De nouvelles générations arrivent
Le 19 mars dernier à l’IUT de Chalon-sur-Saône, une centaine d’étudiants et de professionnels de la viticulture se sont réunis pour une après-midi consacrée à la robotique en viticulture. Un événement plutôt axé machinisme donc du côté des conférences. L’occasion de mieux comprendre les enjeux actuels et futurs de la robotique en viticulture.

Organisé avec le Pôle Bourgogne Vigne & Vin (GIP), son directeur Florian Humbert expliquait que cette demi-journée était consacrée « à la vigne, au sens large du thème ». En effet, il était question de robotique et notamment pour les étudiants de l’IUT de Chalon, d’avoir une « approche industrielle » lors des conférences avec des experts, mais aussi avec un côté « plus ludique » avec de petites démonstrations sur le parking de l’IUT. Le Groupement d’intérêt public (GIP) basé à Dijon à l’IUVV compte en effet « ouvrir ces cycles » scientifiques, à une plus large audience, « voire à l’international » dans les années à venir. Mais pour l’heure, quatre conférences de haut niveau prenaient place pour les licences professionnelles, génie industriel et maintenance et technologies notamment.
La première était celle de Giancarlo Spezia, venant d’Italie, directeur de la société Tecnovict, mais qui traitait plus largement des perspectives d’utilisation des robots en viticulture. Dans un français (presque) parfait, l’italien ne tournait pas autour du pot : « Les problématiques de demain sont le respect de l’environnement et de la santé », avant d’annoncer confiant, « et ceux-ci vont être solutionnés par la robotique actuelle ». Sa société mise pour réussir sur la « rapidité, les robots-outils, l’électrification et les doses variables ». Et finalement, cela paraît logique lorsqu’il revenait sur l’histoire des 100 dernières années, de la traction animale au premier tracteur, désormais autonome. « Ce n’est plus soutenable d’augmenter le poids, les dimensions, les puissances… des tracteurs pour des outils nécessitant beaucoup d’énergies », qu’il exprimait en kW pour donner des équivalences. Pour lui, toute la filière doit « think different », penser différemment, pour proposer des « solutions compatibles ». Donc, sans forcément partir « des vieux systèmes de mécanisation traditionnelle » car aujourd’hui avec la multiplication des capteurs, les possibilités sont presque infinies avec les outils. « Cela donnera de grands développements pour qu’outils et porte-outils communiquent et soient contrôlés en même temps ». L’avenir sera aussi pour lui plus sobre, avec des outils consommant « moins de 10 kW », préférant de démultiplier les temps de passage des robots électriques, « offrants de plus grandes flexibilités ». Seule ombre au tableau dans ce schéma, la pulvérisation et l’urgence de réagir en fonction de la pression sanitaire ou après un aléa climatique. « C’est la clé » pour les viticulteurs comme pour les concepteurs de robots. Il présentait alors le projet Disafa (lire encadré).
Palier en partie au manque de temps et de personnel
Ce que ne contredisait pas le conseiller de la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, Hugo Adellon travaillant sur la robotique et le numérique au Vitilab au sein du Vinipôle Sud Bourgogne à Davayé. Depuis plus de deux décennies, le mot d’ordre porte sur la viticulture de précision et dans le département, « une vingtaine de robots tournent déjà en Saône-et-Loire et Côte-d'Or ». Alors que les étudiants semblaient à l’aise avec la mécanique, le responsable du Vitilab brossait un rapide portrait de la Bourgogne viticole, « sur trois départements, avec en moyenne 7,6 ha (contre 19 en France) avec de nombreux voisins ». Des vignes caractérisées par des tournières étroites bien souvent, des pentes, des dévers… et surtout, des vignes étroites à haute densité donc ne convenant pas aux tracteurs classiques. « Beaucoup de travail manuel ne peut donc pas être mécanisé », alors que la tendance est à plus de travail du sol ou moins d’herbicides. Pour lui, « la robotique s’inscrit donc comme l’une des réponses » aux problèmes de main-d’œuvre, tractoristes expérimentés ou matériels spécifiques, enjambeurs notamment. Attention toutefois, « ce n’est pas la solution ultime, mais une solution », alors que les vignerons l’interrogent régulièrement sur les motorisations, les modèles, les outils, les travaux réalisables… ou les subventions, l’achat (y compris en Cuma), la location et les retours sur investissement.
