Des visites structurantes
Dans le cadre de son Tour d’Europe consacré au budget pluriannuel de l’Union européenne, le commissaire européen Piotr Serafin a effectué une visite en France du 21 au 23 mai. Auparavant, la Ministre de l'Agriculture, élue du Doubs, avait préparé le terrain avec les responsables régionaux en Haute-Saône. Retour sur ces deux visites structurantes pour l'avenir.

Entre consultations politiques à Paris et immersion dans des projets financés par l’UE en Bourgogne-Franche-Comté, Piotr Serafin a échangé avec élus, entrepreneurs et agriculteurs pour mieux cerner les enjeux du futur budget européen. Sa visite sur une ferme laitière à Santans (Jura), accompagné de deux ministres, a clôturé son déplacement commencé à Paris où il avait notamment rencontré la maire de Paris et la ministre des comptes publics, liés aux budgets Européens, ainsi que de nombreux parlementaires.
L’après-midi du 23 mai donc, la délégation a visité une exploitation agricole pour discuter des enjeux du futur budget de la Pac et des défis du secteur agricole.
L’objectif de cette rencontre était de mettre en avant le côté vertueux des exploitations en polyculture-élevage, qui permettent une valorisation optimale des effluents d’élevage, la production locale des aliments du troupeau et un modèle agricole résilient. Le Gaec de la Leue, situé à Santans, va bénéficier d’environ 100.000 euros de fonds européens pour l’achat de deux robots de traite, un investissement de 470.000 euros permettant une modernisation essentielle du système laitier. L’exploitation en cultures et lait standard, est située en zone défavorisée, caractérisée par des terrains à la fois inondables et très séchants.
Frédéric Perrot, du Gaec de la Leue, a souligné que le recours à la robotisation était une réponse à la charge de main d’œuvre souvent importante dans les systèmes polyculture-élevage et une demande des jeunes générations.
L’importance des financements européens
Christophe Buchet, président de la FDSEA, a mis en avant l’importance des financements européens dans l’agriculture pour répondre à plusieurs défis : le maintien de l’élevage et son rôle central dans l’économie régionale ; la nécessité de soutenir les systèmes agricoles diversifiés et résilients ; le besoin d’aides pour garantir la pérennité des exploitations laitières ; l’accompagnement des aspects productifs, mais aussi à travers le 2ème pilier de la Pac, l’accompagnement d’une politique de développement importante, par exemple la politique ICHN, qui permet l’installation d’agriculteurs.
La FDSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) ont rappelé la nécessité de maintenir un budget agricole solide, indispensable pour assurer la souveraineté alimentaire des Européens et permettre aux jeunes générations de s’installer et de relever les défis à venir.
Christophe Buchet a également alerté sur les retards de versements des aides européennes par la Région (crise des fonds Feader depuis 2023, N.D.L.R.), qui contraignent les exploitants à financer eux-mêmes leurs investissements en attendant les subventions. Un fait que le commissaire européen n’appréhendait pas forcemment.
Priorité à la souveraineté alimentaire
Benjamin Haddad, ministre chargé de l’Europe, a réaffirmé son engagement à défendre le budget de la Pac et à préserver les deux piliers essentiels pour garantir les revenus agricoles. « Dans ce budget de la Pac qui est en train de se négocier, les priorités de la France sont la souveraineté alimentaire et la simplification de l'accès au fonds européens en général ». Il insistait compte tenu du contexte géopolitique et climatique incertain.
Lors des discussions, Piotr Serafin s’est dit touché par cette rencontre et a assuré qu’il tiendrait compte des échanges dans les discussions sur le futur cadre de la Pac. « Bien que des visions différentes puissent exister », admet le représentant européen, il a insisté sur « la volonté commune d’assurer la prospérité de la production agricole en Europe ».
Frédéric Perrot, agriculteur du Gaec, a quant à lui mis en avant l’importance du dialogue permanent entre les acteurs de terrain et les décideurs européens, ainsi que l’importance de ce type de visite dans de petites communes pour mieux comprendre les réalités du secteur agricole.
Piotr Serafin sur l’évolution du budget de l’Europe

« La politique agricole ne s’appuiera plus sur un plan unique, mais sur des plans nationaux et régionaux. Ce sont des fonds de développement rural. Je sais que l’on ne va pas avoir davantage d’argent pour l’agriculture, c’est le problème. Maintenant la question est de savoir si, en mettant la politique de développement rural avec la politique de cohésion (économique, sociale et territoriale) et en donnant davantage de flexibilité aux régions des États membres, c’est une opportunité pour le développement rural d’obtenir davantage de fonds grâce aux décisions du gouvernement et des régions. C’est l’une des réflexions actuelles de la Commission européenne. Si l’on garde la Pac séparée, comme vous le souhaitez, ce sera une part dans le budget et c’est tout. Mais si c’est ensemble, (dans un budget global), et que l’on a de la flexibilité, nous pouvons alors parler de garantie avec Hansen (le commissaire à l’agriculture et à l’alimentation), que ce ne soit pas moins pour l’agriculture et donner une possibilité d’augmenter le budget. C’est le débat actuel ».
