Sites clunisiens
La candidature d’une identité commune

Françoise Thomas
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Le premier salon des vins clunisiens, qui s’est déroulé le samedi 12 novembre, fait partie de toute une démarche visant à réunir dans une même dynamique un maximum de sites du réseau clunisien, en premier lieu duquel le Clunisois. Avec, en ligne de mire, la candidature au patrimoine de l’Unesco…

La candidature d’une identité commune
Marie Fauvet, maire de Cluny, Thomas Chevalier, directeur office de tourisme Cluny Sud Bourgogne, Jean-Luc Delpeuch, président Communauté de Communes du Clunisois et Christophe Voros, directeur Fédération européenne des sites clunisiens.

Le premier salon des vins clunisiens est un bon test pour mesurer l’adhésion et le dynamisme autour d’une identité commune issue de l’Abbaye de Cluny. « On dénombre près de 2.000 sites partout en Europe », rappelle Jean-Luc Delpeuch. Autant de sites « porteurs d’une idée novatrice de l’Europe », témoignant que l’Abbaye de Cluny était « promotrice de la culture des vignes et du vin, permettant ainsi de les développer partout en Europe ».

Mi-décembre 2022, douze exposants venant de dix sites clunisiens différents ont répondu présents pour participer à ce premier salon des vins « ravis de pouvoir associer ainsi directement leur vin au nom de Cluny ». Une sur-étiquette a d’ailleurs été apposée sur chaque bouteille pour rappeler cette identité commune. « Beaucoup d’éléments de cette première édition sont conduits à titre expérimental, explique Marie Fauvet, la maire de Cluny. Mais le logo de Cluny symbolisant les clés de Saint-Pierre pourrait un jour en effet servir d’identifiant commun à tous ces vins ».

Une identité fédératrice

Toujours est-il que ce salon entre dans la dynamique de la candidature un jour des sites clunisiens au patrimoine de l’Unesco. Une démarche entamée depuis 2018 et qui souhaite fédérer un maximum de sites de l’ancienne abbaye correspondant toujours à l’identité de Cluny, "un ensemble reconnaissable de bâtiments et de lieux avec leur propre typologie et signification" comme le rappelle l’intitulé officiel de la candidature "dans lequel se manifeste un univers culturel et symbolique spécifique qui a contribué, fondamentalement, à la construction de l’Europe médiévale et moderne".
C’est ainsi véritablement le côté patrimonial et historique qui sera mis en avant et recherché à travers cette candidature.

Pour Marie Fauvet, la maire de Cluny, il convient également de « relativiser les retombées économiques et touristiques de cette candidature qui est avant tout une démarche de protection et de gestion du patrimoine culturel ».

Si le label est obtenu, cela permettra surtout de « montrer tout ce qu’il y a autour de Cluny, et qui s’étend dans l’Europe entière », tient à illustrer Thomas Chevalier, le directeur de l’office de tourisme Cluny Sud Bourgogne, « on recherche un label qualité, poursuit-il, et Cluny étant reconnu à l’échelle mondiale, beaucoup de personnes pensent que nous sommes déjà inscrits au patrimoine mondial ».

Une identité reconnue

Pour Jean-Luc Delpeuch, « cette forte composante sociale n’est pas qu’architecturale, mais fait déjà communauté et rassemble ». Ainsi, cette candidature intéresse les habitants et les viticulteurs notamment qui voient là « l’occasion de se faire connaître d’une autre manière ». Cette candidature « ne va absolument pas découler sur un cahier des charges ou une volonté de normaliser les vins », rien ne va changer techniquement pour eux, « ils ont déjà consenti à beaucoup de contraintes » reconnaissent les membres de la délégation. Aussi, ils voient plus là « l’opportunité en tant que viticulteur de pouvoir associer leur nom à Cluny ». Lors de la conférence d’Edward Steeves, « beaucoup de viticulteurs présents ont découvert le dossier de la candidature à ce moment-là, il y a tout de suite eu un bon accueil », relate Marie Fauvet.

Pour l’heure, 107 sites de dix pays, dont la Turquie, se sont engagés dans la candidature Unesco. L’année 2023 va être marquée par un ensemble de réunions techniques regroupant les représentants des sites candidats et des experts de l’Unesco et rappelant les valeurs recherchées.

