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Michel Baldassini

Être partout « irréprochable »

Michel Baldassini aura marqué de son empreinte l’histoire viticole bourguignonne. Après vingt années passées à la tête de la première cave coopérative de la région, après dix années à la présidence alternée de l’Interprofession (BIVB), et avec nombre d’autres engagements (syndicalisme, mairie…), c’est un homme passionné par le monde du vin qui tire progressivement sa révérence et laisse sa place sereinement à ses successeurs.
Par Publié par Cédric Michelin
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Fils de parents polyculteurs et viticulteurs à Cruzille, après des études secondaires à Mâcon, puis au lycée viticole de Beaune, conclues par l’obtention de son BTS Viti-œno en 1969 (troisième promotion), le jeune Michel Baldassini retourne sur l’exploitation familiale à l’âge de 21 ans, sans l’aide de son père, décédé alors qu’il n’avait que 16 ans. Avec 6 ha de vignes et 20 ha de polyculture-élevage, et alors que le vin se vendait « très mal », il s’installe en 1971 pour ne connaître « que la galère » jusqu’en 1975. Il envisage alors même un temps d’arrêter. En plein doute sur les orientations à prendre, c’est l’année d’après que sa mère, encore associée, part en pré-retraite pour lui laisser la pleine maîtrise de l’exploitation. A l’âge de 26 ans, le voilà volant de ses propres ailes. « J’ai rapidement pris l’habitude d’endosser des responsabilités, en commençant par la gestion de deux ouvriers ». Une situation peu commune à l’époque.

Années 80 : « une décennie en or »


« A partir de 1976, la situation économique a radicalement changé », se souvient-il. La pièce de mâcon-village passe alors de 400 francs en 1975 à 800 francs en 1976, puis à 1.700 francs en 1977 et même à 3.000 francs en 1978 avec l’ouverture des marchés exports, tirés par la demande américaine et anglaise en chardonnay. Il décide alors de replanter des vignes. « Au lendemain des vendanges 76, je me suis mis à planter des vignes. Beaucoup, pendant dix ans ».
« Une décennie en or », pour le Mâconnais tout entier. Au début du virage des années 1990, l’exploitation comprend 20 ha de vignes et s’est spécialisée. Les vendanges sont livrées à la cave coopérative de Lugny.
A 25 ans, Michel Baldassini intègre le conseil d’administration de la cave de Lugny-Saint-Gengoux, laquelle produit 50.000 hectolitres (en 1974), avec plutôt des vins blancs à Lugny et davantage de vins rouges sur le chai voisin. Avec la hausse des cours, Maurice Vincent, puis Charles Jousseau, présidents successifs, sans oublier Paul Brunet, le directeur, la cave « s’agrandit à grande vitesse » : bâtiments et chaînes d’embouteillage, nouveaux chais de vinification, construction de bureaux et du magasin de vente… En 1979, Michel Baldassini est élu vice-président auprès de Maurice Vincent puis de Charles Jousseau en 1981. Ces trois hommes deviennent « très proches ». En 1991, Charles Jousseau le prépare « à reprendre le flambeau ».

Créer « une bonne entente »


Cependant, ses débuts seront plus compliqués. La guerre du Golfe stoppera « brutalement » l’économie mondiale et plongera le monde du vin dans la crise. En janvier 1993, la situation oblige même à mettre une partie du personnel de la cave au chômage technique. Les investissements sur la cave voisine de Chardonnay créent « un vent de panique », « alors qu’avec le recul, l’économie est repartie derrière ». Néanmoins, les pouvoirs publics « poussent » pour une fusion entre les deux entités, fusion finalisée en 1994. Avec un périmètre de 21 communes et 35 membres (30+5) au conseil d’administration, « les affaires de chasse, de politique, de clochers… ne sont pas à l’ordre du jour », sourit Michel Baldassini qui, visiblement, a dû lutter en interne pour créer et maintenir « une bonne entente naturelle » comme après le "mariage" réussi des deux premiers chais (1966).

Stabiliser les marchés


En 1994-95, la « reprise » des marchés se fait progressivement et la fin de la décennie sera « assez faste ». Il faut dire que la coopérative s’était bien équipée pour. « L’accent a été mis sur les crémants » offrant « toujours une lumière d’espoir » avec la partie commerciale "bouteilles".
Débute le nouveau millénaire. « Depuis, c’est difficile avec les crises économiques et les cours stagnent ». Des chutes de production ponctuelles compliquent parfois la donne. « Cela n’a pas été une partie de plaisir, avec toujours un œil sur les stocks ». Car la cave est leader et influence fortement le marché du vrac mâconnais. « Lorsqu’on stockait, on accentuait la baisse des cours. Malgré tout, on a tenu bon : stable », analyse Michel Baldassini. La démographie l’a moins été. Les exploitations ont changé et ont « augmenté les surfaces : de 8 ha vers 15 ha » en moyenne.

Pas un seul départ !


En 2012, lorsqu’il quitte la présidence de la cave de Lugny, Michel Baldassini peut mesurer le travail accompli. La cave est présente sur 1.500 ha et dépasse les 100.000 hl de vins produits annuellement. « Surtout, je n’ai pas connu de départ », preuve indéniable que l’outil coopératif fonctionnait et qu’il a su s’adapter pour satisfaire ses adhérents.
Le fruit d’une gestion « saine » aussi, « n’ayant jamais eu besoin de contracter un prêt à court terme pour payer les coopérateurs ». Au départ avec Paul Brunet et, depuis 1998, avec Edouard Cassanet en tant que directeur, « toujours bien conseillés » par Evelyne Sandrin, la directrice financière, la cave a « toujours eu une trésorerie positive ».