Ministre de l'Agriculture : L’épineux dossier « loup »
Le 9 mai dernier, au Gaec du Pré Charmant dans le hameau de Communailles, à Fougerolles (Haute-Saône), Annie Genevard a longuement échangé avec son hôte, Nicolas Lemercier, ainsi qu’avec les responsables agricoles : au sujet des conséquences du désengagement de Lactalis dans les Vosges Saônoises, mais aussi de la pression de prédation, et les impatiences vis-à-vis du projet de loi visant à alléger les contraintes en agriculture.

Annie Genevard était en visite officielle en Haute-Saône, du côté de Fougerolles, le 9 mai dernier. Elle a passé une bonne partie de la matinée dans une exploitation laitière, le Gaec du Pré Charmant, qui n’avait pas été choisie au hasard : le Gaec fait partie de ceux dont l’entreprise Lactalis a décidé de se séparer brutalement en septembre dernier, pour optimiser ses coûts de production. Nicolas Lemercier, qui a symboliquement déboulonné le panneau l’identifiant comme « producteur Lactalis » sous les yeux de la Ministre, a exposé les conséquences concrètes de la défection du numéro un mondial. « Nous suivons attentivement ce dossier, l’a assuré la Ministre, qui rencontre régulièrement à ce sujet les dirigeants de la FNPL : je salue le gros travail des producteurs, et de leurs organisations syndicales pour trouver des solutions collectives, leur réactivité et leur souci de solidarité pour que personne ne reste sur le carreau. Nous sommes heureusement dans un contexte favorable avec une demande de lait supérieure à l’offre. Même si la dynamique est à l’œuvre, c’est plus compliqué pour des fermes isolées, avec des petites références », a-t-elle reconnu.
« Nous sommes dans une zone difficile, une zone montagneuse, avec des coûts de collecte du lait plus élevé… nous voudrions des aides pour conforter les entreprises coopératives qui ont accepté de jouer le jeu et de reprendre les producteurs abandonnés par Lactalis en bloc, sans faire leur marché en ne gardant que les plus intéressants pour eux », a insisté Michael Muhlematter, le président de la Chambre d’agriculture de Haute-Saône, lui-même producteur de lait et très impliqué dans le volet syndical du dossier. « La collecte, le renouvellement des tanks à lait qui pour parties ne répondront pas aux prochaines normes, et enfin l’investissement : voilà trois sujets où nous demandons le soutien de l’Etat. »
Du nouveau pour tirer les loups
Annie Genevard a semblé sensible à tous ces arguments, et a témoigné de son attachement aux fermes familiales, pratiquant la polyculture-élevage. Un modèle vertueux, certes, en proie néanmoins à un risque de prédation qui compromet sa pérennité, comme l’a rappelé Emmanuel Aebischer, le président de la FDSEA de Haute-Saône. Il déplore en particulier l’inertie préfectorale face à une vague d’attaques de loup sur les troupeaux ovins et bovins du nord du département, depuis l’automne dernier, et qui reprend ce printemps. À l'image de la Saône-et-Loire et de plus en plus de départements. À ce sujet, la ministre de l’Agriculture s’est voulue optimiste, annonçant du nouveau pour les prochaines semaines. « Attention, je ne remets pas en cause la protection de l’espèce, a-t-elle pris la précaution de déclarer préalablement : députée d’un territoire d’élevage qui est confronté à des attaques de loups dévastatrices - qui compromettent l’équilibre économique des exploitations et l’équilibre psychologique des éleveurs et de leurs familles - je suis très sensible à cette question sur laquelle je travaille depuis longtemps, notamment avec l’Association nationale des élus de montagne. Nous élaborons un nouveau plan loup qui permettra une meilleure coexistence, avec un décret actuellement en consultation pour autoriser les tirs de défense simple, même en l’absence d’attaque, dès lors que la démonstration a été faite de la non-protégeabilité des élevages de la zone concernée. Par ailleurs, l’OFB a inauguré dernièrement une nouvelle méthode de comptage, qui va désormais s’appuyer sur l’identification des individus par leur ADN, ce qui j’espère sera plus fiable pour quantifier les populations et éliminer les loups problématiques ».
Assouplissement des tirs de défense
À la fin du mois de mai, le gouvernement a en effet permis aux éleveurs bovins d’opérer des tirs de défense contre les loups pour protéger leur troupeau même lorsque celui-ci n’aura pas été déjà attaqué, un nouvel assouplissement avant le déclassement de l’espèce, a annoncé le 28 mai la ministre de l’Agriculture Annie Genevard. Au Sénat, la ministre a annoncé la mise en consultation d’un arrêté jusqu’au 10 juin, qu’elle signera avec son homologue de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher. Ce texte « permettra de pouvoir opérer des tirs, dans les espaces où les troupeaux sont menacés, même lorsqu’il n’y aura pas (eu) d’attaque pour qu’on entre vraiment dans une logique de régulation », a-t-elle déclaré. Auparavant, le troupeau devait avoir été attaqué au moins une fois dans les 12 derniers mois. Cet arrêté viendra en application de la LOA qui prévoit que « compte tenu de l’absence de moyens de prévention efficaces disponibles, des tirs contre les loups peuvent être autorisés pour la protection des troupeaux de bovins, d’équins et d’asins (ânes), sous réserve que des démarches en matière de réduction de la vulnérabilité de ces troupeaux aient été engagées par les éleveurs ».