L’efficience de l’électrique
Le directeur des ventes et marketing produit de Vitibot, Vincent Denisart était ensuite accompagné de Benoît Nivot, directeur service après-vente et centre de formation chez Same Deutz-Fahr France. Cette société née en 1927 met dorénavant toute son expérience au service du robot Vitibot avec 85 personnes travaillant sur « les meilleures technologies », alors qu’il y a encore six ans, seules trois personnes y étaient consacrées. Le groupe investit des millions d’euros en R & D, et fait même partie du comité de pilotage de l’IUT, d’AgroSup ou au sein du Sedima. « On a besoin de jeunes formés, de compétences pour intervenir sur ces nouvelles technologies », débauchait-il presque les étudiants. Vincent Denisart précisait qu’à Reims, « 50 % des effectifs sont en bureau d’études avec 45 ingénieurs d’horizon divers : informatique, mécanique… ». Vitibot a vendu déjà plus de 200 robots Bakus, dont certains vendus par Claas Mâcon. « Car ce qui fait la force d’un produit, c’est aussi le service ». Disponible en deux « hauteurs d’arche » (S ou L), l’industriel ne veut pas « s’attaquer aux vignobles larges » pour le moment. Il les compare plutôt à de « gros PC sur roues », tant ils sont connectés et intelligents « comme un smartphone ». Avec une batterie de 75 kWh, « comme une grosse Tesla », Bakus a une autonomie entre 10 et 13 heures selon sa vitesse de travail. Pas mal pour un robot de 2,5 tonnes qui néanmoins est « équilibré » pour moins tasser les sols avec ses essieux pneumatiques et ses quatre roues motrices directrices (pentes jusqu’à 45 % et dévers jusqu’à 20 %). Après un arpentage de la parcelle, ses antennes RTK dirigent le robot à travers les points GPS enregistrés, cartographiant au passage tous les pieds des rangs. Bakus a besoin au minimum de 4 mètres pour changer de rang. Alors qu’à l’extérieur de l’IUT les mobylettes et voitures n’étaient en rien électriques, Vincent Denisart rappelait aux étudiants que « l’électrique est hyper efficient, on/off, avec un ratio délivrant tout à 90 % pour un couple extrêmement fidèle », à l’inverse donc d’un moteur thermique « dont une bonne partie part en déperdition de chaleur, transmission, huile… », expliquant l’histoire des tracteurs « surpuissants ». Il estime que le retour sur investissement de ses clients est autour de 5 ans pour un Bakus. « Une solution anti-crise ? La robotique en Cuma, c’est top », répondait-il à sa propre question, invoquant les faibles coûts de maintenance de l’électrique, occultant les questions restantes autour du remplacement des batteries qui ont certes fait d’énormes progrès.
La pulvé même en conditions difficiles
La responsable commerciale Yanmar, Juliette Rauch n’en parlait pas non plus. Le groupe japonais (23.000 salariés) Yanmar a créé une filiale robotique en 2022, notamment pour les vignes (YVSS, pour vineyard solution). Le premier robot commercialisé est le YV01 a été développé pour « la pulvérisation, notamment avec des chevillettes pour les vignes difficiles d’accès ». Mais après arpentage du périmètre de travail, le YV01 peut également travailler les sols, y compris en vigne étroite. Faisant une tonne à vide, le robot pèse 1,4 t avec le cadre et les outils dessus pour limiter le tassement. Sa puissance de 25 chevaux, son réservoir de 19 litres, lui permettent d’accéder à des vignes aux pentes jusqu’à 53 % et au dévers jusqu’à 20 %, à condition de « rajouter des masses ». Côté pulvérisation, le YV01 peut être équipé de deux descentes de jets portés, soit quatre demi-faces de traitement, avec un angle de projection des buses de 45 °. « Le rang enjambé et les deux demi-rangs à côté », précisait-elle aux étudiants. Ces derniers avaient déjà tout bien compris et ne semblaient pas craindre de croiser des robots dans les vignes, car les sachant équipés réglementairement de bumpers, boutons arrêts ou autres lidars pour détecter les obstacles. En revanche, les étudiants avaient visiblement hâte de se mettre au travail pour travailler à améliorer ces robots. Une belle réussite donc que cet événement qui en appelle d’autres.