Négoces et bouteilles en confiance


En l’espace de 35 ans, la progression des ventes bouteilles en France et à l’export ont permis d’atteindre la moitié des volumes totaux, avec en tête de pont, le mâcon-lugny "Les Charmes". Un développement équilibré qui s’est fait avec la confiance de « fidèles négociants ». « Nous avons des contrats moraux particuliers avec les maisons Latour, Bouchard, Dubœuf et Jadot (à travers la Maison Loron & fils) à qui nous assurons des volumes et qui, pour certains, n’achètent que chez nous leurs productions de mâcon ». Une force de vente variée et intelligente qui va jusqu’aux lieux-dits. Si la cave garde la totalité de la commercialisation des 7.000 hl des "Charmes", les partenariats exclusifs pour "Les Genièvres" avec Latour (6.500 hl), "Saint-Pierre" pour Bouchard (2.500 hl) ont « toujours été respectés depuis 25 ans et tout le monde s’y retrouve », se félicite Michel Baldassini. Et ce, en dépit des changements à la tête de ces « belles maisons » ou des crises successives.

« Ne pas mélanger les genres »


Des relations qui lui ont forcément servi à Beaune au BIVB où "le deuxième président", Pierre-Henri Gagey, n’a eu de cesse de louer son travail à l’Interprofession « en bonne intelligence » avec la famille des négociants.
Secrétaire général pendant neuf années de la Fédération viticole de Saône-et-Loire, et logiquement pressenti pour en prendre la présidence en 1992, Michel Baldassini a néanmoins préféré « ne pas mélanger les genres », qui l’aurait certainement amener à devoir « affronter le négoce » s’il en avait accepté la présidence, après Jean Vachet.
L’histoire lui donne raison, tant commercialement que politiquement. Mais également techniquement puisque, avec le négoce : « on a des métiers qui se rejoignent, se croisent. Chaque famille comprend de mieux en mieux les problématiques de l’autre », analyse-t-il.

Faire participer les adhérents


En laissant la présidence de la cave en 2012, Michel Baldassini est parti avec le sentiment de laisser un « outil très structuré » derrière lui. Néanmoins, son ombre traine encore - et pour longtemps à coup sûr - dans les couloirs, les vignes et les chais. Il est difficile de quitter d’un jour à l’autre « cette belle aventure humaine », reconnaît-il.
Son seul véritable regret reste le revenu des coopérateurs qu’il aurait voulu voir « supérieur », « vu le niveau qualitatif des vins qui a augmenté grâce à la montée en compétences » techniques de tous. Avec un clin d’œil tout particulier pour Luc Dubreuil, le responsable Qualité de la cave, tout comme les œnologues Bernard et Laurent Champin, et aujourd’hui Grégoire Pissot. Le suivi qualitatif et le paiement différencié sur une même AOC institué depuis dix ans ne furent pas chose aisée à faire accepter, mais, « bien épaulé par des administrateurs de qualité et motivés, je me suis en permanence efforcé de faire participer les adhérents pour que les idées viennent principalement d’eux ». Ce travail collectif continu de payer…



« En 1989, j’hésitais à me lancer en politique »


Entré au bureau de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire en 1989 et au BIVB depuis 2003, Michel Baldassini est un "monstre" politique… viticole bien sûr mais pas que. Explications...


« Si je n’avais pas été à la tête de la cave, je n’aurais pas été élu au BIVB. Ce fut un tremplin. Il faut avoir un certain sens politique pour réussir à fédérer trois départements et deux familles. En ayant été vice-président de la chambre d’agriculture durant douze ans et secrétaire général de la FDSEA durant six ans, je connaissais bien tous les milieux professionnels. Le fait d’avoir passé une partie de ma jeunesse en Côte-d’Or m’a aussi permis de retrouver nombre de collègues de promotion dans le milieu du vin.


J’aimais et j’aime toujours ce monde du vin. En 1989, alors élu maire de Cruzille, on est venu me solliciter pour m’engager en politique. Mais mon choix fut vite fait. Je décidais de me consacrer entièrement aux responsabilités professionnelles. Bien sûr, rien n’aurait été possible sans le soutien de ma femme, Françoise. J’ai eu la chance aussi de pouvoir compter sur de bons ouvriers qui, pendant vingt ans, ont contribué à la fierté et à la richesse de mon exploitation. Je ne voulais surtout pas que l’exploitation pâtisse de mes mandats. Mes références étaient les exploitations de mes prédécesseurs, Maurice Vincent et Charles Jousseau. Elles sont encore parmi les plus belles de la région. En tant que président de cave, lorsqu’on est amené à faire des remarques devant son conseil, il faut être irréprochable chez soi
».




La coopération du futur : un esprit plus qu’un outil commun ?


« Mon seul regret personnel aura été de ne pas avoir monté une plus grosse exploitation. Je suis passé à côté d’opportunités par manque de temps. Je constate d’ailleurs, inexorablement, un changement de l’adhérent coopérateur. Et cela va vite ! Ce sont de plus en plus de grosses structures. Ce qui peut être dangereux pour la coopérative par la suite puisque elle était faite historiquement de petites entités avec peu de moyens. Après les plus de 1.000 hl/an, c’est le club des 2.000 à 3.000 hl/an qui explose. Nous n’avons donc plus à faire au même type de sociétariat. Dorénavant, ils ont la possibilité d’être en pointe techniquement comme n’importe quelle entreprise. Sans vouloir et pouvoir revenir dessus, ce sera un passage obligé à négocier. L’esprit coopératif - très ancré dans le Mâconnais – est et doit rester une "symbiose de copains" qui se côtoient et qui se parlent de leurs problèmes communs le soir ».


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