En parallèle, au début du mois de mai, le 8, réuni en session plénière à Strasbourg, les députés européens ont largement voté (371 voix pour, 162 contre et 37 abstentions) pour la proposition de la Commission européenne visant à modifier le statut de protection du loup en le faisant passer de «strictement protégé» à «protégé». Le 3 décembre 2024, le Comité permanent de la Convention de Berne avait décidé d’assouplir le statut du loup, puis le 16 avril dernier, le Conseil de l’Union européenne avait validé le 16 avril la proposition de la Commission sur ce déclassement. Après la publication du texte du déclassement au journal officiel européen, les Etats membres auront 18 mois pour le transposer dans leur législation nationale. La population lupine a fortement progressé en un peu plus de dix ans, passant de 11.200 individus (2012) à 20.300 (2023).
La Maison du Comté, un projet soutenu par l’Europe
Le commissaire européen Piotr Serafin, le ministre chargé de l’Europe et la ministre de l’Agriculture ont visité la Maison du Comté.

Au cours du premier semestre 2025, le commissaire au budget, Piotr Serafin, sillonne l'Union européenne pour consulter les décideurs, les régions, les citoyens, les entreprises concernées sur le budget de l'UE. Ces déplacements comprennent des visites de nombreux projets financés par l'UE dans des domaines variés, de l'éducation à la recherche, de la défense à l'agriculture, etc.
Synergie avec le tourisme et les territoires
Vendredi 23 mai, le commissaire européen, accompagné du ministre chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, et de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a visité la Maison du Comté à Poligny, guidé par Alain Mathieu président du CIGC et les membres du conseil d’administration.
Ces derniers ont pu présenter la filière Comté et ses enjeux, l'accompagnement de l'Europe pour le financement de la Maison du Comté (184 000 euros au titre du Feader) ainsi que le programme triennal de promotion conjointe avec l'interprofession des Côtes du Rhône aux États-Unis et les bénéfices que génèrent cet accompagnement pour la dynamique de notre territoire.
« Cette aide accordée à la Maison du Comté bénéficie à l’ensemble de la filière mais aussi aux acteurs de la ruralité et du tourisme avec 50 000 visiteurs par an », souligne Alain Mathieu espérant plus généralement que « l’Europe continuera à accompagner les agriculteurs sur le long terme pour susciter le désir des jeunes de s’installer ».
Annie Genevard : « une Europe puissante »
La ministre de l’Agriculture a rappelé l’importance de promouvoir une souveraineté européenne, essentielle au moment où commencent les négociations pour le budget. « Cette phase de négociation qui va s'ouvrir en juillet est très sensible, c’est pourquoi il est important de recevoir le commissaire Serafin. Nous voulons une Europe qui investit, qui s'affirme comme une puissance, mais qui développe aussi sa souveraineté alimentaire. Nous devons maintenir une position commune sur ces enjeux, notamment face à l’offensive des droits de douane américains et le contexte international. »
Concernant le budget de la PAC, dont la France est le premier bénéficiaire avec 10 milliards d’euros, la ministre répète « son attachement à un budget autonome, suffisant et dédié à l'agriculture ».
« J’appelle à une PAC ambitieuse, à simplifier la vie de nos agriculteurs. Une PAC qui soutient aussi le milieu rural, dans le Massif du Jura cette notion a de l’importance. »
Un trésor à protéger
Face aux attaques récentes contre le comté, Annie Genevard a bien-sûr réaffirmé son soutien à la filière : « Selon une étude de WWF, le comté est reconnu comme un des fromages les plus respectueux au monde en matière d'environnement. De plus vous avez su construire une chaîne de valeur qui reste sur le territoire : une organisation, une solidarité et la source d'un revenu. Un trésor qu'il nous faut protéger ! »
S’adapter à la compétition internationale
Après avoir rencontré les acteurs de la filière, le commissaire européen a exprimé sa « grande satisfaction » et l’importance de ces visites qui ont un double objectif : vérifier l’utilisation des financements européens mais aussi discuter des futures structures de l’Europe. « Nous devons trouver les moyens d’adapter les budgets européens à de nouveaux enjeux : la défense et la compétitivité. Nous devons également tenir compte de la réticence des Etats membres à augmenter le budget car il y a la dette. Tout en trouvant les moyens de conserver les politiques communes essentielles comme la PAC. »
IR