Fromages fermiers
Dédramatiser les alertes sanitaires sur les fromages fermiers

Marc Labille
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Fin janvier, le syndicat caprin de Saône-et-Loire et la FDSEA ont voulu dédramatiser les alertes sanitaires liées à la listéria. Inévitables quand on transforme du lait cru, il faut apprendre à les gérer efficacement.

Dédramatiser les alertes sanitaires sur les fromages fermiers
Face à une alerte listéria, la première chose à faire est d’appeler immédiatement la DDPP et de se faire accompagner par les techniciens compétents.

Chaque année, deux à trois producteurs de fromages de chèvres fermiers de la région sont confrontés à une contamination à la listéria. Et une recrudescence de ces cas a été constatée en 2021, année marquée par une mauvaise qualité des fourrages. Ces contaminations sont mal vécues par les éleveurs qui se voient du jour au lendemain obligés de retirer leur production de la vente. Les obligations règlementaires sont strictes et la résolution du problème éprouvante sans oublier l’impact sur la clientèle. Mais dans un métier « où l’on travaille avec du vivant, cela peut arriver à tout le monde », rappelle Jean-Philippe Bonnefoy, président du syndicat caprin de Saône-et-Loire. « Ce risque existe et il faut savoir l’anticiper en s’y préparant au mieux », estime-t-il. Face à un aléa qui n’épargne pas non plus les industriels ni la grande distribution, le mot d’ordre est : « dédramatiser ». Et c’est dans ce but qu’avec le concours de la FDSEA de Saône-et-Loire, le syndicat caprin organisait à Charolles le 27 janvier dernier une rencontre sur le sujet entre producteurs et experts.

Responsabilité du producteur

En cas d’alerte sanitaire de type listéria ou salmonelle survenant sur un produit, la loi désigne la responsabilité des producteurs qui ont pour obligation de « ne pas mettre sur le marché des denrées dangereuses ou susceptibles de l’être », informait Virgile Pizard de la DDPP 71. Si l’alerte porte sur un produit appartenant à un lot, alors tout le lot est considéré dangereux. Et l’alerte peut être provoquée y compris par des revendeurs qui effectuent eux-mêmes des analyses en auto-contrôle, indiquait le représentant de l’administration. 

Un certain nombre d’obligations s’imposent au producteur concerné par l’alerte. Il est tenu « d’appeler la DDPP et de lui dire ce qu’il fait pour prévenir tout risque pour le consommateur ». À partir du moment où des produits commercialisés sont concernés par un autocontrôle positif, le producteur est tenu de retirer ces lots de la vente, d’en avertir les magasins, de rappeler les lots chez les consommateurs et de les en informer. Dans tous les cas, « vous nous appelez ! », martèle Virgile Pizard. Et le représentant de l’administration d’insister sur la nécessité de « bien tout nous dire ». Vouloir minimiser ou cacher des choses n’a aucun sens en effet, car à partir de l’instant où la contamination est connue, la seule issue est de trouver son origine. « C’est une démarche scientifique », confie Virgile Pizard qui ajoute l’importance d’être accompagné dans ce travail d’investigation. Un véritable contre-la-montre dans lequel il ne faut ni perdre de temps ni commettre d’impair. 

« Il ne faut surtout pas rester seul »

Un guide de gestion des alertes existe de même qu’un document « Cerfa » est à renseigner sur le site de la DDPP. Il y a aussi le site « rappel.conso.gouv.fr » sur lequel il est même recommandé de se pré-inscrire, informe Virgile Pizard. 

En Saône-et-Loire, les producteurs peuvent compter sur un accompagnement particulièrement réactif et compétent. Outre la DDPP, interviennent : Guillemette Allut, experte chargée de développement à l’EPL de Davayé ; Ludivine Perrachon du GDS de Saône-et-Loire ; la Chambre d’agriculture… « Il ne faut surtout pas rester seul », répète Jean-Philippe Bonnefoy. Face à une contamination, les investigations portent sur la machine à traire, la litière des animaux, les chèvres elles-mêmes… Les sources de contamination peuvent être l’abreuvement, les eaux de pluie ou de source, les fourrages fermentés… Des avortements peuvent être un signe révélateur, indique Ludivine Perrachon. L’état des machines à traire et la qualité du nettoyage de celle-ci constituent une des sources fréquentes de contamination, indique Samuel Rocher de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire (lire encadré). 

Pour être mieux armé pour appréhender ces problèmes sanitaires, Jean-Philippe Bonnefoy recommande la formation au Guide des Bonnes Pratiques d’Hygiène qui comprend un plan de maitrise sanitaire. Ce dernier amène à « un véritable tour d’horizon de son élevage ; la mise en évidence des points critiques… Une meilleure connaissance de son outil qui donne des clés en cas de pépin sanitaire et des solutions pour savoir comment faire ».

Pendant la crise sanitaire, les éleveurs ont la possibilité de pasteuriser leur lait. De même, ce lait peut être vendu à une laiterie qui est équipée d’un pasteurisateur, indique Virgile Pizard.

