeur va « challenger » ses commerciaux, distributeurs et importateurs. « Les ventes sont plus erratiques mais nos commerciaux valorisent de plus en plus, avec un prix de vente bouteille qui a gagné un euro en moyenne, c’est considérable », les félicitait-il. L’export est toujours en croissance et représente près de 18,5 M€ de chiffre d’affaires réalisé dans 35 pays. Preuve que la politique commerciale fonctionne bien, l’Angleterre est en hausse, « à contrecourant » des autres, et le magasin de Lugny vise « la barre des 3 M€ l’an prochain ». Impossible cependant de savoir avec « Mickey le protectionniste », quels seront les flux et perturbations à venir. Outre, « la qualité, qualité, qualité » des raisins, à la cave et au chai, Stéphane Garrigue a fixé 6 enjeux dont celui d’accroître la notoriété de la cave, symbolisée par la refonte des étiquettes et du marketing, y compris de la marque L’Aurore pour redynamiser la GD. La cave avait d’ailleurs invité deux des principaux acheteurs vins de la Coopérative U (à lire dans une prochaine édition).
La notoriété, le groupe jeunes s’en occupe aussi en local avec « beaucoup d’événements » organisés tout au long de l’année et la tenue prochainement de la quatrième édition du festival « La tête dans le cep » (5 juillet) qui sera « plus pop et plus hétéroclite », invitait Quentin Luquet. Bien à l’image de la cave de Lugny donc.