Vers une pulvé économe et de précision
Giancarlo Spezia faisait donc un focus sur les possibilités de faire de la pulvérisation à l’aide d’un robot autonome. À l’Université de Turin, dans un département sur les technologies (Disafa), depuis 2005 (projet Isafruit), il constate l’évolution des capteurs (ultrasons) pour analyser la végétation et la canopée. De quoi faire des corrélations entre densité du feuillage avec d’autres paramètres. Il pense évidemment à la pulvérisation. En 2020, le projet Optima s’est donc penché sur l’électrification du ventilateur en fonction de la densité de la végétation, afin de réguler la vitesse de l’air « en real time, on the go » (en temps réel et embarqué, NDLR). Ces avancées ont permis d’aboutir en 2023 au projet Noviagri, qui consistait en un « kit de conversion pour les pulvérisateurs existants », basé sur trois aspects : pour réguler la quantité de bouillie projetée en temps réel (PWM : pulse with modulation) ; pour réguler la quantité d’eau sortante des buses « avec la possibilité de les ouvrir et de les fermer avec une électrovanne toutes les dixièmes de seconde » ; et enfin pour travailler à pression constante et fixe autour de 5 bars. Les premiers résultats dans des parcelles de vignes en Italie sont prometteurs, passant sur une saison complète de 387 l/ha de phyto à 102, soit une baisse de -73 % de phytos et eau utilisés. Des résultats encourageants qui ont motivé le projet Agritech en 2025. Un capteur optique de caméra stéréo permettra de « différencier la partie basse avec les raisins, de celle des feuilles du dessus de la canopée ». La canopée ainsi divisée en trois parties doit permettre de ne pas déclencher les buses sur toute la hauteur de vigne. « La question est maintenant d’interpréter les données en 1 ou 2 secondes pour déclencher ou non les buses », ce qui confirme le parallèle avec « un gros PC sur roues ». Vincent Denisart confirme que les prochains robots seront équipés pour faire de la pulvérisation « avec énormément de technologies intelligentes » ou plus basique comme des récupérateurs. Le futur Bakus le permettant va faire ses « premiers jets cette année chez des clients et organismes de certification », après quatre années de prototypage. Outre ces baisses de doses, ces récupérations, ces économies, il envisage même de réduire les « nuisances des voisins les nuits avec une végétation qui plus est plus réceptive » et « sans risque pour l’opérateur ». La définition même d’une viticulture de précision, permettant en plus de « libérer du temps ».
L’IUT de Chalon-sur-Saône vise l’excellence Européenne pour les agroéquipements
L’IUT de Chalon-sur-Saône, membre de l’Université Bourgogne Europe, est en lice pour piloter un Centre d’Excellence Professionnelle (CoVE) dédié aux agroéquipements, en partenariat avec cinq autres pays européens. L’objectif : structurer un écosystème de formation de haut niveau pour répondre aux besoins croissants en compétences techniques dans l’agriculture de demain.
Face aux mutations rapides du secteur – transition numérique, enjeux environnementaux, robotisation – le déficit de main-d’œuvre qualifiée se creuse. En France, 18.000 postes dans les agroéquipements seront à pourvoir d’ici 2030. Le projet, porté par un consortium européen associant universités, lycées professionnels et entreprises de six pays (France, Allemagne, Italie, Irlande, Belgique et Pologne), entend créer une dynamique pédagogique et technologique commune.
Le programme inclut la mise en place de modules de formation en ligne, des stages internationaux, des échanges entre formateurs, ainsi que de la recherche appliquée en lien avec les PME partenaires. Des coopérations sont également à l’étude hors Europe, notamment avec la Turquie, le Sénégal, l’Ukraine et l’Ouzbékistan.
Fort d’un budget prévisionnel de 3 à 4 millions d’euros sur quatre ans, ce Centre d’Excellence s’inscrirait dans la continuité du Campus des Métiers et des Qualifications Agroéquipements, dont l’IUT chalonnais est déjà un acteur engagé. Le dépôt de candidature auprès de la Commission européenne est prévu pour ce 11 juin, avec un lancement envisagé au printemps 2026 en cas d’approbation. Verdict en novembre.