Un soutien direct au patrimoine

La vente de charité qui a été organisée en parallèle du salon avait pour but de récolter des fonds pour financer des travaux de rénovation. Dix-sept lots ont été proposés aux enchères et ont permis de récolter 3.016 €. Le produit de cette première vente de charité sera consacré à la restauration des décors sculptés en albâtre du palais Jacques d’Amboise, actuel Hôtel de Ville de Cluny. « On peut espérer que cela va monter en puissance et que le succès de cette première édition va permettre de renouveler l’opération, voire qu’elle sera déclinée ailleurs, dans d’autres lieux du réseau clunisiens », présente Christophe Voros, le directeur de la fédération européenne des sites clunisiens. Toujours dans le but donc, comme ce qui est recherché à travers cette candidature, de participer à la préservation des bâtiments et richesse patrimoniale des sites.

Des vignes et des vins millénaires
Edward Steeves a participé à la vente aux enchères, conduite par le commissaire-priseur Étienne de Baecque. © Guillaume Pommier.

Des vignes et des vins millénaires

En amont du 1er salon des vins clunisiens, Edward Steeves a proposé une conférence sur le thème des "vignobles clunisiens hier et aujourd’hui". L’occasion pour ce professionnel de la vigne et du vin, vice-président de l’Académie des arts et lettres de Mâcon, de rappeler l’influence, durant des siècles, de l’Abbaye de Cluny sur la culture de la vigne et du vin.

Pour le plus bourguignon des Américains, « nous devons aux moines des grands ordres monastiques de l’époque médiévale […] l’implantation puis la préservation très soignée de quelques-uns des plus beaux vignobles de la Bourgogne, de toute la France, de l’Europe et même, quelques siècles plus tard, du Nouveau-Monde ». Il rappelle que « Cluny a été en son temps un véritable centre européen d’œnologie ». Le rapport à la nature et les moyens n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, mais les moines avaient pour eux « tout leur temps pour étudier la vigne et améliorer leurs techniques à la cave ». Ils recevaient beaucoup également, et si le vin en ce temps-là ne se conservait pas et se buvait très certainement dans l’année, les moines savaient proposer leurs meilleures productions aux hôtes de marque. La valeur des parcelles de vigne était bien évidemment dépendante de sa situation et de son exposition et déjà à l’époque, « certaines vignes étaient des trésors » …

Ainsi, pendant des siècles, « la qualité de l’accueil des hôtes fait la réputation du monastère », rappelle Edward Steeves, et « à coup sûr, le vin doit être de la partie ».

Il semblerait même que ce soit un moine clunisien qui a créé la première "route des vins" en France, en jalonnant de vignes le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle « pour étancher la soif des pèlerins » …

Les terres et les parcelles étaient essentiellement des dons des seigneurs et propriétaires terriens souhaitant « sauver leur âme ». Plus de 5.500 chartes, datant de l’époque de Charlemagne jusqu’au 13e siècle et détaillant ses donations, sont parvenues jusqu’à nous ! On imagine également que les moines devaient consigner par écrit beaucoup d’éléments sur les rendements, les techniques utilisées, etc. Mais ce sont là des suppositions, car aucun texte de ce type n’a été retrouvé, perdu, détruit ou détérioré par le temps où les événements historiques.

Ce que l’on sait, c’est que « la croissance du vignoble accompagne la croissance structurelle de l’Abbaye » pour connaître son apogée aux 12e et XIIIe siècles.

Puis peu à peu, « les monarques prennent l’ascendant sur l’Église, l’âge d’or de la Chrétienté passe », avant que « la peste noire, la guerre de Cent Ans, les guerres de religion mettent à mal la viticulture monastique ». Le coup de grâce est finalement porté par la Révolution et le phylloxéra est un nouveau drame pour ces vignes…

Depuis ces temps troublés, les anciens vignobles monastiques ont changé de main.

Aujourd’hui, il reste environ un tiers de ce vaste territoire vinicole descendant de l’Abbaye « curieusement méconnu », « mais c’est déjà énorme », souligne Edward Steeves. Par ses conférences et ses ouvrages, celui-ci contribue à rétablir leur épopée et leur héritage.

Cluny a accueilli son premier salon des vins clunisiens. © Guillaume Pommier.