Réponse collective

Le GDS de Saône-et-Loire a créé une cotisation « lait cru » pour aider les éleveurs concernés. La question des assurances est aussi soulevée. « Il existe des contrats qui peuvent prendre partiellement les coûts en cas d'alerte. Il faut solliciter vos assureurs si vous voulez couvrir ce risque tout en connaissant les limites des prises en charges », conseille Jean-Philippe Bonnefoy. Face à la listéria et à tous les autres germes qui peuvent mettre en difficulté un producteur fermier (salmonelle, staphylocoque, pseudomonas…), il faut une réponse collective, estime le président du syndicat caprin. 

L’enjeu est aussi la sauvegarde de l’usage du lait cru. En effet, ces alertes sanitaires qui émeuvent les médias et les consommateurs font peser un risque sur l’avenir du lait cru. Au-delà de la richesse organoleptique dont il est à l’origine, le lait cru a un intérêt en santé publique, rappelle Jean-Philippe Bonnefoy qui évoque la diversité de la flore naturelle du lait, laquelle est connue pour prévenir les allergies.

 

 

Du bon contrôle des machines à traire et de leur nettoyage

La machine à traire est souvent à l’origine de la contamination et son état ou des réglages inadaptés en sont les causes fréquentes. Un contrôle de ces machines s’impose. Pour ce faire, il existe toute une gamme de contrôle et audits. « Optitraite » est un contrôle régulier pour tous les types de machines à traire. Il est recommandé tous les ans et au maximum tous les 15 mois, indique Samuel Rocher de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire qui ajoute qu’il est obligatoire dans le cadre des aides Pac. « Certitraite » est un contrôle de conformité de montage et de réglage pour les installations neuves. Volontaire, ce contrôle est fortement recommandé, y compris pour le matériel d’occasion ou rénové. « Même flambant neuve, une salle de traite nécessite toujours quelques corrections de réglages », indique le conseiller. « Dépostraite » est un contrôle des systèmes de décrochage automatique. Quant à "Net traite", il consiste en un contrôle du dispositif de nettoyage des salles de traite. Un nettoyage qui doit être surveillé de près dans un élevage fromager. « Les problèmes les plus fréquents concernent les températures d’eaux de lavage, la qualité des produits (type de produits, dosage, etc.). L’état des différentes pièces de caoutchoucs composant la machine à traite est aussi souvent en cause. En Saône-et-Loire, 105 contrôles annuels Optitraite sont réalisés dans des élevages caprins », indique Samuel Rocher. Ce qui assez peu au regard du nombre total d’élevages.

« Les clients ont apprécié qu’on leur dise la vérité »

« Le résultat est tombé le vendredi à 13 h. C’est le laboratoire qui nous a appelés directement. En dix ans de production, cela ne nous était jamais arrivé », raconte Jennifer Devillard du Gaec des Frouges à Dompierre-les-Ormes. La crise a duré trois semaines pendant lesquelles la vente des fromages était interrompue. Passé la stupeur du premier jour, « tout a été contrôlé de A à Z », raconte la jeune femme. Pour découvrir au final que l’origine provenait d’une seule des 170 chèvres du troupeau, laquelle s’était contaminée en s’abreuvant dans une source infectée dans un pré. « Nous avons dû jeter tous nos fromages », confie l’éleveuse qui n’était pas assurée pour ce risque. Le coût d’une telle assurance était dissuasif, ajoute-t-elle. Heureusement, le Gaec des Frouges a rapidement retrouvé sa clientèle. « Les clients ont apprécié qu’on leur dise la vérité », confie Jennifer Devillard.

« L’affaire nous a coûté entre 15 et 18.000 € »

À Chissey-les-Mâcon, à la Chèvrerie de la Trufière, c’est un samedi vers midi qu’un message est tombé enjoignant de rappeler le laboratoire le lundi. Les investigations se sont alors enchaînées pendant six semaines : d’abord test au lait UHT puis analyses de lait des chèvres (1.400 échantillons !). Après des recherches infructueuses, l’enquête a finalement révélé que le problème était au niveau de la machine à traire, raconte Sylvain Chopin. Contrôlée régulièrement, la machine était pourtant bien démontée tous les ans pendant le tarissement du troupeau, mais certaines pièces censées être remplacées tous les ans dataient de 1996 ! Caoutchoucs, coupelles, joints de sonde, manchons… : le Gaec a remplacé pour près de 4.000 € de pièces de rechange. « Nous avons effectué pour 2.000 € d’analyses par semaine pendant un mois », compte Sylvain Chopin. Au total, « l’affaire nous a coûté entre 15 et 18.000 € en comptant les fromages jetés et toutes les analyses ». Dans cette mésaventure, l’éleveur apprécie de s’être vu prêter gracieusement un pasteurisateur par un fournisseur de la région. « Ça nous a sauvés », estime-t-il. Autre précieux réconfort, celui des clients qui ont continué d’acheter des fromages au lait pasteurisés et dont le soutien ne s’est jamais démenti.